Cameroun : insérer les jeunes pour les éloigner de Boko Haram
Autorités et agences humanitaires ont multiplié ces dernières années les projets pour occuper les jeunes de l'Extrême-Nord du Cameroun, espérant les éloigner de l'extrémisme
Il y a trois ans, Denise Bedekui, une jeune Camerounaise de 16 ans, a fui son village d’Hondogo dans la région de l’Extrême-Nord, au Cameroun, craignant d’être enlevée par le groupe jihadiste nigérian Boko Haram.
Installée depuis à Mozogo, une autre localité de la région située un peu plus loin de la frontière nigériane où les jihadistes restent très actifs, Denise a été initiée à la culture des oignons par une ONG locale qui tente de lutter contre l’enrôlement des jeunes par Boko Haram.
Autorités et agences humanitaires multiplient ces dernières années les projets pour occuper les jeunes de cette région camerounaise, espérant ainsi les éloigner de l’extrémisme violent.
« Si ce projet nous encadre comme il se doit, cela nous aidera à améliorer nos conditions de vie et empêcher la tentation de suivre des personnes de mauvaise compagnie », espère Denise.
Depuis 2014, des milliers de jeunes – filles et garçons – ont quitté l’Extrême-Nord pour rejoindre le groupe jihadiste de l’autre côté de la frontière, au Nigeria, espérant y trouver un avenir meilleur.
« Beaucoup de jeunes de mon village ont suivi Boko Haram parce qu’ils ont été appâtés par l’argent et la promesse d’une vie éternelle », affirme Denise dont le village, comme de nombreux autres dans la région, a été rayé de la carte suite aux incursions répétées des éléments jihadistes.
« J’ai des amies qui ont décidé d’y aller d’elles-mêmes. D’autres y ont été contraintes. Ils les attiraient avec des vêtements, de la nourriture, des bijoux. On promettait aussi aux filles des motos et elles succombaient », détaille-t-elle.
Nombre de ces jeunes « ont été facilement manipulés par Boko Haram » parce qu’ils sont « désoeuvrés et abandonnés à eux-mêmes », explique le lamido (chef traditionnel) de Mozogo, Abba Mahama Chetima.
« Nos enfants quittaient le village pour aller à l’école à Bama, à Maiduguri » au Nigeria, poursuit-il, relevant que lorsqu’ils revenaient, « ils avaient changé », notamment leur perception de l’islam.
Beaucoup de jeunes garçons ont grossi les rangs de Boko Haram. Mais pour bénéficier d’une dotation en arme, chaque nouvelle recrue doit faire ses preuves en retournant piller son village, sa famille, souligne Abba Mahama.
« Boucliers humains »
Et lorsque cette recrue obtient une arme, elle devient un « émir », un chef de troupes, explique le chef traditionnel.
Les plus jeunes sont généralement utilisés comme « boucliers humains » lors des attaques. Les femmes, elles, servent à transporter le butin lorsqu’elles ne sont pas mariées de force aux jihadistes.
Dans le cadre de la guerre engagée par le Cameroun contre Boko Haram, de nombreuses cellules locales du groupe ont été démantelées, de même que les réseaux de trafics divers grâce auxquels il entretenait ses troupes.
Certains enfants enrôlés « commencent à rentrer parce que c’est devenu très difficile pour eux » de survivre, ajoute Abba Mahama.
En février, les autorités ont annoncé le retour volontaire de 200 ex-islamistes au Cameroun. Un terrain de 11 hectares a été mis à leur disposition par les autorités.
L’ONU et plusieurs ONG locales ont lancé en 2018 un projet dit de « résilience à l’extrémisme violent ». Comment ? En formant et favorisant l’insertion des jeunes dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage ou de la couture.
A l’instar de Denise et 87 autres jeunes de Mozogo, qui ont suivi ces formations.
Pourtant, seuls quatorze d’entre eux sont aujourd’hui insérés. Un groupe opère dans le stockage des céréales, l’autre dans la culture d’oignons.
« Les ressources disponibles n’ont pas permis d’insérer tous les jeunes formés », affirme l’un des responsables du projet. Pourtant, souligne-t-il, « les besoins sont énormes » et le risque d’endoctrinement des jeunes reste bien « présent ».