Cisjordanie : ce n’est pas la promesse de souveraineté qui fait voter
Les électeurs, de trois communautés israéliennes situées au-delà de la Ligne verte, se sont rendus aux urnes en pensant à la sécurité et à la religion - pas à l'annexion
Alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a promis, dans un ultime virage, d’étendre la souveraineté israélienne aux implantations s’il est réélu, il aurait été facile de s’imaginer que les Israéliens, en Cisjordanie, s’étaient rendus mardi aux urnes dans un élan nouveau – au vu de ce qui a paru comme une chance de cimenter le mouvement qu’ils ont contribué à construire.
Mais qu’ils aient cru ou non aux paroles du Premier ministre, ostensiblement paniqué, prononcées lors d’une interview réalisée samedi soir, la question de l’annexion semble être en fait secondaire pour les citoyens vivant au-delà de la Ligne verte lorsqu’ils entrent dans l’isoloir.
« On parle en permanence d’annexion, d’évacuation. Finalement, je suis encore là… Il ne semble pas que quoi que ce soit doive changer », commente Yitzhak Kroter, un résident d’Ariel de 62 ans, à son arrivée dans un centre communautaire où il déposera un bulletin pour le Likud, comme il l’a toujours fait.
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Cherchant à obtenir la représentation la plus large possible des différentes positions des habitants des implantations, le Times of Israel en a visité trois au cours des premières heures du scrutin : Ariel, la plus laïque ; la ville ultra-orthodoxe d’Emmanuel et la communauté largement nationaliste et religieuse de Karnei Shomron.
« Seulement Bibi » à Ariel
À Ariel, moins d’une dizaine de résidents étaient présents à 7 heures du matin, heure d’ouverture des bureaux de vote. En ce jour férié, les habitants ont peu de raison de se lever à l’aube. Mais malgré l’heure matinale, il y a de l’animation. Un homme tente encore de convaincre ses voisins de voter pour le Parti travailliste, alors qu’ils attendent l’ouverture du bureau.
« Qu’a fait Bibi pour vous ? Dites-moi ! », s’exclame-il, alors que ses interlocuteurs, impassibles, se contentent de lever les yeux au ciel.
« Vous êtes sûr que vous êtes originaire d’ici ? », plaisante une femme en réponse.
L2gèrement en retrait, Svetlana Ushkoff, 62 ans, arrivée d’ex-URSS, explique compter donner sa voix au Likud comme elle l’a toujours fait « à cause de la sécurité. Il y a des attentats terroristes dans les environs en permanence. C’est important d’avoir quelqu’un qui sait comment gérer de tels dossiers ».
Elle ajoute que la promesse faite par Netanyahu sur l’élargissement de la souveraineté israélienne lui a donné une raison supplémentaire de voter pour lui, mais qu’elle avait déjà pris sa décision depuis longtemps.
Ushkoff fait partie des quelque 6 000 immigrants d’ex-Union soviétique vivant à Ariel – une ville de plus de 20 000 habitants qui a fêté l’année dernière son 40e anniversaire. « Un grand nombre de mes amis votent pour Liberman », explique-t-elle, se référant au leader de la formation Yisrael Beytenu. « Ils disent que c’est parce qu’il est russe. »
Lors du dernier scrutin, il y a quatre ans, 16 % des habitants d’Ariel avaient voté pour Yisrael Beytenu, le deuxième parti le plus populaire au sein de l’implantation après le Likud, qui avait remporté 46 % des suffrages.
Même s’il se trouve dans une ville, l’ambiance dans le bureau de vote a des airs de village. La responsable des lieux, Sharon Harel, offre des cafés aux électeurs qui font la queue.
« Je connais tous ceux qui viennent », s’enorgueillit Harel. « Au cours des deux dernières élections, j’ai remarqué que les résidents sont davantage sensibles aux problèmes et qu’ils ne viennent pas seulement pour voter, mais bien pour avoir une influence sur les choses. »
A Emmanuel, c’est la religion, idiot !
Les chiffres sont similaires dans les bureaux de vote de la ville d’Emmanuel, à environ huit kilomètres au nord.
Vers 8 heures 30 du matin, les préposés au bureau de vote installé dans un centre pour seniors, au sein de l’implantation ultra-orthodoxe, affirment qu’approximativement 50 résidents sont venus déposer leur bulletin dans l’urne.
« Il est encore tôt. Le taux de participation devrait atteindre les 80 % comme cela a été le cas dans le passé », prédit l’un d’entre eux.
Le trottoir menant au bureau de vote est recouvert de bulletins du Shas et de YaHadout HaTorah – qui ont reçu le soutien de plus de 50 % des habitants au cours des deux derniers scrutins.
Les huissiers sur place affirment que la pluralité des votes restants, dans cette ville d’environ 4 500 résidents, ira à l’Union des partis de droite – grâce au soutien écrasant des habitants Habad à Otzma Yehudit, la faction d’extrême-droite qui a fusionné avec l’alliance conclue au début de l’année entre l’Union nationale et HaBayit HaYehudi.
Pour Zachariah Tzabari, malgré tout, le parti non harédi ne présente aucun attrait. « Le Shas seulement ! », s’exclame-t-il alors qu’il sort du bureau de vote.
Cet homme de 86 ans dit soutenir depuis longtemps la faction ultra-orthodoxe mizrahie en raison de l’importance que le parti accorde aux questions religieuses. « C’est ça, le plus important. On est tous des Juifs, non ? », dit-il.
Tzabari n’a pas entendu parler des projets de Netanyahu pour la Cisjordanie, même s’il se montre finalement peu troublé par la nouvelle. « C’est bien, je pense, mais ça ne me touche pas vraiment ».
Entrant dans le bureau de vote au moment où Tzabari s’en va, Orel Zanbar confie qu’après y avoir beaucoup réfléchi, il votera pour le Shas.
« La dernière fois, j’ai voté pour le Yachad », explique-t-il, se référant à un parti d’extrême-droite dirigé par l’ex-ministre Eli Yishai, ancien leader du Shas, qui n’était pas parvenu à franchir le seuil d’éligibilité en 2015. « Ce sont là mes valeurs, mais quand j’ai vu que le Shas rencontrait des difficultés dans les sondages, j’ai considéré qu’il était important de le soutenir parce que c’est ce parti qui se préoccupe le plus des communautés en difficulté comme celle-ci ».
Le jeune homme de 26 ans s’est dit heureux d’apprendre le projet du Premier ministre de normaliser le statut des implantations de Cisjordanie, mais que ce n’est pas pour autant ce qui l’intéresse le plus. Un autre jeune, qui se présente comme étant un électeur de YaHadout HaTorah, entend les propos d’Orel Zanbar et acquiesce d’un mouvement de la tête. « Ce n’est pas l’essentiel », lâche-t-il, se référant à la promesse d’annexion.
Alors qu’un petit regroupement commence à se former dans le bureau, le maire d’Emmanuel, Eliyahu Gafni, arrive et salue les électeurs.
« Ce qui est unique à Emmanuel, c’est le calme qu’il y a ici. Il y a les élections, le ménage de Pessah et un million d’autres choses et pourtant, il y a toujours le même sentiment de tranquillité », dit-il, souriant.
À Karnei Shomron, croire ou ne pas croire Bibi
Vers 9 heures 30, dans l’implantation voisine de Karnei Shomron, plus d’une centaine de personnes ont envahi la place située aux abords de l’une des écoles élémentaires de la municipalité où plusieurs bureaux de vote ont été installés.
Des militants du Likud, de HaYamin HaHadash, de l’Union des partis de droite, du Zehut et même de Kakhol lavan colorent le périmètre de la place de différentes nuances de bleu.
Il y a 8 500 résidents dans cette implantation connue pour être un moteur du parti national religieux HaBayit HaYehudi, lequel y a remporté presque 45% des suffrages lors des deux derniers scrutins.
Le président du conseil local de Karnei Shomron, Yigal Lahav, dit s’attendre à un changement lors de ces élections après le départ de Naftali Bennett et d’Ayelet Shaked de HaBayit Hayehudi et la formation consécutive du parti HaYamin HaHadash.
Lahav, qui est lui-même un membre du Likud, prédit que le parti au pouvoir – qui, dans le passé, a obtenu environ 30 % des votes – surpassera probablement l’itération actuelle de HaBayit HaYeudi, l’Union des partis de droite, pour la toute première fois ce mardi.
Parmi ceux décidés à faire de cette prédiction une réalité, Geula Levy. Cette électrice de longue date du Likud explique avoir une fois encore mis le bulletin du parti de Netanyahu dans l’enveloppe, parce que le Premier ministre « m’apporte un sentiment de sécurité ».
« La sécurité, c’est ce qu’il y a de plus important, et je me sens véritablement en sécurité avec lui au poste », explique-t-elle.
Interrogée sur la promesse d’annexion de Netanyahu, Levy se met à rire.
« Vous me posez une question sur la politique. Cela ne m’intéresse pas ».
Tammy et Yehoshua Paul écartent également la promesse de Netanyahu, mais pour une raison différente.
« Oui, ce serait formidable mais il ne le fera pas », dit Yehoshua, sa fille dans les bras. « Ce ne serait pas de toute façon la raison qui me pousserait à lui apporter mon soutien ».
Le jeune père reconnaît toutefois avoir voté pour le Likud, appréciant la position du parti sur les implantations. Il cite le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, la déclaration de Donald Trump au sujet du plateau du Golan et le rapatriement de la dépouille de Zachary Baumel, soldat israélien tombé au combat, depuis la Syrie pour démontrer ce que seul Netanyahu a été capable de faire.
Son épouse exprime un sentiment différent.
« La même personne ne devrait pouvoir rester au pouvoir aussi longtemps que ça a été le cas pour Bibi. Tandis que je ne pense pas qu’il y ait eu vraiment des choix particulièrement enthousiasmants, je n’ai pas eu envie de voter encore une fois pour lui », dit Tammy, qui ajoute avoir apporté sa voix au Gesher, parti en difficulté, qui s’est fait le chantre de politiques économiques axées sur le social.
Les jeunes parents – des immigrants du Royaume-Uni et de Boston – disent que s’ils s’attendent à ce que le Likud bénéficie de la plus grande partie des soutiens à Karnei Shomron, ils pensent que Zehut pourrait également être bien représenté.
Le président du parti pro-légalisation du cannabis, Moshe Feiglin, habite l’implantation. « Il est quelque peu clivant ici, mais il y a beaucoup de gens, et en particulier les jeunes, qui l’apprécient vraiment », dit Tammy.
« Je connais pas mal de partisans de HaYamin HaHadash », renchérit Yehoshua.
Un électeur du parti HaYamin HaHadash sort justement du bureau de vote.
Ce natif de Chicago, qui se présente seulement sous le nom de Michael, dit avoir été un partisan de longue date de HaBayit HaYehudi, mais il est en désaccord avec la décision prise par le parti nationaliste religieux de fusionner avec Otzma Yehudit.
« Ca va trop loin pour moi », explique l’homme de 79 ans, une casquette de baseball des Chicago Cubs vissée sur la tête.
Dans la veine des électeurs peu impressionnés par la promesse de Netanyahu d’étendre la souveraineté israélienne aux communautés de Cisjordanie telles que la sienne, Michael lâche : « C’est des conneries ».
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