Camaïeu, Go Sport, Gap : Michel Ohayon mis en examen pour banqueroute
Les autres personnes placées en garde à vue dans ce dossier cette semaine ont été relâchées sans poursuites à ce stade, selon deux sources proches du dossier
L’homme d’affaires bordelais Michel Ohayon a été mis en examen vendredi à Paris pour banqueroute, abus de biens sociaux et escroqueries en bande organisée notamment, soupçonné d’avoir détourné à son profit de l’argent des enseignes en difficulté Go Sport, Gap France et Camaïeu, ce qu’il conteste.
L’entrepreneur, qui a fait fortune dans l’immobilier avant de bâtir un éphémère empire commercial, a été mis en examen pour banqueroute, abus de biens sociaux, escroqueries en bande organisée, abus de confiance et blanchiment aggravé, a indiqué samedi le parquet de Paris, sollicité par l’AFP.
Il a été placé sous contrôle judiciaire, avec l’interdiction de diriger ou de gérer une société de quelque moyen que ce soit et l’obligation de verser au tribunal un cautionnement de 500.000 euros.
« Il a injecté plus de 68 millions d’euros de sa fortune personnelle, il n’y a eu aucun enrichissement, tout au contraire, M. Ohayon s’est appauvri dans cette affaire pour sauver un secteur du ‘retail’ qui connait une crise en France sans précédent », a réagi auprès de l’AFP son avocat, Me Olivier Pardo. « Il suffit de voir le nombre de faillites qui ont eu lieu depuis le Covid ».
Selon Me Pardo, « les accusations portées contre lui sont une négation du fonctionnent d’un groupe de sociétés ». « Nous démontrerons les responsabilités des uns et des autres », a-t-il promis.
L’épouse de M. Ohayon a également été mise en examen.
Les autres personnes placées en garde à vue dans ce dossier cette semaine ont été relâchées sans poursuites à ce stade, selon deux sources proches du dossier.
Selon le parquet, les investigations ont mis en évidence « l’existence de prélèvements des ressources de trésorerie significatives des différentes structures sociales que Michel Ohayon dirige en droit ou de fait, sans justification économique ou juridique, dans un contexte de situation financière sous tension pour ces sociétés, qui apparaissent contraires à leur intérêt social ».
50 millions d’euros
Ces opérations ont « été dissimulées comptablement et ou justifiées par des opérations juridiques fictives », selon la même source. « Le produit tiré de l’ensemble des infractions reprochées est estimé à plus de 50 millions d’euros. »
Camaïeu, Gap, Go Sport, La Grande Récré… Les déboires financiers de ces enseignes grand public, que le sexagénaire venait d’acquérir en quelques années, ont fait les gros titres depuis la liquidation de la première, en septembre 2022, avec 2 600 employés sur le carreau.
Il avait dû céder Gap France et Go Sport, placées en redressement judiciaire peu après. Sa holding, la Financière immobilière bordelaise (FIB), le bras armé des investissements de l’ancien vendeur de vêtements devenu propriétaire d’immeubles et d’hôtels de luxe, était en 2023 en cessation de paiements, avec 500 millions d’euros de passif.
Le groupe Celio a racheté Camaïeu, les autres chaînes de vêtements et jouets étant reprises par des concurrents à la barre des tribunaux de commerce. De cet éphémère empire commercial, Michel Ohayon a seulement conservé une vingtaine de magasins Galeries Lafayette en province.
Pour le parquet, il est « établi » que les procédures de redressement judiciaire de Camaïeu, Gap et Go Sport ont été provoquées « du fait notamment de ces mouvements de trésoreries suspects ».
L’homme d’affaires est entre autres soupçonné d’avoir détourné de l’argent des enseignes à des « fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il était directement ou indirectement intéressé ».
Par exemple, d’avoir viré du groupe Go Sport la somme « a minima de 36,5 millions d’euros sur les comptes de la société Hermione People and Brands (HPB) », une autre de ses sociétés, ce qui a « entraîné la cessation de paiement du groupe », ou encore d’avoir consommé la trésorerie de Camaïeu « à hauteur de 41,3 millions d’euros pour le seul mois de septembre 2021 ».
Les parquets de Lille, Grenoble et Bordeaux s’étaient dessaisis au profit de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) des signalements – provenant notamment de commissaires au compte – et plaintes reçus à la fin de 2022 et début 2023 sur des soupçons de détournements commis au préjudice des enseignes Gap, Camaïeu, Go Sport et Campus Academy.
Plus de 300 ex-salariés de Camaïeu ont assigné il y a quelques semaines quatre sociétés de la galaxie Ohayon, dont la FIB et HPB, dans le cadre d’une action en responsabilité civile.
Parcours
« Pour moi, les pure players comme Amazon sont plus en danger ! », affirme-t-il au magazine Forbes, dans une de ses rares interviews, en novembre 2019. Quelques mois plus tard, l’épidémie de Covid-19 et les périodes de confinement frappent de plein fouet le secteur dans lequel il vient de se lancer.
« Michel Ohayon est de ceux qui ont investi au mauvais moment, alors que tout allait bien jusque-là, c’est tout. Il a fait une erreur comme tout le monde peut en faire », juge un ami de longue date.
Né le 7 juillet 1961 à Casablanca, ce fils de marchand de tissus arrive enfant à Mérignac, en banlieue bordelaise, où son père ouvre un magasin. Il entame des études de médecine avant de gérer des boutiques Cacharel/Daniel Hechter dans les années 1980.
Plutôt que de passer ses samedis à vendre des costumes, il achète un immeuble dans le centre de Bordeaux et le restructure pour le louer à Celio. Ce premier « coup » en entraîne beaucoup d’autres dans les années 1990, l’investisseur engrangeant les mètres carrés dans une rue très fréquentée de la ville.
En 2005, après en avoir revendu une partie à la foncière anglaise Grosvenor, contrôlée par le duc de Westminster, il intègre le Top 500 des plus grandes fortunes de France – la sienne est évaluée à 350 millions d’euros.
« Mais où Ohayon s’arrêtera-t-il ? », s’interroge à l’époque le journal Les Échos en indiquant que le roi de l’immobilier bordelais s’est installé dans les quartiers chics de Paris et « parcourt la France à bord de son Falcon ». Via une société luxembourgeoise, ce féru de peinture achète aussi des Chagall pour 45 millions de dollars.
Durant la première décennie du siècle, l’homme d’affaires mène deux grosses opérations dans le « triangle d’or » de la capitale girondine : la rénovation du Grand Hôtel, acheté au nez et à la barbe d’un notable local du BTP, et la construction de l’Auditorium.
Il multiplie ensuite les acquisitions : Trianon Palace de Versailles en 2014, Sheraton à l’aéroport de Roissy en 2016; l’année suivante, Waldorf Astoria de Jérusalem – revendu depuis – et domaine viticole à Saint-Emilion… Son patrimoine dépasse alors le milliard d’euros au classement du magazine Challenge, c’est l’apogée.
L’autodidacte, fier d’avoir bâti sa fortune plutôt que d’en avoir hérité, se voit alors en sauveur d’entreprises et d’emplois : lorsqu’il reprend Camaïeu à la barre du tribunal de commerce de Lille, en 2020, il en sort applaudi par les salariés.
« J’espère que vous serez puni », le conspue l’un d’eux à l’annonce de la liquidation, deux ans plus tard. Les fiascos s’enchaînent et une enquête judiciaire est ouverte sur de présumées malversations financières, à l’origine de sa mise en cause aujourd’hui.
En février 2023, en pleine tourmente, il expliquait au journal Sud Ouest avoir été mal entouré quand il s’est diversifié, « à contre-cycle », dans le commerce. Et confiait vivre « très mal » d’être voué, désormais, aux gémonies.