Comment commémorer l’attaque de la synagogue de Pittsburg en 2018 ?
Alors que le procès de la fusillade meurtrière vient de s'ouvrir, les représentants de la communauté disent "faire Juif" pour répondre au traumatisme du massacre
PITTSBURGH (JTA) — En ce vendredi après-midi, le quartier de Squirrel Hill de Pittsburgh, en proie à l’animation propre à l’arrivée du Shabbat, est bercé par un vent printanier qui fait légèrement onduler les fleurs roses des cornouillers.
Les enfants escaladent la cage à poules installée sur le terrain de jeu du centre communautaire et les discussions, dans les cafés, évoquent largement les intempéries menaçantes qui risquent de tremper les fidèles désireux de se rendre à pied à la synagogue, samedi. Et les étals de hallah commencent déjà à se vider au Murray Avenue Kosher.
Il y a peu d’indications, au moins en surface, que la matinée de lundi marquera un tournant dans ce qui a été le plus important traumatisme de la communauté. Lundi, ce sera le jour où la sélection du jury sera effectuée dans le procès de l’homme accusé d’avoir ouvert le feu dans une synagogue lors d’une matinée de Shabbat comme les autres, le 27 octobre 2018. Il avait massacré 11 fidèles dans un lieu de culte situé à dix minutes du centre de ce quartier verdoyant, à l’importante population juive, dans ce qui avait été l’attaque antisémite la plus meurtrière de toute l’Histoire des États-Unis.
Mais en coulisses, des signes évidents démontrent que ce rapprochement de la date du procès a bien des conséquences. Maggie Feinstein, directrice du 10/27 Healing Partnership, qui propose des thérapies post-traumatiques aux membres de la communauté, explique qu’à l’approche du début des audiences, les demandes de prises en charge ont grimpé en flèche.
« Des indices largement liés à des l’expérience du traumatisme nous avaient d’abord inquiétés tout de suite après la fusillade. Certains ne supportaient plus le bruit des ambulances ; d’autres étaient angoissés par les médias, pour d’autres encore, c’était le bruit des voitures de police se déplaçant à plusieurs qui était devenu intolérable », explique-t-elle. « Mais aujourd’hui, le renforcement de l’attention portée par les médias au procès, l’approche toujours plus grande des audiences font revivre ces traumatismes à un certain nombre de gens qui, peut-être, ne s’étaient pas encore suffisamment rétablis. »
Trois congrégations étaient réunies dans le bâtiment qui avait été attaqué : Tree of Life et New Light, qui sont toutes les deux affiliées au mouvement massorti et Dor Hadash, du mouvement reconstructionniste.
Le fusillade avait fait onze victimes : deux frères, Cecil et David Rosenthal ; un couple, Bernice et Sylvan Simon, Rose Malinger, Joyce Fienberg, Richard Gottfried, Jerry Rabinowitz, Daniel Stein, Melvin Wax et Irving Younger. Sept appartenaient à la congrégation Tree of Life, trois à New Light et une à Dor Hadash.

Pour les familles, les amis et les congrégations des victimes, et pour la communauté juive plus largement, les séquelles de ce massacre se manifestent. Il y a ainsi un désir de contrôle profond, un désir de ne plus jamais avoir à penser encore au tireur et à la souffrance qu’il avait laissée dans son sillage. Il faut également tenter de composer avec les tendres souvenirs partagés avec les défunts et avec les décennies passées dans le bâtiment meurtri, des années qui s’étaient déroulées dans la prière et dans la joie.
Qui donc raconte cette histoire – est-ce le tireur ? Sont-ce ses victimes ? La bataille est dorénavant imminente avec la traduction du meurtrier présumé devant la justice. La communauté est aux prises avec des questions différentes : Où placer ces reliques qui ont été criblées de balles ? Faut-il encore organiser des services dans la synagogue prise pour cible ? Faut-il seulement continuer à parler du massacre et l’homme qui comparaîtra dès lundi devra-t-il continuer à vivre ou doit-il mourir ?…
»Nous croyons fortement que cette attaque antisémite ne devrait pas empêcher les gens de pratiquer leur religion et d’être Juifs », déclare Feinstein. « Pour beaucoup de gens, c’est un choix actif auquel ils devront s’atteler à un moment ou à un autre. Ce n’est pas facile, lorsque vous ne vous êtes pas senti en sécurité dans un environnement donné, de vous y sentir en sécurité à nouveau. Mais un grand nombre de personnes ont pris la décision de faire ce choix ».

Vendredi, Feinstein a proposé des services de soutien aux familles qui, si elles le décident, prendront place dans une pièce séparée du tribunal d’où elles pourront assister au déroulement du procès (les membres des familles peuvent aussi réclamer de siéger dans la salle d’audience). Elle a fait appel à six thérapeutes de manière à ce qu’ils puissent se tenir aux côtés de ces familles.
En plus d’un traumatisme ravivé, les familles sont divisées sur une question : celle de savoir si le tireur, s’il devait être reconnu coupable, doit être condamné à la peine capitale. L’accusé a fait appel à une avocate, Judy Clarke, connue comme « l’avocate des damnés » pour sa détermination à éviter l’exécution à ses clients.
Ce qui est clair, c’est que les Juifs de Squirrel Hill abordent le procès avec l’esprit de collaboration qui les distingue. La communauté a embauché des spécialistes des relations publiques pour qu’ils répondent aux demandes soumises par les médias avant le début des audiences, en partie pour éviter aux locaux de devoir répondre à des questions susceptibles de les atteindre ou d’ébranler le sentiment d’unité. Les fidèles contactés par la JTA ont ainsi renvoyé l’agence à une liste de contacts approuvés qui a été distribuée par des agences de relations publiques.
Vendredi après-midi, les signes d’unité qui avaient envahi la ville dans le sillage immédiat de l’attaque sont encore visibles. A la fenêtre d’un tabac, un panneau avec le slogan « Pas de place pour la haine/Plus forts que la haine » – un slogan dont la présence s’était multipliée dans tout le quartier au lendemain de la fusillade – est encore en place, côtoyant un drapeau et une publicité pour le loto. Sur la vitrine d’un Starbucks, des dessins réalisés à la peinture blanche dépeignant « l’amour », « l’espoir » et « la bonté » en anglais et en hébreu, avec trois symboles : une étoile de David, un cœur et une colombe.

Des représentants de la communauté disent qu’ils ont essayé de « faire Juif » pour s’adapter à la situation, notamment en redoublant d’efforts dans les activités mêmes qui avaient attisé la fureur de l’attaquant présumé – l’alliance conclue avec la minorité afro-américaine de la ville, la sensibilisation à la défense de l’immigration et des réfugiés et la promotion du contrôle des armes.
En effet, l’homme armé avait été partiellement motivé pour commettre la fusillade par le partenariat établi entre Dor Hadash et l’HIAS, le groupe juif d’aide aux réfugiés et par le parrainage, par des fidèles de la congrégation, de familles de réfugiés.
« Au contraire, nous avons redoublé d’efforts en faveur des immigrants et des réfugiés », explique Dana Kellerman, responsable de la commission de la communication au sein de Dor Hadash. « Nous sommes actuellement en train de terminer notre toute première année de travail sur un nouveau programme visant à réinstaller une famille d’immigrants congolais à Pittsburgh et nous avons bien l’intention, lorsque nous aurons fini, de nous occuper d’une deuxième famille. »
Kellerman explique que l’attaque « s’est franchement intégrée dans l’arrière-plan de notre existence aujourd’hui. » Suivant les règles émises par sa congrégation dans le but de protéger la communauté, Keller se refuse à évoquer le jour du massacre, la peine de mort ou d’autres détails du procès. Mais elle parle avec plaisir de la manière dont sa congrégation s’est raccrochée aux valeurs qui étaient les siennes depuis si longtemps déjà – ces valeurs honnies par le meurtrier.
« Nous sommes devenus plus visibles, plus ouverts sur la pratique de notre judaïsme », souligne-t-elle. Aujourd’hui, ajoute-t-elle, la congrégation évoque pendant ses offices sa défense des réfugiés, avec des lectures liturgiques portant sur la question de l’immigration.
Il y a eu d’autres changements. « On a des casquettes maintenant ! On a des casquettes de base-ball ! » s’exclame-t-elle avec un sourire, montrant une photo d’elle portant une casquette blanche sur laquelle est écrit « Dor Hadash » à côté d’une représentation stylisée d’une étoile de David en bleu.
« Avant, on se présentait tels qu’on était, de manière individuelle – et aujourd’hui, on se présente avec nos casquettes de base-ball Dor Hadash », indique-t-elle. « La mienne ne cesse pas de tomber de ma tête ».
Steve Cohen, co-président de New Light, déclare que la relation entretenue entre sa congrégation et les églises afro-américaines de la ville a gagné une nouvelle intensité depuis le massacre. Le rabbin de la congrégation et les fidèles qui maîtrisent l’hébreu s’associent aux églises pour analyser les textes sacrés dans la langue.
« Nous avons amené nos Tanakh [Bibles en hébreu] et la congrégation chrétienne a amené sa bible. Ensuite, nous avons parlé des Proverbes, nous les avons parcourus non seulement pour savoir quelle était l’intention de l’auteur quand ils ont été écrits mais aussi pour déterminer comment les mêmes mots pouvaient être traduits pour laisser entendre différentes choses », explique-t-il. « Et nous avons ainsi examiné tout le Livre des Proverbes avec l’église baptiste de la rue Rodman et, l’hiver dernier, nous avons travaillé sur les Psaumes avec les fidèles de l’église de la Destinée, qui se trouve au nord de la ville. »

Après le massacre, la congrégation New Light s’est inspirée des témoignages des survivants de l’attaque lancée contre l’église Emanuel de Charleston, en Caroline du sud, une attaque commise en 2015 où un suprématiste blanc avait tué neuf fidèles afro-américains, dit Cohen. Les leaders de New Light se sont rendus à l’église, où les anciens leur ont confié qu’il n’était pas suffisant de soigner les fidèles traumatisés par la tuerie mais la communauté toute entière. Ils ont expliqué qu’il fallait entrer en contact avec tous les membres de la congrégation pour les inciter à revenir.
« Ce qui est en grande partie la raison pour laquelle nous avons de nombreux fidèles qui ne venaient pas à la synagogue et qui y viennent dorénavant », note-t-il.
Feinstein fait également remarquer qu’elle a assisté à une nouvelle ferveur dans la pratique religieuse et rituelle parmi ses clients : ils sont plus nombreux à assister aux services du Shabbat, plus nombreux à former le quorum quotidien pour la prière et il est devenu plus facile de trouver un partenaire pour l’étude de la Torah.
Pour Kellerman, la communauté s’est rapprochée : elle constate ce phénomène par le nombre de membres qui s’attardent dorénavant à la synagogue. « Cela se perçoit dans des choses différentes, comme dans le nombre de gens qui viennent aux offices du vendredi pour le Shabbat et qui restent là, à discuter, ou qui viennent un peu plus tôt pour pouvoir bavarder avec les autres », dit-elle.
Dans ces jours qui mènent au procès, la communauté a fait un dernier adieu à la relique la plus importante de cette journée douloureuse : le bâtiment imposant situé à l’angle des rues Wilkins et Shady, qui est resté vide depuis cette date fatidique. Les trois congrégations sont parties dans des synagogues voisines, laissant derrière elles la synagogue, dorénavant fermée par des clôtures en fer recouvertes de dessins réalisés par des enfants de tout le pays.

« Plus personne n’est allé dans la synagogue depuis le jour de la fusillade », commente Carole Zawatsky, directrice générale de la congrégation Tree of Life, qui est chargée de superviser le programme de remplacement du bâtiment. Les seuls à être retournés dedans, explique-t-elle, ont été les survivants du massacres et « les amis particuliers – les personnalités finançant la relocalisation de la congrégation et les politiciens. »
Zawatsky déclare que le simple fait d’envisager d’entrer à nouveau dans le bâtiment est déchirant pour certains. « On peut traverser le bâtiment et voir où le tireur a fait son massacre », dit-elle. « On peut voir où le tireur a été arrêté, où il a ouvert le feu. C’est une expérience dévastatrice à vivre ».
Mais certains ont malgré tout l’intention d’y retourner : Tree of Life a perdu sept fidèles, mais prévoit de revenir là où l’horreur a été commise lorsque le bâtiment sera reconstruit, transformé en musée et en centre d’éducation consacré aux dangers de l’extrémisme.
Dimanche, la congrégation Tree of Live a organisé une cérémonie en plein air pour dire « L’hitraot » – « à la prochaine » en hébreu – au bâtiment tel qu’il a existé jusqu’à maintenant.
« Nous remercions Dieu pour les milliers de bénédictions qui ont eu lieu ici », a déclaré le rabbin Jeffrey Myers, le rabbin qui avait accueilli les fidèles et alerté la police, lors de la cérémonie. « Nous ne pouvons pas et nous ne pouvons pas permette qu’un seul jour… en vienne à nous redéfinir ou à prendre le pas sur toutes les choses formidables que nous avons vécues ici ».
Le projet du nouveau centre a été confié à Daniel Libeskind, l’architecte qui avait travaillé sur le plan directeur de la reconstruction du site du World Trade Center et qui a aussi conçu le musée juif de Berlin.
Mais Dor Hadash et New Light ont décidé, pour leur part, que leur relocalisation serait permanente, les familles des victimes ayant juré de ne jamais retourner dans le bâtiment.
La congrégation New Light s’est dorénavant installée dans ce qui était autrefois une chapelle secondaire de la synagogue Beth Shalom. Des plaques ont été posées en hommage aux donateurs et aux présidents, sur les murs du sanctuaire. Le seul signe du massacre sont les mille grues en papier données par la communauté japonaise de Pittsburgh à la congrégation : selon une tradition japonaise, ces grues pliables sont un porte-bonheur. Elles ont été accrochées à l’entrée du sanctuaire, sans plaque expliquant leur présence. Il y a un monument en vitrail à la mémoire des trois victimes au cimetière où ces dernières reposent dorénavant.
Même si la congrégation Tree of Life s’est jurée de retourner dans le bâtiment, un grand nombre de fidèles s’interrogent sur ce à quoi il ressemblera à l’avenir. La congrégation doit encore décider quels objets retourneront dans le sanctuaire, ce qui restera dans l’entrepôt et ce qui fera partie d’une exposition distincte, explique Zawatsky.
« Le premier travail qui est à faire pour la synagogue, c’est de se poser la question : ‘Quelles sont les choses que nous devons sauvegarder et que nous devrons entreposer pendant les travaux de construction ? », dit-elle.
Sous certains aspects, le travail de reconstruction pourrait être similaire, d’une certaine manière, à l’exercice d’équilibriste auquel la communauté devra se livrer pendant le procès du tireur présumé.
« Nous réfléchissons profondément à la manière dont il est possible d’utiliser certains de ces objets », continue Zaslavsky, « en utilisant des moyens qui seront à la fois riches en enseignement et qui ne réveilleront pas à nouveau le traumatisme ».
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