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Analyse

Ce que Netanyahu veut dire lorsqu’il parle de “purification ethnique”

Le Premier ministre est formel sur son rejet de la solution à 2 états, qui prévoit une séparation nette entre Israéliens et Palestiniens. Il envisage plutôt un accord qui permettrait aux résidents des implantations de rester chez eux. Il n’avait probablement pas imaginé que sa dernière vidéo sur le sujet provoquerait un incident diplomatique

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Un résident juif d'une implantation argumente avec une soldate pendant le désengagement de la bande de Gaza, le 17 août 2005. (Crédit : Yossi Zamir/Flash90)
Un résident juif d'une implantation argumente avec une soldate pendant le désengagement de la bande de Gaza, le 17 août 2005. (Crédit : Yossi Zamir/Flash90)

Dimanche après-midi, la vidéo dans laquelle le Premier ministre a déclaré que le démantèlement des implantations en Cisjordanie dans le cadre d’un accord de paix entre Israël et les Palestiniens était comparable à une purification ethnique avait cumulé près d’un millions de vues, récolté 14 000 « likes », de nombreuses condamnations de politiciens israéliens et une réprimande cinglante de la part du gouvernement américain.

« La purification ethnique au nom de la paix, c’est absurde. Il est temps que quelqu’un le dise. Et je viens de le faire. », a déclaré Netanyahu à la fin de la vidéo de deux minutes.

Mais Netanyahu n’a pas inventé cette comparaison controversée ce vendredi après-midi, quand le clip a été diffusé sur ses réseaux sociaux. Il avait déjà évoqué cet argument, à plusieurs occasions, durant sa carrière politique. Dans l’édition de 2000 de son livre A durable peace, écrit avant son discours décisif de Bar-Ilan dans lequel il accepte la solution à deux états sous conditions, il avait rejeté la notion d’un état palestinien « hostile, judenrein ». Même si le monde entier la soutient, la campagne pour une Cisjordanie vide de juifs est basée « non pas sur la justice, mais sur l’injustice ».

En janvier 2014, après avoir accepté, sur le principe, l’idée d’un Etat palestinien, il avait affirmé à CTV, le réseau de télévision canadien, que la minorité arabe en Israël jouissait de tous ses droit et n’avait pas à changer de religion. « Mais la façon dont les choses se profilent dans le futur Etat palestinien, ils disent ‘aucun juif ne peut vivre ici’. Ça doit être vide de juifs – purification ethnique. Qu’est-ce que ça signifie ? Il y a des arabes qui y vivent mais ils ne peuvent pas supporter qu’il y ait aussi des juifs ? »

Dix mois plus tard, lors d’une interview dans l’émission Face the Nation de CBS (une chaîne de télévision américaine), il a cherché à réfuter la critique constante de Washington sur l’expansion des implantations israélienne en utilisant la même logique. « C’est à l’encontre des valeurs américaines. L’idée même que nous ayons comme prérequis à la paix cette purification ethnique, c’est, à mon avis, anti-paix. »

Le cabinet du Premier ministre a encore évoqué cette purification ethnique des résidents des implantations le moins dernier. En réaction à la critique d’un haut fonctionnaire des Nations Unies, David Keyes, le conseiller des médias étrangers (qui est à l’origine des vidéos virales de Netanyahu) a expliqué que l’obstacle à la paix ne réside pas dans la présence des juifs en Cisjordanie, mais davantage dans le refus des palestiniens de reconnaitre un Etat juif, quelles que soient ses frontières.

David Keyes (Crédit : Autorisation)
David Keyes (Crédit : Autorisation)

« La revendication selon laquelle les juifs n’ont pas le droit de construire à Jérusalem est absurde. Cela revient à dire que les Américains ne peuvent pas construire à Washington, ni les Français à Paris, a déclaré Keyes. L’exigence des Palestiniens, à savoir la purification ethnique pour leur futur état, est scandaleuse, et devrait être condamnée par les Nations unies au lieu d’être soutenue. »

Parmi les nombreuses critiques exprimées à l’égard de la dernière vidéo de Netanyahu, certains cherchent à comprendre son objectif. La purification ethnique est largement considérée comme un crime contre l’humanité. Certains experts supposent que ce clip peut donc être perçu comme une gifle préméditée au visage des Américains et de la communauté internationale, par extension, qui attendent d’Israël qu’il cède à ces pratiques.

D’autres ont accusé les sondages. Pendant le week-end, la deuxième enquête de la semaine a montré que le Likud de Netanyahu était derrière le parti centriste Yesh Atid, indiquant ainsi pour la première fois depuis 2012 que le Likud ne serait plus en tête des élections si elles avaient lieu aujourd’hui. Plusieurs analystes avancent que Netanyahu aurait provoqué le débat autour de la purification ethnique pour détourner les critiques de sa gestion de l’affaire des chemins de fer de la semaine dernière et à galvaniser ses sympathisants de droite, sans se préoccuper de ses relations avec les États-Unis et le reste du monde.

Le chef du parti Yesh Atid, le député Yaïr Lapid lors de la conférence de presse avec la presse étrangère à Jérusalem, le lundi 25 janvier 2016. (Crédit : capture d'écran)
Le chef du parti Yesh Atid, le député Yaïr Lapid lors de la conférence de presse avec la presse étrangère à Jérusalem, le lundi 25 janvier 2016. (Crédit : capture d’écran)

Mais le fait que Netanyahu et ses conseillers aient déjà abordé le sujet de la « purification ethnique » semble discréditer cette théorie. Il est plus probable que Netanyahu et Keyes (ce dernier était connu pour son activisme politique peu orthodoxe avant d’intégrer le cabinet du Premier ministre) aient publié cette vidéo comme l’une des vidéos de hasbara (promotion d’Israël), sans avoir imaginé qu’elle provoquerait un tel tollé.

Le but de ces vidéos, où l’on a pu voir récemment Netanyahu revendiquer qu’il se souciait davantage des Palestiniens que leurs propres dirigeants, est d’atteindre les populations directement, via les réseaux sociaux, court-circuitant ainsi la désinformation caractéristique des médias classiques. Dans le contexte de négociations cruciales au sujet d’une aide militaire de la part des États-Unis, et à l’aube de la période lame duck post-élections pour Barack Obama [littéralement canard boiteux, ce terme désigne un élu dont le mandat arrive à terme, dont le successeur est déjà élu mais n’occupe pas encore le poste. Il est dans une situation où ils n’aura pas à subir les conséquences politiques de ses actions, puisque déjà battu, et jouit donc d’une certaine liberté qui lui permet de prendre des décisions controversées ou impopulaire, ndt], période pendant laquelle le président pourrait prendre des mesures contres Israël à l’ONU, il est peu probable que Netanyahu ait volontairement lancé une bataille non nécessaire avec l’administration américaine.

Cela ne veut pas dire que cette vidéo ne nous fournit pas de perspective intéressante sur la pensée de Netanyahu, surtout à une période où l’on parle d’une rencontre entre ce dernier et Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, à Moscou afin de relancer le processus de paix.

« Je pense que ce qui est un frein à la paix, c’est l’intolérance. Les sociétés qui prônent le respect sont celles qui sont à la recherche de la paix. Celles qui exigent un purification ethnique ne cherchent pas la paix », a déclaré Netanyahu dans la vidéo, annonçant clairement qu’il ne pense pas que les Palestiniens soient prêts à des négociations sérieuses.

Le message de Netanyahu, sert, au moins, de piqure de rappel sur sa position sur le conflit israélo-palestinien : son discours sur la purification ethnique dans le contexte d’un éventuel retrait souligne son rejet d’une évacuation à grande échelle des résidents israéliens de Cisjordanie.

« J’imagine une Cisjordanie dans laquelle des jeunes arabes et des jeunes juifs étudient ensemble, travaillent ensemble, et vive côte-à-côte en paix », dit-il dans la vidéo, faisant ainsi allusion au fait qu’il ne croit pas à une solution à deux états qui séparerait complètement Israéliens et Palestiniens, mais plutôt un accord dans lequel les centaines de milliers de juifs qui vivent actuellement en Cisjordanie resteraient dans leurs maisons, même si elles sont en territoire palestinien.

L’évacuation des implantations peut-elle être appelée purification ethnique ?

En dépit des états d’âmes provoqués par l’usage du terme « purification ethnique » par Netanyahu ce weekend, et en dépit du fait que les militants palestiniens y ont régulièrement recours pour décrire l’activité d’Israël en 1948, la description est-elle exacte et conforme aux faits ?

Il n’y a pas de définition légale pour « purification ethnique ». Le dictionnaire de Cambridge la décrit comme étant « la tentative organisée, parfois violente, par un groupe culturel ou racial de déplacer tous les membres d’un autre groupe d’un pays ou d’une région ».

Une commission d’experts qui s’est penchée sur la question pendant la guerre de Yougoslavie dans les années 1990, lorsque ce terme a été créé, a défini la purification ethnique comme étant « une politique mise en place par un groupe ethnique ou religieux visant à déplacer, par des moyens violents ou inspirant la terreur, une population civile d’un autre groupe ethnique ou religieux d’une région géographique donnée. »

À première vue, l’évacuation forcée des résidents juifs des implantations de Cisjordanie au bénéfice des arabes palestiniens semble correspondre à cette définition. Les dirigeants palestiniens sont inflexibles sur la présence de juifs dans leur futur état.

Un soldat israélien évacue trois femmes de leur maison de l'implantation juive de Neve Dekalim, dans la bande de Gaza, en 2005. (Crédit : Flash90)
Un soldat israélien évacue trois femmes de leur maison de l’implantation juive de Neve Dekalim, dans la bande de Gaza, en 2005. (Crédit : Flash90)

D’un autre côté, les partisans du retrait des Israéliens n’appellent pas à l’usage de la violence, mais plutôt à une évacuation coordonnée des implantations dans le cadre d’un accord de paix.

Comme les retraits précédents du Sinaï et de Gaza l’ont montré, une partie des militants aux motifs religieux et idéologiques seront à déloger par la force, mais pas non plus par des « moyens inspirant la terreur ».

Il est à prévoir que certains résidents des implantations défieront l’ordre d’expulsion du gouvernement, et certains pourraient même tenter de saboter l’évacuation planifiée, mais la vision de la communauté internationale d’une mise en place pacifique de deux états n’est pas vraiment comparables aux épisodes de purification ethnique qui ont ponctué l’histoire, qui se sont toujours révélés être des bains de sang.

À propos des retraits précédents d’Israël, immédiatement après la diffusion de la vidéo du Premier Ministre, dans lequel il les appelle « purification ethnique », les experts ont souligné que son propre parti a usé de la force pour évacuer des Israéliens à plusieurs reprises, en 1982, du Sinaï, et en 2005, de Gaza. L’un de députés du Likud, qui avait voté en faveur du plan de désengagement, bien qu’à contrecœur, n’était nul autre que Benjamin Netanyahu.

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