Ce dont les Américains ne parlent pas quand ils parlent d’Israël
Dans son nouveau livre, l'historien Eric Alterman explore la tension au cœur du discours juif américain sur Israël et ce qu'on ignore, faute d'écoute mutuelle
Eric Alterman choisit ses mots avec soin. L’historien et auteur d’un nouveau livre sur les racines de l’alliance américano-israélienne sait qu’il n’y a pas d’autre façon de parler du champ de mines qu’est la politique du Moyen-Orient.
Ou comme il l’a dit dans une interview récente avec le Times of Israel : « Tout ce qui concerne Israël, et les Palestiniens, nécessite un nombre énorme de mises en garde et de nuances, et vous pouvez dire tout ce que vous voulez à ce sujet, cela ne fera changer personne d’avis. »
L’auteur, journaliste, critique des médias, blogueur et professeur au CUNY-Brooklyn College, âgé de 62 ans, était récemment de passage en Israël en tant qu’invité du programme d’études américaines de l’université de Tel Aviv et du Centre d’étude des États-Unis de l’école, en partenariat avec le programme Fulbright.
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We Are Not One : A History of America’s Fight Over Israel, dont la sortie est prévue pour la fin novembre, examine la genèse de l’alliance américaine avec Israël et la manière dont le mouvement sioniste est devenu un élément essentiel de la culture politique judéo-américaine.
L’idée de cet ouvrage, le 12e d’Alterman, est née du désir de l’auteur d’aller à la source de la réflexion américaine sur Israël et les Palestiniens et de comprendre comment elle en est arrivée là où elle est aujourd’hui.
Ce qui se passe réellement dans la région, dit Alterman, « a très peu à voir avec ce qui est débattu aux États-Unis. Les États-Unis débattent d’une vision mythique de ce qui se passe là-bas ».
L’auteur dit avoir abordé le sujet en tant qu’historien portant un regard extérieur, afin de mieux en découdre avec les questions dans un discours trop tapageur dans lequel, dit-il, peu de gens écoutent réellement les revendications des autres.
« Il est inutile d’en débattre », a-t-il déclaré.
Selon Alterman, les Américains, y compris les Juifs, ont accordé peu d’attention à Israël ou aux divers défis auxquels le pays a été confronté dans les premières années de son existence. Ce n’est qu’avec le déclenchement de la guerre des Six Jours que le soutien à Israël est devenu une composante essentielle de l’identité juive américaine, pratiquement du jour au lendemain.
« Entre 1948 et 1967, Israël n’était pas vraiment au cœur de l’actualité aux États-Unis », a déclaré Alterman. « Mais les Américains avaient une image très rose d’Israël. Ils aimaient Israël, mais n’y prêtaient pas beaucoup d’attention. Puis, après 1967, tout a changé. »
Comme le suggère le titre du livre, Alterman identifie un décalage fondamental, qui se trouve au cœur de cette atmosphère de soutien, entre les riches bienfaiteurs de la communauté et la classe moyenne juive américaine – ceux qui n’ont pas accès aux mêmes leviers de pouvoir.
« Je soutiens dans le livre que les riches donateurs, qui sont généralement assez conservateurs, ont exercé un énorme pouvoir sur les institutions juives américaines », a-t-il déclaré. « L’American Jewish Committee, l’Anti-Defamation League, l’AIPAC en particulier. Et ils ne représentent pas du tout les opinions de la communauté juive américaine. Ils sont beaucoup plus à droite. »
« Donc le peuple n’a pas de voix et aussi, les rabbins n’ont pas de voix », a-t-il ajouté.
Pour lui, c’est ce conflit qui sous-tend la teneur du discours public sur Israël, provoquant une tension constante au sein de la communauté juive américaine.
Au fil du temps, ces frictions ont également écarté Israël de la gauche américaine, bien que le courant démocrate dominant soutienne encore largement l’État juif.
« Il ne fait aucun doute que la gauche américaine s’est retournée contre Israël ; qu’Israël a perdu la gauche mais n’a pas perdu les démocrates au Congrès », a-t-il déclaré. Et Israël « n’a pas perdu une grande partie des médias grand public. On peut donc dire que si vous allez sur les campus universitaires, Israël est très impopulaire. Si vous lisez des magazines libéraux, Israël est très impopulaire. Mais au niveau du système politique, Israël est toujours gagnant, et continuera à l’être, pour autant que je sache, pendant un bon moment. »
Ce qui suit est une transcription partielle d’un entretien avec Alterman avant son apparition à Tel Aviv. La transcription a été éditée dans un souci de clarté et de brièveté.
Vous mentionnez les campus universitaires, mais j’avais l’impression que le mouvement BDS dans les universités ne gagnait pas de terrain. Dernièrement, il n’a pas réussi à obtenir un quelconque boycott, désinvestissement ou sanction contre Israël.
Certes, aucune université américaine ne va boycotter Israël. Mais le mouvement lui-même, parmi les étudiants et les professeurs, est certainement assez fort et se renforce. Le fait que le Harvard Crimson (un journal étudiant de l’université Harvard aux États-Unis) ait approuvé le BDS, ou que la Middle East Studies Association ait récemment approuvé le BDS, est important. Il y a un débat très animé à Princeton – ou là où j’enseigne, au Brooklyn College. C’est un échec complet et total, en termes de ses objectifs annoncés, mais ce qu’il a fait, c’est qu’il a donné des excuses aux politiciens de droite pour museler la liberté d’expression sur la question et il a créé une atmosphère sur le campus… où le soutien à Israël est une infime, infime minorité.
Dans l’avant-propos du livre, vous affirmez que si les Juifs américains sont fiers de leur patrimoine, ils estiment également avoir un statut de seconde zone par rapport aux Juifs d’Israël.
Oui, abstraction faite des orthodoxes, je pense que les Israéliens, et en particulier les intellectuels et les politiciens israéliens, ont du mépris pour les Juifs américains. Je pense que c’est une croyance assez répandue parmi les Juifs israéliens, que les Juifs de la diaspora sont faibles, et que leur judaïté n’est pas sérieuse. Dès qu’il y a un désaccord quelconque entre les Israéliens et les Juifs américains, les Israéliens peuvent tout simplement ignorer les opinions des Juifs américains. Et je pense que des deux côtés, il y a un sentiment que le « Juif israélien » est beaucoup plus authentique que le « juif américain ». Et ce, d’autant plus que les institutions juives américaines ont fait le pari, après 1967, qu’elles définiraient leur judaïté par leur soutien à Israël.
En tant que spécialiste des « fake news », pouvez-vous nous parler de l’influence négative des réseaux sociaux sur le cycle quotidien des informations ?
Eh bien, il y a beaucoup de gens qui sont investis dans ce que nous appelons les fake news, parce que c’est rentable. Et la vérité n’a pas de valeur particulière. Donc, d’un côté, il y a, aux États-Unis, une immense tendance aux fake news, au sein de la droite. A commencer par Fox News, et à la radio parlée, Rush Limbaugh. Pire encore, il y a Alex Jones, et Newsmax et tous ces groupes, et ils ont environ un tiers de l’audience des États-Unis. Et ils ne se soucient pas de ce qui est vrai. Et puis il y a les nouvelles sur les réseaux sociaux dont on ignore la provenance.
Le problème avec les fake news, c’est qu’il y a tout intérêt à continuer à les publier et à les diffuser. La seule raison de ne pas les diffuser, c’est parce que vous vous souciez de votre réputation. Mais la plupart des gens ne le font pas. Tout cela nous rend incroyablement vulnérables à toutes les formes de mensonges et de fake news, et c’est une forme de guerre.
Compte tenu de certaines incitations à la haine horribles sur les réseaux sociaux palestiniens, diriez-vous que ce média est devenu une arme ?
Absolument. Mais cela se passe partout dans le monde. Nous avons vu des exemples spécifiques d’incitation à la violence sur Facebook, qui ont conduit à des meurtres aux Philippines et en Birmanie. Et, et nous voyons les États-Unis aussi. L’algorithme de Facebook est conçu pour envoyer les gens vers des opinions de plus en plus extrémistes. Parce que plus les opinions sont extrêmes, plus il y a d’engagement ; plus il y a d’engagement, plus il y a de clics et plus il y a d’argent.
Toute l’assaut du 6 janvier contre le Congrès a été entreprise par les réseaux sociaux. Il n’aurait jamais eu lieu sans les réseaux sociaux.
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