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Avec l’extrême droite au pouvoir, l’Autriche combat l’antisémitisme en Europe

Pour les critiques, les déclarations sont une feuille de vigne face à la normalisation croissante de la politique xénophobe et antisémite dans le pays et en Europe en général

Le chancelier autrichien Sebastian Kurz s'adresse à un survivant de la Shoah israélien à Jérusalem, le 10 juin 2018. (Gali Tibbon/AFP/Getty Images/via JTA)
Le chancelier autrichien Sebastian Kurz s'adresse à un survivant de la Shoah israélien à Jérusalem, le 10 juin 2018. (Gali Tibbon/AFP/Getty Images/via JTA)

JTA – Moins d’un an après l’élection de Sebastian Kurz à la tête de l’Autriche, il a placé son gouvernement au premier plan de la lutte contre l’antisémitisme en Europe.

Fréquemment critiquée pour ne pas s’être montrée à la hauteur des persécutions nazies, l’Autriche, avec Kurz comme chancelier, est devenue une plaque tournante internationale pour les conférences et symposiums de haut niveau sur cette question.

Tout a commencé avec la conférence de cinq jours « La fin de l’antisémitisme » qui s’est tenue en février à l’Université de Vienne. En octobre, le Syndicat national des étudiants a tenu une conférence sur l’antisémitisme. Ce mois-ci, M. Kurz a invité des survivants au Parlement pour commémorer le 80e anniversaire de la Nuit de Cristal.

Deux manifestations de haut niveau ont récemment été organisées dans le cadre de la présidence autrichienne tournante de l’Union européenne. Le Congrès juif européen et l’American Jewish Committee (AJC) assisteront à au moins un des deux événements.

« Il y a eu beaucoup de conférences sur l’antisémitisme à Vienne récemment », a déclaré Benjamin Hess, président de l’Association des étudiants juifs autrichiens, qui s’est félicité de l’intérêt du gouvernement pour ce sujet. « Pendant des années, ce sujet n’a pas été abordé ».

Mais si les Juifs entre autres sont reconnaissants pour la guerre de Kurz contre l’antisémitisme, ils se méfient aussi de l’alliance de son parti au pouvoir avec le Parti de la liberté, d’extrême droite créé en 1949 par un ancien soldat SS.

Les critiques suggèrent alors que les conférences et les déclarations sont une feuille de vigne face à la normalisation croissante de la politique xénophobe et antisémite en Autriche et dans toute l’Europe.

Des manifestants brandissent des pancartes mettant en vedette le chancelier autrichien Sebastian Kurz (à gauche) et Heinz-Christian Strache, président du Parti de la liberté d’Autriche (FPO), lors de manifestations contre la tenue du « Bal des étudiants » organisé par l’extrême droite autrichienne à Vienne, Autriche, le 26 janvier 2018. (AFP/APA/HANS PUNZ)

Cette critique, qui coïncide avec un flot constant de scandales sur la xénophobie et la glorification nazie par les dirigeants du Parti de la liberté, crée des défis pour Israël et les organisations juives. Ils veulent garder Kurz comme un allié important sans légitimer ses partenaires de la coalition.

Si Kurz « veut lutter contre l’antisémitisme, la meilleure chose à faire pour le chancelier est de rompre l’alliance qu’il a avec le Parti de la liberté », a déclaré Benjamin Abtan, le président du European Grassroots Antiracist Movement [EGAM], qui est juif et né en France. « Vous ne pouvez pas combattre l’antisémitisme et faire alliance avec le Parti de la Liberté. »

Abtan a déclaré que ce serait une « grave erreur » pour les organisations juives d’assister aux conférences contre l’antisémitisme à moins qu’elles ne saisissent l’occasion pour demander à Kurz de se débarrasser du Parti de la liberté.

Les conférences de cette semaine, a dit M. Abtan, soulignent comment les organisations juives, Israël et l’Union européenne ont tous réagi beaucoup plus « fermement » en 2000, lorsque le Parti de la liberté a rejoint la coalition en Autriche, que la deuxième fois.

« Cela montre un effondrement moral en Europe devant l’extrême droite, a-t-il dit.

Sebastian Kurz (G) du Parti populaire conservateur (ÖVP) et Heinz-Christian Strache du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) donnent une conférence de presse conjointe à Vienne le 16 décembre 2017. (AFP Photo/Alex Halada)

L’American Jewish Committee et le Congrès juif européen (CJE) n’ont pas répondu à la question de JTA de savoir si leurs dirigeants avaient l’intention de demander à Kurz d’abandonner le Parti de la liberté. David Harris, président de l’American Jewish Committee, et Moshe Kantor, président du Congrès juif européen, se sont joints à Kurz lors d’un événement mardi à Vienne.

Les deux organisations ont déclaré qu’elles n’ont assisté à aucune conférence au cours de laquelle un représentant du Parti de la liberté était présent.

Ils ont assisté à une conférence avec le chancelier intitulée « L’Europe au-delà de l’antisémitisme et de l’anti-sionisme – assurer la vie juive en Europe ».

Selon un document du Congrès juif européen, la conférence, intitulée « Valeurs européennes, État de droit, sécurité », était organisée par le ministère autrichien de l’Intérieur, qui est dirigé par Herbert Kickl, l’ancien secrétaire général du Parti de la liberté.

La deuxième a été organisée par la Présidence autrichienne du Conseil de l’Union européenne 2018 et mettait en vedette une fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, bien qu’elle appartienne au Parti populaire de Kurz et non au Parti de la liberté.

Le ministre de l’Intérieur autrichien Herbert Kickl reçoit sa nomination de la part du président Alexander Van der Bellen, le 18 décembre 2017, à Vienne. (AFP / VLADIMIR SIMICEK

M. Kurz « a fait de la lutte contre l’antisémitisme et l’antisionisme, du renforcement de la vie juive en Europe et de l’approfondissement des liens avec Israël une priorité de son pays et de sa présidence actuelle de l’UE », a déclaré M. Harris à JTA. Il a qualifié le Parti de la liberté de « problématique », ajoutant que l’AJC n’a pas rencontré ses représentants.

« Au cours de cette année commémorative, nous sommes particulièrement conscients de notre responsabilité historique », a déclaré M. Kurz aux journalistes en juillet. « Nous condamnons fermement toute forme d’antisémitisme, ainsi que toute forme de minimisation ou de négation de la Shoah. »

Il a également déclaré, lors d’une entrevue avec le président iranien, qu’il est « absolument inacceptable » de remettre en question le droit d’Israël à l’existence ou d’appeler à sa disparition.

La communauté juive de Vienne a adopté une politique visant à accepter Kurz et son Parti populaire tout en refusant de nouer des liens directs avec le Parti de la liberté. Le Congrès juif européen soutient cette position, a déclaré un porte-parole de la communauté à JTA.

« Lorsque les dirigeants d’une nation, et a fortiori ceux qui occupent la présidence du Conseil européen, veulent véritablement et globalement soutenir la lutte contre l’antisémitisme, ils doivent être soutenus et applaudis par tous », a déclaré le porte-parole de la communauté.

Hans Breuer à la gare de Budapest, en Hongrie avec une pancarte appelant à mettre fin à la déportation des migrants, en août 2015 (Crédit : Autorisation de Hans Breuer / via JTA)

Hans Breuer, un activiste juif autrichien qui aide les immigrants du Moyen-Orient, est critique envers les dirigeants des principales organisations juives qui entretiennent des relations avec Kurz.

« Ces Juifs sont le camouflage le plus important des proto-fascistes autrichiens », dit-il. « Ils décernent à la coalition d’extrême droite de Kurz et au Parti de la Liberté un label de qualité ».

Kurz « essaye d’apaiser les Juifs et fait de grands efforts pour cashériser le Parti de la liberté », a déclaré Marta Halpert, rédactrice en chef du journal juif Das Jüdische Echo. Les conférences sur l’antisémitisme, dit-elle, « sont l’une de ces initiatives ».

Si le Parti de la liberté n’était pas au gouvernement, « je ne sais pas combien de ces conférences auraient eu lieu », a déclaré Hess, le leader étudiant.

En février, des militants de l’Association des étudiants juifs autrichiens ont déployé une banderole avec le slogan « M. Kurz ! Votre gouvernement n’est pas casher » lors d’un discours prononcé par le ministre de l’Education, Heinz Fassmann, lors de la conférence « La fin de l’antisémitisme » du Congrès juif européen à Vienne.

Les activistes ont été expulsés de la salle. L’association représente 2 500 jeunes juifs dans un pays de 8 000 à 17 000 juifs, selon le mode de comptage.

Les dirigeants du Parti de la liberté ont rejeté les accusations d’antisémitisme. Le chef du parti, Heinz-Christian Strache, a déclaré l’année dernière que les antisémites ne sont « pas les bienvenus » dans ses rangs. Mais les Juifs le sont. L’un d’entre eux, David Lasar, est actuellement législateur au sein du Parti de la liberté. Un autre, Peter Sichrovsky, a été secrétaire général du parti entre 2000 et 2002.

« Il y a un grave problème d’antisémitisme au sein de la droite », a déclaré M. Sichrovsky plus tôt ce mois-ci lors d’une émission-débat sur la chaîne de télévision Puls4. « Malheureusement, la menace quotidienne vient des radicaux de votre communauté religieuse », a-t-il dit à un participant musulman.

Plusieurs scandales impliquant des membres éminents du Parti de la liberté n’ont rien arrangé pour le débarrasser de son image xénophobe.

Heinz-Christian Strache, président du parti d’extrême droite Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), prend la parole lors d’une réunion électorale le 6 octobre 2017 à Saalfelden avant les élections législatives anticipées. (AFP PHOTO / WILDBILD)

Plus tôt cette année, les médias autrichiens ont dénoncé la recrudescence des calembours antisémites et des blagues sur la Shoah dans les fraternités universitaires affiliées au Parti de la liberté, obligeant Udo Landbauer, un ancien responsable du Parti, à quitter ses fonctions gouvernementales.

En juillet, un homme politique régional du Parti de la liberté en Autriche a défendu un projet des membres du parti visant à limiter l’accès à la viande cachère, conditionnant sa vente à des permis qui seraient délivrés individuellement aux Juifs observants. M. Strache, qui n’est pas connu pour son militantisme en faveur des droits des animaux, a demandé plus tard au cours du même mois l’interdiction de l’abattage rituel musulman et juif des animaux.

L’année dernière, les législateurs du Parti de la liberté ont refusé de se lever au Parlement pendant une minute de silence à la mémoire des victimes de la Shoah.

Ces incidents se produisent dans un contexte d’augmentation de la violence antisémite à l’égard des Juifs en Autriche, en grande partie de la part de musulmans.

Parallèlement, les responsables du Parti de la liberté ont fait des déclarations controversées au sujet des immigrants et des musulmans. Kickl, le ministre de l’Intérieur, a déclaré cette année qu’il « concentrerait » les demandeurs d’asile, dans ce que ses détracteurs ont qualifié d’échos de la terminologie nazie. D’autres dirigeants du Parti de la liberté ont été pris en train de partager des images nazies et de visiter des sites de pèlerinage nazis.

Ces phénomènes ont longtemps été une marque de fabrique du Parti de la Liberté malgré les tentatives de Strache d’adoucir la réputation du parti en tant que mouvement raciste, qui s’est renforcé sous le feu de l’ancien dirigeant du parti Jorg Haider et de ses partisans. Sous Strache, le parti est passé de l’antisémitisme à la critique de l’islam et à la rhétorique antimusulmane.

Malgré la controverse qu’ils suscitent et les problèmes qu’ils posent aux relations du gouvernement avec les Juifs et d’autres organisations, le Parti de la liberté et l’extrême droite en général sont de plus en plus acceptés ces dernières années, selon Abtan.

Il a noté la réaction « ferme » de l’Union européenne, des organisations juives et d’Israël en 2000, lorsque le Parti de la liberté a fait son entrée dans la coalition gouvernementale pour la première fois.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu rencontre le chancelier autrichien Sebastian Kurz, le 26 septembre 2018 à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies (Crédit : Avi Ohayun/GPO)

L’UE a imposé des sanctions à l’Autriche pour cette raison en 2000, mais pas cette année. C’est une abstention compréhensible de la part de l’institution, dont l’impopularité croissante alimente les réveils d’extrême droite d’est en ouest. Les fonctionnaires de l’UE craignent que les mesures prises à l’encontre de l’Autriche ne se retournent contre l’Italie, dont le gouvernement a également un parti d’extrême droite, et des alliés de droite comme la Hongrie, la Pologne et la Roumanie.

Israël, pour sa part, a rappelé son ambassadeur d’Autriche en 2000, mais pas cette année. En septembre, le Premier ministre israélien Netanyahu a salué les actions pro-israéliennes et anti-racistes de Kurz dans un communiqué qui ne mentionne pas le Parti de la liberté.

En 2000, la Conférence des rabbins européens a protesté contre l’entrée au pouvoir du Parti de la liberté en boycottant l’Autriche et en déplaçant à la dernière minute sa conférence qui avait été programmée pour la Slovaquie. Mais de grandes organisations juives assistent maintenant à des événements organisés par un ministère contrôlé par ce parti.

A la question de savoir si les organisations juives devraient boycotter le gouvernement autrichien, Breuer, l’activiste juif qui milite pour les immigrés, a répondu : « Non, ça ne sert à rien ». Avec les nationalistes au pouvoir aux États-Unis, en Italie, en Autriche, au Brésil, en Israël et en Russie, a-t-il dit, « vous allez finir par boycotter la plus grande partie du monde ».

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