Au Yémen, une culture antique dont la richesse rivalisait avec la Grèce et Rome
Une nouvelle exposition, à Washington, révèle une civilisation en plein âge d'or avec un commerce de l'encens qui s'était étendu dans le monde entier, de Rome jusqu'à l'Inde
La Grèce et la Rome antiques sont bien représentées dans les musées du monde entier mais les civilisations contemporaines du Yémen – qui comptaient une mystérieuse communauté juive – ont bénéficié d’une reconnaissance bien moindre. Et c’est cet oubli de l’Histoire qu’une nouvelle exposition présentée à la Smithsonian Institution de Washington, DC, tente aujourd’hui de corriger.
Le Yémen avait connu son âge d’or dans une période qui s’était étendue du premier siècle avant l’ère commune au deuxième siècle de l’ère commune, grâce à l’encens cultivé dans cette région historique de la péninsule arabique. Ces senteurs luxuriantes parcouraient des distances importantes dans le monde connu – jusqu’à Rome, à l’Ouest, et jusqu’à l’Inde, à l’Est. Au Yémen lui-même, les richesses nées de ce commerce avaient entraîné une économie florissante et fait naître un art d’une beauté étonnante.
L’exposition « Ancient Yemen: Incense, Art, and Trade » a ouvert ses portes cet automne et elle sera présentée au moins au cours des trois prochaines années. Hébergée au musée national des Arts asiatiques, l’exposition permet de découvrir des ouvrages différents – statues funéraires en albâtre, éléments architecturaux, bronzes… Un grand nombre des objets présentés à la curiosité des visiteurs reflètent les échanges entre l’Orient et l’Occident.
La curatrice Antonietta Catanzariti déclare au Times of Israel que « les gens voient les objets et ils pensent souvent qu’ils sont issus du monde occidental. C’est Rome qui vient le plus facilement à l’esprit. Ce que nous nous efforçons de faire, c’est de présenter aux visiteurs la culture matérielle diversifiée du Yémen antique lui-même ».
Ce passé glorieux du Yémen est un contraste poignant avec la réalité actuelle d’un pays dévasté par la guerre civile.
« Quand je pense à l’exposition, je pense également à toutes ces choses qui se passent actuellement », déclare Catanzariti. « Le patrimoine culturel du Yémen est détruit et pillé. Avec cette exposition, le musée veut partager sa collection avec les visiteurs pour qu’ils puissent en apprendre davantage sur le Yémen, sur ce qu’était le pays dans le passé ».
Un ensemble de deux bronzes décoratifs indique le caractère cosmopolite de cette culture ancienne. Chacun d’entre eux représente un petit garçon chevauchant un lion. Si l’enfant évoque le dieu grec Dionysos, une inscription en sudarabique ancien est gravée sur le lion.
Catanzariti note que « les sculptures en bronze montrant l’enfant sur les lions sont vraiment le fruit des royaumes yéménites anciens ».
Ce qui est le cas également d’une gouttière sur laquelle se trouve l’image d’Almaqah, le dieu taureau, une gouttière qui était placée au sommet d’un bâtiment. Almaqah, qui faisait partie du panthéon des dieux adorés dans les cultures polythéistes de l’époque, était la divinité de la lune et de l’agriculture.
Évoquant sa représentation sur la gouttière, Catanzariti déclare que « Almaqah n’avait pas seulement une fonction symbolique, mais aussi une fonction pratique. Quand l’eau écoule le long de la gouttière, elle tombe sur le sol et elle l’irrigue – ce qui n’est pas seulement la finalité de la gouttière mais aussi le rôle d’Almaqah, qui était considéré comme le dieu de la lune mais aussi comme la divinité de l’irrigation et de l’agriculture ».
Il y a même une figurine indienne d’une déesse en train de danser, ce qui souligne les liens commerciaux établis entre le Yémen et l’Asie du sud après l’apprentissage, par les marins, de la navigation pendant les périodes difficiles de la mousson.
Sur la route de l’encens
Après des études faites en Italie et aux États-Unis, Catanzariti a obtenu un doctorat d’art et d’archéologie du Proche-orient antique à l’université de Californie, à Berkeley. Elle a dirigé des fouilles en Europe, au Moyen-Orient et en Asie centrale, notamment dans le cadre d’un projet encore en cours qu’elle chapeaute dans la région de Qara Dagh, au Kurdistan irakien. Parmi les précédentes expositions dont elle a été la curatrice au Smithsonian, « Félins Divins : Les chats de l’Égypte antique », en 2017.
Pour l’exposition consacrée au Yémen, elle déclare que « Pline l’Ancien a écrit sur ce commerce, expliquant la place déterminante occupée par l’encens dans ce dernier et la manière dont le commerce se faisait alors – mais nous ne pouvons pas seulement nous appuyer sur cette source classique. Il y a des vestiges et des artéfacts archéologiques qui nous apprennent ce qu’a été ce commerce complexe, qui aident à expliquer pourquoi l’encens tenait une place si importante ».
Un type d’encens était spécialement demandé à l’époque – le frankincense — et le Yémen était idéalement situé pour s’en procurer. Mentionné dans la bible chrétienne – il est offert en cadeau par les rois mages avec de la myrrhe – le frankinsence provient d’un arbre qui ne se trouve qu’à quatre endroits dans le monde : Le Yémen, Oman, la Somalie et l’Éthiopie.
« Il faut à cet arbre un environnement particulier pour qu’il s’épanouisse », commente Catanzariti, qui déclare que le frankincense originaire de ces régions « est de la plus haute qualité » et qu’il est utilisé « dans le cadre de rituels laïcs et religieux dans les temples, à des fins médicinales et comme parfum ».
Des brûleurs d’encens antiques sont également à découvrir dans l’exposition, et les visiteurs peuvent même voir du frankincense.
« Nous tentons d’aider les visiteurs à en savoir davantage sur le frankincense en en présentant dans le cadre de l’exposition de manière à ce qu’ils puissent voir à quoi ça ressemble réellement », note Catanzariti.
Interrogée sur sa senteur, elle répond : « On me pose beaucoup de questions à ce sujet quand je fais visiter la galerie. Celui que nous avons, malheureusement… date déjà d’il y a plusieurs années. Il n’a plus vraiment d’odeur. En revanche, un visiteur m’a dit que sa famille en faisait brûler régulièrement et que ça sent très bon. Il faut placer l’encens sur du charbon et il se consume lentement. Je n’ai pas essayé personnellement ».
Les Juifs perdus d’Himyar
Dans ces temps reculés, Catanzariti, « la demande d’encens était très forte – de la part du monde occidental, par exemple. Et de cette façon, ajoute-t-elle, « la culture de ces arbres s’est renforcée. Avec l’augmentation de la demande, c’est la valeur de l’encens qui a aussi augmenté ».
Ce qui avait bénéficié aux cinq royaumes distincts — Saba’, Qataban, Maiin, Hadhramaut et Himyar — qui existaient dans au moins une partie du Yémen actuel au cours de la période couverte par l’exposition. Ils étaient surnommés « les royaumes caravaniers » en raison de leur importance dans le commerce de l’encens.
Himyar avait été le dernier de ces royaumes et il devait exister jusqu’au 6e siècle de l’ère commune. Son effondrement était survenu en lien avec un narratif historique controversé. Ce royaume arabe s’était converti au judaïsme au quatrième siècle de l’ère commune, et la population himyarite chrétienne avait ensuite été persécutée. Au 6e siècle, ces persécutions avaient entraîné des représailles de la part de l’Éthiopie, qui avaient provoqué la chute du royaume, selon un article écrit en 2014 par l’Institut d’études avancées de l’université de Princeton. Les siècles qui avaient suivi devaient marquer l’ascension de l’islam dans la région.
L’exposition se concentre sur le royaume bien antérieur de Qataban, un royaume qui avait existé du 8e siècle avant l’ère commune et jusqu’au 2e siècle de l’ère commune. La majorité des artéfacts présentés proviennent du bastion de Timna, à Qataban, qui était un pôle du commerce de l’encens.
« Le royaume [de Qataban] était situé dans la vallée du Bayhan, le long des routes commerciales stratégiques », indique Catanzariti. « Tous ces royaumes caravaniers auront joué des rôles importants dans le commerce terrestre à travers toute la péninsule arabique et jusqu’au nord ».
« Le Yémen est situé à une position géographique stratégique », fait-elle remarquer. « Tous les itinéraires qui traversaient les royaumes antiques yéménites utilisaient cette localisation stratégique pour relier les pays aux autres régions ».
Les villes jordaniennes historiques de Petra et d’Aqaba jouaient, elles aussi, un rôle déterminant dans ce commerce. Depuis Aqaba, l’encens traversait le désert du Neguev en direction de la côte levantine et, en particulier, du port de Gaza.
Catanzariti qualifie le Neguev de « région centrale et très importante le long de cet itinéraire commercial », avec « plusieurs stations » de caravansérails qui permettaient aux marchands et à leurs chameaux de se reposer.
« Alors que les fouilles archéologiques continuent le long de la route de l’encens, nous comprenons son impact international – et elles révèlent aussi un monde connecté d’une plus grande complexité que nous le pensions auparavant », dit-elle, soulignant que « nous prenons conscience de l’existence d’un commerce qui reliait des populations qui vivaient dans des régions éloignées, comme le reflètent différents sites du Neguev ».
« Je ne serais pas surprise si au fur et à mesure de l’avancée des nouvelles fouilles, nous en venions à avoir encore davantage de détails sur la nature des produits échangés », continue-t-elle.
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