Au procès Nemmouche, le récit pudique de l’ex-otage Nicolas Hénin
Le journaliste a livré un récit détaillé de sa captivité en Syrie entre 2013 et 2014 au procès de ses geôliers présumés à Paris

« C’est très intime de parler de ses souffrances ». Ex-otage du groupe Etat islamique, Nicolas Hénin a livré lundi un récit détaillé et pudique de sa captivité en Syrie entre 2013 et 2014 au procès de ses geôliers présumés à Paris.
Ce 22 juin 2013, le journaliste envoie depuis un cybercafé de Raqqa un mail à son épouse, pour donner signe de vie, comme il le faisait deux fois par jour ces derniers temps.
Puis se dirige vers une supérette pour acheter une bouteille d’eau et un paquet de chips.
Il est enlevé par des jihadistes armés, cagoulés, « qui m’emmènent de force »: « je perds ma liberté ».
Avec le recul, il pense avoir été piégé avec son confrère Pierre Torres, après avoir été interceptés quelques jours plus tôt par des responsables locaux qui se sont emparés de leurs affaires.
La promesse de récupérer leurs passeports sera « une façon de nous ferrer », « s’assurer qu’on allait pas quitter la ville », raconte Nicolas Hénin.

Du premier lieu de détention, surnommé « Tataouine », Nicolas Hénin parvient à s’échapper en descellant la grille de sa cellule, « je me faufile à l’extérieur et je suis libre ». Après trois heures de course dans le désert, un village. Deux hommes en marcel et caleçon. « Ces deux hommes étaient des jihadistes ». Il sera repris et paiera cher son évasion.
« Usine à torturer »
A la barre, Nicolas Hénin explique qu’il avait tant imaginé cet instant, où il se tournerait vers ses confrères pour leur demander « d’être très précautionneux » dans le récit des « sévices » qui lui ont été infligés.
« C’est très intime de parler de ses souffrances », « longtemps j’ai eu honte de ce que j’ai subi ».
Il raconte les interrogatoires encore et encore, dont peu importent les réponse, le but étant pour les tortionnaires d’obtenir des contradictions : « la vérité ne les intéresse pas ».
Les coups qui pleuvent, alors qu’il est menotté, entravé. « Ils me frappent la plante de pieds, des dizaines et des dizaines de fois ».
A la barre, Nicolas Hénin boit de l’eau, souffle, puis raconte un supplice dont « l’effet recherché » est « proche d’une crucifixion », sous un soleil brûlant. « Je me souviens avoir eu la langue comme de la pierre ».

Puis vient l’effroi quand il constate ses blessures. « J’ai une main d’éléphant », dont la peau s’est muée en « une sorte de cuir », « je n’ai presque plus de sensations ». Des pieds qui « ne sont plus que cloques ».
« Pendant tout ce temps-là, je suis dans une usine à torturer », dit-il, évoquant le sort des Syriens, et celui des détenus occidentaux qui ont été exécutés sur des vidéos de propagande de l’EI.
« Qu’on en finisse »
Nicolas Hénin raconte aussi un « simulacre d’exécution », auquel il a répondu par un « allez-y, qu’on en finisse », qui a manifestement déçu ses tortionnaires.
C’est dit-il la seule fois où il a songé à mettre fin à ses jours, avant de se dire « je n’ai pas le droit de rendre mes enfants orphelins, je ne me suiciderai pas ».
Dans son long récit aidé de notes, Nicolas Hénin raconte les surnoms des uns et des autres des geôliers, celui qu’ils avaient surnommé Javert, que l’on « reconnaîtra comme étant celui portant la kounia Abou Omar ». Depuis le box, Mehdi Nemmouche, qui conteste avoir porté ce nom, le regarde du coin de l’œil, lève un sourcil hautain.
Nicolas Hénin raconte un jour avoir été frappé au nez avec une telle force qu’il s’est retrouvé « complètement ensanglanté » si bien qu’on lui enlèvera son bandeau, et qu’il verra « très clairement la salle de torture » dans l’hôpital ophtalmologique d’Alep.
« Les nuits sont très dures », « on entend des tortures » toute la nuit durant, de la prière du soir à celle du matin, « une usine à torturer ».
Après trois heures de déposition, Nicolas Hénin en vient au récit de sa libération, le 18 avril 2014, le transfert via la Turquie, la barre de Toblerone donné par un médecin français.

« La France a sauvé ma vie », souligne-t-il dans une conclusion où il remercie Gisèle Pélicot qui lui a « donné de la force, du courage pour venir ici ». Et raconte ses plaisirs simples, issus de « détails complètement anodins », la « liberté » de marcher en montagne.