Ces Juifs américains russophones qui ont changé votre vie
De la recherche sur le cancer à la création de systèmes d'alimentation pour la tour Eiffel, ces scientifiques, inventeurs et entrepreneurs méconnus sont le sujet d'un nouveau livre
BOSTON — Lorsque le biochimiste réputé Vladimir Torchilin a émigré aux États-Unis en 1991, il emportait avec lui un diplôme de la plus prestigieuse institution universitaire de l’Union soviétique, l’université publique d’État de Moscou.
Il avait alors 45 ans, et ses réussites comptaient le développement d’un nouveau médicament permettant de dissoudre les caillots de sang. Appelé Streptodekaza, il était aussi efficace que les médicaments précédents mais qui entraînait moins d’effets secondaires, disait-il.
Moins de 10 ans avant son arrivée sur le sol américain, Vladimir Torchilin s’était vu décerner la plus haute distinction de l’Union soviétique – le prix Lénine – pour son travail sur les enzymes dans le traitement des maladies cardiovasculaires.
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Le scientifique a rapidement trouvé du travail aux États-Unis. Il est aujourd’hui directeur du Centre de biotechnologie pharmaceutique et de nanomédecine à l’université Northeastern, à Boston. Ils y consacrent ses recherches à la mise au point de techniques d’administration de médicaments directement dans les cellules humaines afin d’accroître l’efficacité des traitements anticancéreux.
« L’enseignement dont j’ai bénéficié à Moscou était supérieur à celui des universités américaines. Les attentes y étaient très élevées. On s’intéressait aux meilleurs étudiants, les faibles étaient considérés comme non nécessaires, » a-t-il confié au Times of Israel. « Cela est dû au fait que les universités étaient gratuites en Union soviétique. Elles ne craignaient pas d’exclure des étudiants qui n’étaient pas au niveau par peur de perdre des ressources financières. »
Le chercheur juif est l’un des immigrés d’URSS présentés dans un nouveau livre, “Hammer and Silicon: The Soviet Diaspora in the US innovation Economy” (« Marteau et silicone : la diaspora soviétique dans le secteur de l’innovation américain« ). Publié l’année dernière, l’ouvrage se présente comme le premier à s’intéresser à la contribution des immigrés russophones dans les domaines de la haute-technologie, de l’économie et de l’innovation aux États-Unis.
« Les immigrés d’ancienne URSS ont grandement contribué au secteur de l’innovation américain, mais ces apports sont restés inconnus, non reconnus et non publiés. L’objectif de ce livre est de les mettre au jour, » expliquait l’un de ses auteurs, Daniel Satinsky, dont les grands-parents juifs ont quitté l’Ukraine pour les États-Unis il y a une centaine d’années.
« Les États-Unis recrutaient des gens pour qu’ils intègrent le secteur de la haute-technologie, notamment des mathématiciens. Microsoft a embauché de nombreux mathématiciens pour les faire travailler sur des logiciels. Certains des plus grands du monde étaient Russes, » a indiqué l’auteur au Times of Israel.
Sheila Puffer, professeure de commerce international à la Northeastern University de Boston, est la principale auteure du livre. « Le public en général pourrait ne pas réaliser que certaines innovations apparues dans des compagnies renommées spécialisées dans la technologie ont été l’oeuvre de personnes qui avaient immigré de l’Union soviétique pour s’installer aux Etats-Unis », explique Puffer.
« A ma connaissance, il y a des centaines de russophones qui travaillent chez Google, Facebook et Apple. Ils ont des groupes sociaux russophones également », ajoute Puffer. Dans les prochains mois, Puffer voyagera dans tous les Etats-Unis, en Europe et en Russie pour présenter ‘Hammer and Silicon’.
Les auteurs ont interrogé 157 immigrants russophones au niveau de qualification élevé qui ont choisi de s’installer aux Etats-Unis au cours des 40 dernières années, parmi lesquels de nombreux Juifs.
Le livre évoque Slava Epstein, qui avait découvert un nouvel antibiotique. Epstein se rend également régulièrement dans la forêt amazonienne pour explorer les nouvelles formes de vie microscopiques. D’autres scientifiques comprennent Vadim Gladyshev, à l’avant-garde de la recherche anti-âge à l’école de médecine de Harvard ; l’ingénieur en mécanique Alexander Gorlov, créateur d’une turbine éolienne dorénavant utilisée pour actionner les ascenseurs et les éclairages de la tour Eiffel, ainsi que des ingénieurs, scientifiques et hommes d’affaires vivant à Boston ou dans la Silicon Valley.
Leurs contributions à l’économie américaine comprennent le développement de la première technologie de reconnaissance graphologique utilisée par Apple qui est similaire au système utilisé pour vérifier les signatures sur les cartes de crédit et les reçus, explique Satinsky.
L’un d’entre eux a notamment aidé à établir l’une des entreprises de fabrication laser leader dans le monde — IPG Photonics, une firme basée dans le Massachusetts et propriété de l’immigrant russe Valentin Gapontsev — et de nombreux autres ont travaillé à des rôles de développement logiciel dans d’importantes compagnies américaines.
Des relations tendues
« Hammer and Silicon », publié par la maison d’édition Cambridge University Press au Royaume-Uni, sort alors que les relations entre la Russie et les Etats-Unis sont au plus bas.
Satinsky est l’ancien président de la Chambre de commerce Etats-Unis-Russie en Nouvelle-Angleterre, une instance qui a conseillé des hommes d’affaires américains désireux de travailler avec la Russie. Selon lui, la relation entre les deux pays était plus chaleureuse à l’époque de l’ex-Union soviétique – quand l’échange d’informations était banal entre les chercheurs – que ce n’est le cas maintenant.
Satinsky a commencé à se rendre en Russie pour affaires après l’effondrement de l’Union soviétique, important aux Etats-Unis de rares oxydes de terre comme le lithium – produit dérivé de la production de l’énergie atomique. Il dû toutefois quitter son emploi récemment : Il était consultant à l’université d’Etat de Moscou.
« Il est devenu politiquement incorrect en Russie de payer des Américains pour fournir des consultations en technologie », explique-t-il.
Les entreprises américaines ne souhaitent plus faire des affaires en Russie, craignant de rencontrer des difficultés avec le département d’Etat américain, ajoute Satinsky.
Des (o)missions honorables
Même si les auteurs du livre ont interviewé plus de 150 russes américains, quelques noms notables ont été omis – notamment celui du cofondateur de Google Sergey Brin, né en Russie dans une famille de diplômés de l’université d’Etat de Moscou et arrivé aux Etats-Unis à l’âge de six ans.
Satinsky précise que les auteurs ont bien tenté d’entrer en contact avec Brin, mais qu’ils ne sont pas parvenus à franchir la barrière du bureau de communication avec les médias de Google.
« Nous n’avons pas pu parler avec lui, nous ne sommes jamais allés à un endroit où il nous aurait personnellement répondu », dit Satinsky. « Nous avons parlé avec des gens qui travaillaient chez Facebook, Google et Microsoft. Ce que nous avons fait, c’est travailler avec les réseaux dont nous disposions pour nous entretenir avec les gens ».
Le fondateur de WhatsApp, Jan Koum, et Rus Yusupov, entrepreneur technologique américain né au Tajikistan qui a créé les applications Vine et HQ Trivia, n’ont pas été interrogés. Brin, Koum et Yusupov sont Juifs.
Malheureusement, si la majorité des anciens émigrés soviétiques ont bien réussi sur cette terre promise, certains scientifiques et entrepreneurs ont rencontré pour leur part la tragédie après leur installation. Sont absents également du livre Laura Shifrina et Ilya Zhitomirskiy.
Shifrina, une scientifique juive russe qui avait reçu le prix Staline pour son travail sur les système de défense anti-aérienne dans l’ex-Union soviétique, a ainsi été assassinée par son voisin de palier après s’être installée dans une banlieue de Boston. Le procès du meurtrier doit commencer au mois de mars.
Zhitomirskiy, développeur logiciel russe américain et co-fondateur de Diaspora — un réseau social à but non-lucratif qui appartient à ses utilisateurs – s’est suicidé à San Francisco à l’âge de 21 ans. Malgré sa jeunesse, Zhitomirskiy était l’une des personnalités juives et russes-américaines les plus importantes de l’économie high-tech et de l’innovation.
De plus, les auteurs n’ont pas pu s’entretenir avec Inessa Rifkin, fondateur juif biélorusse de l’Ecole de mathématiques russe, programme extrascolaire qui a dorénavant des campus dans sept états américains.
Ils ont également laissé de côté feu Alexei Abrikosov, arrivé aux Etats-Unis depuis la Russie en 1991 et lauréat du prix Nobel de physiques en 2003. Sa mère, Faina Abrikosova (née Wolf) était juive.
Interrogé sur la raison pour laquelle ces célèbres russes-américains n’ont pas été mentionnés, Puffer explique que « nous avons voulu mettre en lumière dans notre livre des personnalités qui n’étaient pas aussi connues ».
« Il y a eu de nombreuses contributions apportées par des gens venus de l’ancienne Union soviétique, mais elles se sont faites en coulisses », ajoute Puffer.
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