Berlin, 1936-2015 : l’hommage posthume à deux athlètes olympiques juifs
Humiliés aux Jeux olympiques de 1936, les sprinters juifs américains Marty Glickman et Sam Stoller seront honorés l’an prochain lors des Maccabiades européennes à Berlin
BALTIMORE — Nancy Glickman était adolescente quand elle a appris l’histoire de son père aux Jeux olympiques de Berlin en 1936 : Marty Glickman et un autre sprinter, Sam Stoller, furent remplacés au sein de l’équipe américaine du relais
4 × 400 mètres, le matin même de l’épreuve.
Un soir, interrogeant son père sur cet affront, ce dernier tira son uniforme, rangé dans le tiroir du bas d’une grande armoire, et le lui présenta. À ce moment, Nancy Glickman demanda à ce que le vêtement lui soit légué à son décès.
« Bien avant » sa mort en 2001, à l’âge de 83 ans, Marty Glickman lui offra l’uniforme, raconte Nancy. Elle le garde aujourd’hui dans un sac en toile dans son appartement de Washington.
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« Je suis la gardienne de cet uniforme », affirme-t-elle.
Maccabi USA, la branche de Philadelphie de la fédération sportive Maccabi World Union, espère que les membres des familles Glickman et Stoller se rendront à Berlin, en juin 2015, pour les Maccabiades européennes, qui rendront hommage aux deux athlètes.
Ce sera la première fois que la ville allemande accueillera l’événement, dont la première édition a eu lieu en 1929. L’organisation ne savait pas où se trouvaient exactement les familles Glickman et Stoller, mais JTA a pu les retrouver.
Le directeur exécutif de Maccabi USA Jed Margolis a affirmé qu’il contacterait bientôt les proches et espère qu’ils accepteront d’être capitaines honoraires ou porte-drapeaux de la délégation américaine, qui devrait compter environ 150 membres.
Nancy, 60 ans, est la plus jeune des quatre enfants de Marty Glickman. Elle a confié la semaine dernière que l’intérêt manifesté par Maccabi USA était « un geste très aimable. »
Les organisateurs n’ont pas encore choisi le lieu de la cérémonie d’ouverture, mais l’une des possibilités est l’Olympiastadion. C’est là que le sprinteur afro-américain Jesse Owens remporta quatre médailles d’or il y a 78 ans, sous les yeux d’Adolf Hitler.
C’est aussi là que les coéquipiers juifs d’Owens ont concouru.
Marty Glickman estimait que l’antisémitisme et les affinités de plusieurs responsables de la fédération américaine avec les nazis avaient conduit à son éviction et à celle de Stoller de l’équipe de relais.
« Nous sommes navrés que Stoller et Glickman aient été empêchés de courir à cause de leur religion »
Jed Margolis
« Nous sommes navrés que Stoller et Glickman aient été empêchés de courir à cause de leur religion », affirme Margolis.
« Une grande injustice leur a été faite en 1936. Ce serait merveilleux que quelqu’un de leur famille défile avec nous. »
Originaire de New York, Marty Glickman est devenu plus tard un célèbre commentateur sportif, son nom figurant dans plusieurs
« halls of fame » (mémorial en hommage à des personnes ayant marqué leur discipline, généralement dans le domaine sportif).
La Newhouse School of Public Communications de l’université de Syracuse a lancé l’année dernière le prix Marty Glickman, qui récompense l’esprit d’initiative des journalistes sportifs.
Le premier lauréat fut Bob Costas, un éminent commentateur sportif, diplômé de Syracuse. Costas, qui a présenté les Jeux olympiques sur NBC, a joué un rôle essentiel pour permettre à JTA de retrouver la famille de Glickman.
Costas se souvient que Glickman, qu’il admirait énormément, évoquait l’affront berlinois chaque fois qu’on l’interrogeait.
« Il vivait dans le présent, mais était très attaché au passé », raconte Costas. « Il n’était pas rancunier, mais il n’oubliait pas non plus. » Alors qu’il était jeune commentateur, il se souvient avoir été « l’une des personnes qu’il a prises sous son aile », ajoute Costas.
En 2013, Costas fut l’un des nombreux protagonistes du documentaire Glickman, réalisé par Jim Freedman, qui a lui aussi grandi à New York en écoutant les commentaires footballistiques de l’ancien athlète.
À 17 ans, Freedman a travaillé comme producteur pour une émission de radio présentée par Glickman. « Ça a été le boulot le plus excitant que j’aie jamais exercé », se rappelle-t-il.
Stoller, de son côté, renonça à courir après l’affront berlinois, mais revint sur sa décision en entrant à l’université du Michigan et fut sélectionné dans l’équipe All-America de 1937.
La même année, il entama une carrière d’acteur et de chanteur. Lors d’une tournée aux Philippines en 1938, il aurait rencontré sa femme Violet, originaire de Chine. Le couple s’installa à Cincinnati, la ville natale de Stoller.
Le reste de sa vie est moins connu. Mais Pat Vasillaros, un passionné de généalogie, a conduit des recherches qui ont permis de retrouver les proches de Stoller, mort à 69 ans à Fort Lauderdale (Floride) en 1985.
Grâce aux données du recensement américain, Vasillaros a appris que Stoller avait eu deux frères, David and Daniel, ainsi qu’une sœur Tillie. Leur mère, Sophia Katz, est probablement décédée tandis que leur père, Morris (qui apparaît aussi sous le nom de Maurice), originaire de Russie, s’est remarié avec une dénommée Martha, originaire du Kentucky. Ils ont eu un fils, Harry.
Une nécrologie, publiée à la mort de Harry à Cincinnati en septembre dernier, mentionne les membres de sa famille encore vivants. L’une de ses filles, Kathy Kaplan, a indiqué que Sam Stoller n’avait pas eu d’enfants.
Pour Bill Mallon, ancien président de la société internationale des historiens olympiques, l’événement programmé en 2015 à Berlin, auquel seront présents les familles de Stoller et de Glickman, promet d’être significatif et émouvant.
11 athlètes olympiques israéliens ont été assassinés par des terroristes palestiniens aux Jeux olympiques de Munich de 1972
« Pour des sportifs juifs, entrer dans le stade de Berlin, en sachant ce qu’il s’y est produit en 1936 et ce qu’il s’est produit par la suite – ce qu’Hitler a fait au monde et en particulier aux Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale ; et ce qui a eu lieu en 1972 à Munich [11 athlètes olympiques israéliens ont été assassinés par des terroristes palestiniens]… Je ne suis pas juif, mais si vous avez le sens de l’Histoire, cela devrait être un sentiment étrange et
particulier », confie Mallon.
Glickman a reçu de son vivant, en 1998, un prix du comité olympique américain, une sorte de repentance pour l’affront de 1936. Le prix a été décerné à titre posthume à Stoller.
La mort de Glickman en janvier 2001 lui a épargné un chagrin bien plus colossal, précise sa fille : son petit-fils, Peter Alderman, 25 ans, travaillait dans le World Trade Center et a trouvé la mort lors des attaques terroristes du 11 Septembre.
« Honnêtement, c’était une bonne chose », estime Nancy au sujet de la date du décès de son père.
« Apprendre la mort de son petit-fils l’aurait dévasté. »
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