Comment cette enseignante d’école hébraïque est devenue croupière à Las Vegas
Pour Orly Graves, il y a beaucoup de similarités entre dispenser une éducation juive et distribuer des cartes à Sin City — mais le salaire n'en est certainement pas une

LAS VEGAS (JTA) — Orly Graves ne réfléchit pas à deux fois quand elle aperçoit vers minuit un groupe d’amis s’asseoir à la table de blackjack et sortir 1 000 dollars de leurs poches. Elle leur fait des compliments sur leurs chaussures, saisit un crochet et le fixe sous la table pour que l’une des femmes y accroche son sac.
« C’est ce qu’on fait, on anticipe leurs besoins avant eux », explique-t-elle.
Née il y a 59 ans en Israël, Orly Graves est chargée de surveiller les tables de blackjack au Wynn Las Vegas, un hôtel cinq étoiles et casino sur le célèbre Strip. Elle travaille de nuit — de 20 heures à 4 heures du matin — cinq jours par semaine. Ancienne croupière elle-même, elle veille à ce que les croupiers fassent bien leur travail, qu’il ne manque pas un centime et que les clients soient satisfaits.
Elle a grandi dans la ville de Petah Tikva avant de se rendre aux États-Unis où elle avait décroché une bourse universitaire de basketball en 1980. Elle travaille dans le domaine des jeux par intermittence depuis 20 ans. Entre deux boulots, elle a travaillé dans une école juive locale et deux écoles hébraïques rattachées à une synagogue où elle enseignait l’hébreu et les études juives.
Même si les deux professions semblent à des années-lumière l’une de l’autre, elle soutient que non.
La Jewish Telegraphic Agency s’est entretenue avec elle pour en savoir plus sur la pratique du métier de croupier dans la ville du vice. La conversation a été éditée pour des questions de clarté et de longueur.
JTA : Comment vous êtes-vous retrouvée à travailler dans un casino ?
Orly Graves : J’étais institutrice. J’adorais ça. À l’époque, mon petit-ami, devenu mon mari il y a trente ans, était manager dans un casino. Je n’aimais pas du tout les casinos. Je ne voulais pas m’y impliquer.
L’enseignement, c’est dur financièrement. On gagne quoi, 32 ou 35 000 dollars par an ? J’étais folle amoureuse des enfants, c’était ma passion.
Alors un jour, mon mari m’a dit : « Pourquoi tu ne vas pas à l’école de croupiers ? », je lui ai répondu : « Je n’en ai pas du tout envie. Mais tu sais quoi ? Je vais essayer. » J’y ai passé trois jours, et on m’a embauchée.
J’ai donc été croupière pendant quelques années, et je jonglais entre les deux. L’enseignement et les casinos. Je gagnais beaucoup d’argent en tant que croupière, parce que je dépendais des pourboires. On est payé au salaire minimum plus les pourboires.
J’ai été recrutée — non pas pour mes talents de croupière, mais pour mes aptitudes relationnelles. C’est une activité basée sur le relationnel.

Dites-m’en plus à ce sujet. Pourquoi le relationnel compte dans un casino ?
C’est comme pour tout dans la vie, quand vous allez au restaurant, au spa, où n’importe où où vous voulez qu’on s’occupe de vous, vous avez envie d’avoir une attention particulière. Alors les compétences relationnelles consistent à interpréter les gens, à se montrer accueillants avec eux.
On a affaire à des gens qui dépensent 15 dollars et des gens qui peuvent débourser des millions, c’est là que se trouve la différence. On a des joueurs de football américain, des acteurs, actrices — ils veulent tous être très bien traités, alors il faut savoir s’y prendre.
Étiez-vous intimidée au début lorsque des gens pariaient de grandes sommes d’argent ?
Oui, j’avais très peur au début. « Oh, des jetons de 25 000 dollars ! » Mais maintenant, c’est juste un jeton pour moi. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens — j’adore quand ils reviennent et qu’ils me réclament. C’est ce qu’ils font quand vous leur avez fait passer un très bon moment.
Vous avez évoqué les sommes conséquentes que vous gagnez en travaillant ici. À quoi vous a servi cet argent ?
J’ai pu envoyer ma fille dans l’enseignement privé du CP à la fin du lycée. Ça représente beaucoup d’argent. C’était un grand sacrifice, et ça s’est avéré payant. J’ai beaucoup de chance d’avoir eu cette opportunité.
Quels genres de sacrifice avez-vous dû faire ?
Quand on gagne beaucoup d’argent, ça peut vous monter à la tête. Vous pouvez décider de tout dépenser. Et je pense avoir fait un sacrifice en ne dépassant pas cet argent et en permettant à ma fille de fréquenter une école privée.
Avec un salaire d’enseignante, il est impossible de payer à son enfant une école juive privée aux États-Unis ; c’est scandaleux. Et ce travail me l’a permis.
C’est un grand changement de passer d’enseignante dans une école hébraïque à croupière.
C’est pareil. Travailler avec de jeunes enfants et des gens ivres la nuit — c’est la même chose. Ça me parait sensé. J’y vois une certaine logique.
Ici, on fait aussi dans l’éducation, l’enseignement. Quand une bande de jeunes de 21 ans ne sait pas se comporter quand ils boivent, je leur dis : « Hé, que dirait votre mère si elle vous voyait baisser votre pantalon ? »
Mais les deux cadres semblent quand même très différents l’un de l’autre.
Ils le sont, en effet. Surtout ici, il y a beaucoup de joueurs de premier rang, des gens qui vont dépenser trois, quatre, cinq-cent dollars la nuit d’hôtel. Alors comment avez-vous envie qu’on s’occupe de vous ? Comme une princesse, non ? C’est ce qui compte au final.
J’ai remarqué que vous portiez une étoile de David. Vous la portez tous les jours au travail ?
Tous les jours. Et on me fait beaucoup de commentaires à ce sujet — certains positifs, d’autres négatifs.
Les Juifs qui viennent ici adorent voir que je suis fière de la porter et que je n’ai pas peur.
Et quand des Arabes viennent — je comprends très bien l’arabe — ils disent : « Elle est Juive. » Ils pensent peut-être que je vais les traiter différemment, mais c’est tout l’inverse, je veux qu’ils se sentent les bienvenus, car je n’ai aucun problème avec eux. C’est ouvert à tous tant qu’on se comporte bien.