La communauté éthiopienne regarde vers l’avenir
Un ancien député met la violence sur le compte "de groupes d'intérêt anarchiques qui ont suivi le mouvement"
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Qu’est-ce qui a mal tourné dimanche soir pour qu’une manifestation pacifique organisée dans le centre de Tel-Aviv contre la discrimination par des jeunes Israéliens d’origine éthiopienne se transforme en champ de bataille ?
Quelques heures après que la fumée et les gaz lacrymogènes se soient dissipés de la Place Rabin, et que les officiers de police et les manifestants sont rentrés chez eux après une violente confrontation qui a envoyé des dizaines de personnes à l’hôpital, un affrontement par récits interposés a commencé.
La police a affirmé que ses officiers avaient agi avec « retenue tout au long de la manifestation, mais qu’à un certain moment les actes de vandalisme ont commencé et que de nombreux manifestants ont agi avec violence, mettant en péril des vies humaines ».
Le président Reuven Rivlin semblait contredire l’affirmation de la police que de « nombreux » manifestants étaient à blâmer pour l’escalade de la violence, parlant au lieu d’ « une poignée de fauteurs de troubles violents ».
Les représentants de la communauté israélo-éthiopienne ont rejeté les accusations selon lesquelles ils étaient les instigateurs de la violence, accusant la police d’avoir provoqué et même, dans de nombreux cas, commencé la bagarre.
Cependant, tout le monde est d’accord pour affirmer que la manifestation s’est déroulée sans heurts pendant des heures, même si elle a eu lieu sans autorisation et était donc illégale.
Mais on ne sait pas exactement ce qui est arrivé une fois que la foule s’est déplacée vers la place Rabin et que les violences ont commencé, et si elles aurait pu être évitées si les policiers avaient agi différemment.
« Tout le monde faisait son travail : les manifestants ainsi que la police », a déclaré l’ancien député Shimon Salomon, qui a immigré d’Ethiopie à l’âge de 10 ans et qui a assisté à la manifestation de dimanche.
Sur la place Rabin, soudainement des « groupes d’intérêt anarchiques qui ont suivi le mouvement et ont presque tout fait pour provoquer la violence », s’est-il souvenu. « Quelqu’un a jeté une bouteille d’eau vers les policiers et c’est ce qui a fait commencé toute l’histoire. »
On ne sait pas qui sont ces personnes et à quels groupes ils appartiennent, mais tôt ou tard cette information sera connue, a-t-il déclaré. Il y avait aussi « un petit groupe de personnes » appartenant à la communauté israélo-éthiopienne qui avait soif d’action, a admis Salomon, mais la plupart des violences émanaient de voyous qui n’avaient rien à voir avec la manifestation.
« Enfin de compte, si vous avez des milliers de personnes lors d’une manifestation, vous aurez toujours un petit groupe qui voudra l’escalade de la violence », a-t-il affirmé.
« Nous voulons faire entendre notre voix. Nous voulons crier fort pour changer la situation. Mais pas avec la violence. Nous savons que l’on n’y parvient pas avec ; au contraire, cela nous dessert. »
Hana Elazar Legesse, de l’Association israélienne pour les Juifs éthiopiens, a déclaré que seule la police portait la responsabilité de la violence de dimanche soir, en faisant valoir que les policiers avaient fait en sorte de rendre l’atmosphère tendue avant même que la manifestation ait commencé et a plus tard réagi de façon excessive face aux incidents violents et sporadiques dans la foule.
« Avez-vous vu les préparatifs de la police pour la manifestation sur la Place Rabin ? Avez-vous vu le nombre de policiers, de voitures de police, les équipements antiémeutes ? Beaucoup de gens qui ont été à de nombreuses manifestations ont dit qu’ils ont jamais vu autant de mesures de dispersion des foules utilisées comme cela a été utilisé la nuit dernière contre des membres de la communauté éthiopienne. »
Le déploiement massif de la police en prévision d’affrontements violents était « une prophétie auto-réalisatrice », poursuit-elle.
« Tout lceux qui étaient là ont dit que c’était la première fois qu’ils voyaient des policiers recourir à une telle force. C’est pour donner l’impression que les Éthiopiens sont violents, pour contrer l’accusation contre la brutalité policière. Ils détournent la réalité. »
Les Israéliens d’origine éthiopienne sont par nature pacifiques, affirme-t-elle. « La communauté n’est pas violente. Ce n’est pas dans nos gènes. Nous savons comment respecter les êtres humains, indépendamment de ce qu’ils sont. »
Interrogé sur les manifestants qui ont lancé des pierres et des bouteilles sur la police, Elazar Legesse a répondu en s’excusant.
S’ils utilisent du gaz lacrymogène, la colère de la police est compréhensible, dit-elle. « Dans chaque communauté il y a quelques personnes dont les câbles sautent facilement. Mais tout le monde n’est pas comme ça. Représenter l’ensemble de la communauté est un autre crime violent que la police commet. »
La communauté dans son ensemble n’a rien de mal, a-t-elle poursuivi. Si seulement la police avait été sensible au fait que la foule exprimait de la frustration qui s’est accumulée sur plus de 30 ans de discrimination, de racisme et de séparation, les choses auraient pu tourner différemment, déplore-t-elle.
« Cela devrait être la première priorité du Premier ministre. »
En regardant vers l’avenir, les dirigeants de la communauté éthiopienne d’Israël cherchent à présenter leurs protestations dans les lobbys du pouvoir du pays et à faire évoluer les choses.
« J’espère que le Premier ministre prend les choses en mains. Cela devrait être sa première priorité, s’il ne veut pas qu’Israël soit comme un pays du tiers monde », met en garde Fentahun Assefa-Dawit, le directeur exécutif de Tebeka, une organisation prônant l’égalité et la justice pour les Israéliens d’origine éthiopienne, lundi.
Quelques minutes avant d’entrer dans le bureau du Premier ministre pour une réunion avec les dirigeants communautaires, Assefa-Dawit a déclaré que le nouveau gouvernement et la police doivent se rendre compte que le racisme et la discrimination sont « des sujets brûlants » qui ont besoin de leur attention urgente « avant qu’il ne soit trop tard ».
Assefa-Dawit a expliqué qu’il allait pousser Netanyahu à créer un comité pour enquêter sur la façon dont les autorités discriminent systématiquement les citoyens d’origine éthiopienne.
« Dans quatre ans, je veux voir le Premier ministre dire : ‘Je suis heureux de l’avoir fait’ plutôt que ‘je souhaiterais l’avoir fait’ ».
Salomon, l’ancien député d’origine éthiopienne, qui est profondément impliqué dans les manifestations actuelles, a déclaré que l’ordre du jour principal est de comprendre pourquoi il y a tant de méfiance entre la police et sa communauté. La prochaine étape serait de créer une « feuille de route » pour réduire la discrimination découlant du racisme latent qui est profondément ancré dans la société israélienne.
« Notre problème est qu’il y a du racisme voilé. Parfois, ce racisme voilé est bien pire que le racisme ouvert », a-t-il analysé.
« Une personne malade sait qu’elle est malade et se fait soigner et éventuellement arrive à bout de sa maladie. Mais une personne malade qui ne sait pas qu’elle est malade, se détériore et arrive finalement à un point de non-retour. » La clé pour résoudre la crise actuelle réside donc dans la lutte contre les sources de racisme voilé, a-t-il conclu.
Les jeunes Israéliens qui ont organisé la manifestation de dimanche – principalement sur les réseaux sociaux et en ligne – ne sont pas centralement organisés et donc n’ont pas de dirigeants officiels pour articuler leurs demandes, déplore Elazar Legesse, de l’Association israélienne pour les Juifs éthiopiens.
Son organisation, cependant, appelle le gouvernement à mettre en œuvre trois mesures immédiates. D’abord, la police devrait clôturer toutes les affaires en suspens de mineurs éthiopiens accusés de violence contre un agent de police.
« Un garçon de 14 ans ou un adolescent de 17 ans peuvent frapper un policier ? Est-ce que cela semble logique ? », s’insurge-t-elle. Derrière ces affaires, il y a généralement des cas de policiers qui ont battu les jeunes, puis ouvert une affaire contre eux, accuse-t-elle.
Deuxièmement, le groupe appelle à une nouvelle loi qui obligerait les policiers à transporter une caméra pour documenter chaque interaction avec les civils.
Elle exige aussi que toutes les plaintes déposées par des Israéliens d’origine éthiopienne auprès de l’Unité d’enquête de la police israélienne soient rouvertes. « Les gens ne se plaignent plus parce qu’ils ne pensent pas que cela puisse conduire à quoique ce soit », affirme Elazar Legesse.
Enfin, son organisation a exigé que tout fonctionnaire qui a agi d’une manière raciste ou violente, que ce soit un enseignant ou un policier, soit suspendu jusqu’à ce que justice soit faite.
« Il y a un climat général de violence en Israël qui est inacceptable. Cela doit cesser. Ceci est notre maison, comme pour tout le monde. Nous sommes ici et nous n’irons nulle part. Et nous avons besoin de vivre ensemble », clame-t-elle.
« Si nous n’avons pas un pays avec des citoyens qui sont unis, il y aura plus d’explosions. L’Etat va exploser – pour cela, nous n’aurons pas besoin d’ennemis de l’extérieur. Nous avons besoin d’un dialogue sur la violence dans ce pays, sur la façon dont nous nous traitons les uns les autres. Je souhaite que, après tout ce qui a eu lieu la nuit dernière, c’est ce qui se passera à l’avenir. »