Chagai Tzuriel : L’agression iranienne s’est intensifiée plus vite que prévu
Le chef du ministère des Renseignements a déclaré qu'Israël ne cessera pas de faire respecter ses lignes rouges
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Cela fait longtemps qu’Israël tire la sonnette d’alarme face aux efforts livrés par l’Iran de s’ancrer militairement en Syrie mais la vitesse à laquelle la République islamique a intensifié son comportement agressif est surprenant, a déclaré un responsable des Renseignements dans la journée de dimanche, vingt-quatre heures après que les hostilités entre l’Etat juif et Téhéran ont connu un point d’orgue spectaculaire.
« C’est arrivé plus rapidement que ce à quoi on s’attendait », a expliqué Chagai Tzuriel, directeur-général au ministère des Renseignements. « La dynamique négative inhérente à la présence iranienne s’active peut-être plus vite que nous le présumions ».
Samedi, Israël a abattu un drone iranien après son entrée dans l’espace aérien depuis le territoire syrien. L’armée de l’air israélienne a alors attaqué en représailles des cibles iraniennes en Syrie, mais un avion-chasseur israélien a été abattu par les forces syriennes alors qu’il revenait en Israël, entraînant une seconde salve d’opérations militaires contre des systèmes de défense antiaérienne syriens spécifiques.
« Mon point de vue, c’est que ce qui est arrivé hier n’a pas fait son apparition seulement hier. Cela fait déjà très longtemps que cette dynamique est enclenchée », a déclaré Tzuriel au Times of Israel dans son bureau de Jérusalem. « Je ne devrais pas dire : ‘On vous l’avait bien dit’. Et pourtant, oui, on vous l’avait bien dit ».
Cela fait au moins 18 mois que Jérusalem met en garde contre la menace inhérente à la présence militaire iranienne en Syrie, a-t-il ajouté.
Les flambées de samedi entrent dans le cadre de la campagne iranienne en cours contre l’Etat juif, même si la République islamique ne s’intéresse guère actuellement à un conflit d’ampleur contre Israël, a poursuivi Tzuriel.
Suite à l’incident, des analystes de la sécurité israéliens se sont interrogés sur la raison qui aurait motivé Téhéran à intensifier les tensions à l’heure actuelle en envoyant un drone de l’autre côté de la frontière. Jusqu’ici, les activités anti-israéliennes de l’Iran s’exprimaient majoritairement verbalement ou via des groupes mandataires.
Sima Shine, ancien directeur-général adjoint au ministère des Affaires stratégiques, a déclaré dimanche que cette altercation était survenue au « pire moment » et qu’elle n’est pas dans l’intérêt des responsables politiques iraniens. Après tout, les agitations civiles continuent à couver dans les rues iraniennes et l’incident a mis encore davantage en exergue le fait que la république islamique investit des sommes énormes dans des guerres étrangères tout en étant réticente à améliorer sa propre économie nationale.
Tzuriel, qui a servi pendant 28 ans au sein du Mossad avant de prendre la barre du ministère des Renseignements, ne partage pas ce point de vue.
« Je ne pense pas que quelque chose comme ça soit arrivé sans autorisation préalable de Téhéran. Toutes ces choses doivent obtenir le feu vert de personnalités telles que [le haut-commandant des gardiens de la révolution islamique ] Qasem Soleimani. Je ne sais pas s’ils ont décroché leur téléphone pour ordonner que cet incident survienne en particulier. Mais je suis sûr que les Iraniens travaillent en fonction de directives générales, ce qui est très agressif », a-t-il noté.
De nombreux spécialistes considèrent les événements de samedi comme un tournant et déclarent que le conflit israélo-iranien est sorti de l’ombre et qu’il se disputera par conséquent dorénavant à découvert. Mais Tzuriel a hésité à qualifier l’envoi d’un drone de point de basculement dans l’agression iranienne contre l’Etat juif.
« C’est un processus », a-t-il dit. « S’agissait-il d’une initiative très problématique dans ce que nous avons qualifié de tendance générale susceptible à mener à l’escalade ? Oui, cela a été un événement majeur. Y a-t-il eu plus d’une ligne rouge de franchie ? Oui, c’est une évidence. Mais je ne voudrais pas aujourd’hui parler de point de basculement. Peut-être une autre action à l’avenir s’avérera l’être. Je suis donc prudent ».
L’initiative iranienne ne doit pas être non plus envisagée comme une tentative de détourner l’attention des problèmes dans le pays, a-t-il dit. « Elle entre dans le cadre d’une directive continue qui n’a pas changé depuis un moment maintenant. Les Iraniens traversent lentement toutes les lignes un peu roses pour ne pas donner l’impression d’une infraction majeure. Mais rétrospectivement, quand nous regardons en arrière, nous nous rendons compte du fait qu’une ligne très rouge a été franchie. C’est exactement ce qui nous inquiète ».
Préoccupés des agitations dans leur pays et par l’aide apportée à leurs alliés syriens dans la guerre civile, les Iraniens ne s’intéressent pas à une guerre totale avec Israël, présume Tzuriel. « Ils ont voulu montrer leurs muscles », a-t-il commenté.
« Mais ils veulent lentement mais sûrement empiéter sur notre souveraineté et que nous nous habituions – et les autres aussi – à les voir agir ainsi. Puis, un jour, vous ouvrez l’oeil et vous vous rendez compte que vous avez en Syrie la même situation que celle qu’il y a au Liban, avec un Hezbollah qui s’est implanté militairement avec pour seul objectif d’attaquer Israël. C’est exactement pour cela que nous avons réagi ainsi hier, pour dire : Non, cette approche graduelle ne fonctionnera pas ici – même si cela signifie que notre réponse doit être forte ».
Malgré les représailles sévères contre des cibles iraniennes en Syrie, il est probable que Téhéran « fera des choses similaires à l’avenir, » a-t-il dit.
Et même après avoir perdu un F-16, Israël continuera à agir à chaque fois que l’Iran tentera de trafiquer des armes ou de s’ancrer militairement en Syrie, a-t-il averti. « Mon sentiment est qu’Israël n’abaissera pas ses standards à cet égard. A chaque fois qu’il y aura une tentative de franchir l’une des quatre lignes rouges, Israël fera ce que le pays a déjà fait et ce qu’il doit faire ».
Les quatre lignes rouges de l’Etat juif sont le transfert d’armes avancées depuis l’Iran vers la Syrie ou le Liban, les brèches dans la souveraineté israélienne, les tentatives iraniennes d’établir des bases militaires en Syrie et la construction par l’Iran d’une usine locale de fabrication de missiles au Liban, a-t-il expliqué.
« Israël ne se départira pas de ces lignes rouges », a ajouté Tzuriel. « Nous ne nous laisserons pas affecter par les événements de samedi ».