Israël en guerre - Jour 432

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Analyse

Comment Donald Trump, le chouchou de la droite israélienne, a revigoré Abbas

La coalition israélienne rêvait d’accords régionaux, d’une extension rapide des implantations et d’une Maison Blanche qui resterait froide vis-à-vis de l’AP. A la place, le président américain est en route pour Bethléem afin de rencontrer son nouvel ami palestinien

Avi Issacharoff est notre spécialiste du Moyen Orient. Il remplit le même rôle pour Walla, premier portail d'infos en Israël. Il est régulièrement invité à la radio et à la télévision. Jusqu'en 2012, Avi était journaliste et commentateur des affaires arabes pour Haaretz. Il enseigne l'histoire palestinienne moderne à l'université de Tel Aviv et est le coauteur de la série Fauda. Né à Jérusalem , Avi est diplômé de l'université Ben Gourion et de l'université de Tel Aviv en étude du Moyen Orient. Parlant couramment l'arabe, il était le correspondant de la radio publique et a couvert le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et l'actualité des pays arabes entre 2003 et 2006. Il a réalisé et monté des courts-métrages documentaires sur le Moyen Orient. En 2002, il remporte le prix du "meilleur journaliste" de la radio israélienne pour sa couverture de la deuxième Intifada. En 2004, il coécrit avec Amos Harel "La septième guerre. Comment nous avons gagné et perdu la guerre avec les Palestiniens". En 2005, le livre remporte un prix de l'Institut d'études stratégiques pour la meilleure recherche sur les questions de sécurité en Israël. En 2008, Issacharoff et Harel ont publié leur deuxième livre, "34 Jours - L'histoire de la Deuxième Guerre du Liban", qui a remporté le même prix

Le président américain Donald Trump avec le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, le 3 mai 2017. (Crédit : Mandel Ngan/AFP)
Le président américain Donald Trump avec le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, le 3 mai 2017. (Crédit : Mandel Ngan/AFP)

Si l’on devait tirer une seule conclusion de la visite du 3 mai dernier du président de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas à la Maison Blanche, et du voyage prévu par le président américain Donald Trump en Israël et dans les territoires contrôlés par l’AP à la fin du mois, c’est que l’illusion entretenue par certains des dirigeants israéliens sur la possibilité de retirer la question palestinienne de l’ordre du jour mondial disparaît rapidement.

La coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu parle depuis des mois de la possibilité d’un accord régional, soulignant la haine ostensible des dirigeants arabes pour les Palestiniens et pour Abbas. Lui et certains de ses ministres ont laissé entendre qu’Israël pourrait même conclure un accord avec les Saoudiens sans mentionner du tout le conflit israélo-palestinien.

Mais Trump, l’enfant chéri du gouvernement israélien et du Conseil de Yesha (qui représente les implantations), a été plus « obamesque » encore que le président Barack Obama, en remettant Abbas au centre de la scène diplomatique. L’administration américaine a clairement fait savoir que, bien loin d’ignorer Abbas et les Palestiniens, comme certains officiels l’avaient espéré, Trump le traitera avec des gants blancs.

Trump a invité Abbas à lui rendre visite, il a écouté l’exposé diplomatique (assez long) de la délégation palestinienne, a été surpris par l’ampleur de la coordination sécuritaire entre l’armée israélienne et l’AP, et en est apparemment arrivé à la conclusion que les Palestiniens ne sont peut-être pas les seuls qu’il faut accuser de l’échec des pourparlers de paix. Il a écouté avec approbation lorsqu’Abbas, pendant leur conférence de presse commune, a affirmé que l’AP « éduque notre jeunesse […] dans une culture de paix ». Il a salué Abbas pour avoir critiqué les groupes terroristes. Il a salué le partenariat actuel américain avec les Palestiniens pour la sécurité régionale.

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, à droite, avec Jason Greenblatt, conseiller et envoyé spécial du président américain pour les négociations internationales, au bureau d'Abbas à Ramallah, en Cisjordanie, le 14 mars 2017. (Crédit : WAFA)
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, à droite, avec Jason Greenblatt, conseiller et envoyé spécial du président américain pour les négociations internationales, au bureau d’Abbas à Ramallah, en Cisjordanie, le 14 mars 2017. (Crédit : WAFA)

Il a demandé à son gendre, Jared Kushner, de rencontrer la délégation palestinienne. Il avait déjà envoyé Jason Greenblatt, un juif pratiquant qui a étudié dans une yeshiva du Gush Etzion, visiter un camp de réfugiés palestiniens. Maintenant, Trump prévoit de se rendre à Bethléem, et rencontrera Abbas à nouveau, – la deuxième fois en un mois.

Quelle ironie de voir Trump, et non Barack (Hussein) Obama, remettre Abbas sur le devant de la scène diplomatique. A présent, Trump souhaite relancer les négociations et peut-être tenir un sommet à trois. Ainsi, Abbas a été immédiatement propulsé dans la position d’un personnage politique majeur au Moyen Orient, quelqu’un qui rencontre une semaine sur deux des dirigeants de pays arabes afin de coordonner sa position avec eux. Les discussions sur un accord régional ont été oubliées, tout comme l’utopie d’annexer tout ou partie de la Cisjordanie.

Le ministre de l'Education Naftali Bennett (à gauche) et le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le 1er septembre 2015. (Crédit : Haim Hornstein/Flash90)
Le ministre de l’Education Naftali Bennett (à gauche) et le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le 1er septembre 2015. (Crédit : Haim Hornstein/Flash90)

Quid de la volonté d’annexer Maale Adumim, dont le ministre de l’Education Naftali Bennett avait promis que cela deviendrait une politique gouvernementale dès que Trump serait président ? Il est devenu évident que Netanyahu, aussi, agit prudemment et montre du respect à Trump. Il ne veut pas trop irriter la Maison Blanche et aurait annulé une réunion la semaine dernière visant à approuver la construction de logements dans des implantations. Après tout, il ne souhaite pas recevoir une de ces lettres en provenance de Washington lui signalant sa révocation.

Il faut toutefois apporter quelques petites précisions pour défendre les ministres du gouvernement israélien. Leur affirmation concernant une relation tendue entre les états arabes et Abbas et les Palestiniens est exacte. Le Caire représente l’exemple le plus marquant de cette situation, il y a quelques états du Golfe, particulièrement les Emirats arabes unis, qui préféreraient voir d’autres dirigeants palestiniens. Mais de là à penser que les Arabes vont abandonner la cause palestinienne, c’est une autre histoire.

Les dirigeants d’Egypte, de Jordanie et d’Arabie Saoudite souhaitent un front palestinien calme, et, en ce qui les concerne, le moyen le plus rapide d’y arriver passe par un processus de paix. Des actions comme le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem ou l’annexion de territoires créerait des tensions en Cisjordanie, ce qui pourrait entraîner des manifestations de soutien et des troubles dans le monde arabe. Si le gouvernement israélien veut sceller avec eux des alliances qui ne seraient pas uniquement d’ordre sécuritaire, il doit en payer le prix en acceptant d’engager des pourparlers avec les Palestiniens.

Mahmoud Abbas, Saeb Erekat, Nabil al-Arabi, alors secrétaire général de la Ligue arabe, et le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Khalid bin Ahmed al-Khalifa, pendant une rencontre des ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe, au Caire, le 28 mai 2016. (Crédit : AFP/Stringer)
Mahmoud Abbas, Saeb Erekat, Nabil al-Arabi, alors secrétaire général de la Ligue arabe, et le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Khalid bin Ahmed al-Khalifa, pendant une rencontre des ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe, au Caire, le 28 mai 2016. (Crédit : AFP/Stringer)

Et c’est dans cette équation qu’entre le nouvel Abbas. Le Mahmoud Abbas de 2017 parle, agit et a l’air différent du Abbas de 2008 et 2016. Obama n’est plus là pour le gêner en créant des tensions au sujet des implantations, et son message à Trump était clair : il souhaite rencontrer Netanyahu et négocier avec les Israéliens sans préalables.

Le dirigeant palestinien a réalisé qu’il devait utiliser des outils et avoir un comportement différent pendant l’ère Trump, ne pas agir comme un parent qui gronderait un enfant (super-puissant) qui n’est pas sage, mais comme un dirigeant qui, dans ses conversations avec Trump et ses représentants, parle uniquement de sa volonté de tout faire pour que le processus de paix avance. Ce discours est également accompagné d’actions, de la coordination sécuritaire à une position dure contre le Hamas à Gaza, en passant par une certaine diminution de l’incitation à la haine. Rien de tout cela ne renforce sa popularité interne, mais cela dynamise très certainement sa position à Washington.

Oui, il y a bien eu une baisse d’incitation à la haine, sujet que les officiels israéliens évoquent encore et toujours. Des discours enflammés peuvent encore être entendus et des déclarations débordant de haine contre les Juifs et les Israéliens sont toujours prononcées, mais il y en a moins dans les médias et même dans les manuels scolaires palestiniens.

Que dire de la coordination sécuritaire ?

La coopération « incroyable » que Trump a souligné pendant sa conférence de presse avec Abbas fonctionne depuis un certain temps. L’AP essaie de démanteler toutes les cellules qui préparent des attaques terroristes, qu’elles appartiennent au Hamas, à l’Etat islamique, ou à n’importe quel autre groupe. Ses forces de police procèdent à des arrestations de terroristes et empêchent des attaques ; dans les dernières semaines, elles ont confisqué des centaines d’armes illégales, pour la plupart fabriquées dans les territoires.

Les communautés du renseignement israélien et américain sont bien conscientes de ce travail, comme Trump maintenant. Netanyahu et ses ministres n’ont pas très envie de parler des activités de l’AP, non pas parce qu’elles les sous-estiment, mais surtout parce que toute expression de gratitude envers l’AP irait à l’encontre du soutien qu’ils reçoivent de leur base de droite. Cela pourrait également faire du tort aux services de sécurité palestiniens eux-mêmes qui doivent faire face à des accusations de collaboration plus fortes si Israël se félicite de ce travail (même si une bonne partie de l’opinion publique palestinienne le pense depuis un certain temps).

Rami Hamdallah, Premier ministre de l'Autorité palestinienne. (Crédit : Bundesministerium für Europa, Integration und Äusseres/CC BY/Flickr)
Rami Hamdallah, Premier ministre de l’Autorité palestinienne. (Crédit : Bundesministerium für Europa, Integration und Äusseres/CC BY/Flickr)

Le Premier ministre de l’AP, Rami Hamdallah, est l’un des acteurs les plus influents de ce changement chez Abbas. Au début, il est apparu plutôt faible, et sans prétention politique, comme une personne que le Fatah pouvait gérer à son bon vouloir.

Mais Hamdallah a rapidement pris de l’importance dans les institutions sécuritaires et politiques de l’AP, et est de plus en plus soutenu par l’opinion publique palestinienne. Il donne des ordres aux chefs de services de sécurité, qu’il rencontre régulièrement, et est tenu au courant de chaque action de ces services, que cela concerne des arrestations de terroristes du Hamas ou la confiscation d’armes et la dispersion de manifestations.

Autre élément important, Hamdallah n’est pas perçu comme corrompu. Certains le comparent à l’ancien Premier ministre Salam Fayyad, et c’est peut-être le plus grand danger auquel il doit faire face. S’il a trop de succès, comme Fayyad, des cadres du Fatah essaieront de le faire chuter. Hamdallah est également considéré comme plus prudent concernant les mesures que l’AP a pris à l’encontre du Hamas au cours de récentes semaines, dans ce qui semble être un désengagement graduel de la Cisjordanie et de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza.

Le Mahmoud Abbas de 2017 est également moins hésitant à entrer dans les conflits palestiniens internes, même si sa popularité continue de s’effondrer. La défaite du Fatah face au Hamas la semaine dernière dans des élections étudiantes de l’université Bir Zeit est un exemple de cette dynamique. Des responsables de l’AP ont annoncé qu’ils arrêteraient de prélever des impôts aux habitants de la bande de Gaza. En d’autres termes, seul le Hamas prélèvera des impôts aux Gazaouis, et il est possible que le soutien au Hamas diminue par la suite.

Abbas a également annoncé la cessation des paiements à Israël pour l’électricité de Gaza, causant ainsi des tensions aussi bien pour Israël que pour le Hamas. Israël déclare n’avoir aucune intention de payer pour l’électricité de Gaza, et il est difficile de savoir pour le moment qui, s’il y a effectivement quelqu’un, paiera à la fin du mois. L’AP va peut-être accepter de payer une partie de la facture pour garantir l’approvisionnement électrique d’installations cruciales comme les hôpitaux, mais une chose est claire : les Gazaouis vont continuer à souffrir.

La seule centrale électrique de la bande de Gaza, à nouveau à l'arrêt le 16 avril 2017. (Crédit : Mahmud Hams/AFP)
La seule centrale électrique de la bande de Gaza, à nouveau à l’arrêt le 16 avril 2017. (Crédit : Mahmud Hams/AFP)

Abbas prépare d’autres mesures, comme l’arrêt du versement des salaires aux députés du Hamas (de manière assez surprenante, ils sont toujours payés) et la suspension des salaires des prisonniers gazaouis qui ont été libérés dans le cadre de l’échange de prisonniers Shalit en 2011.

Le Hamas est tendu. Il n’a pas de plan B pour le moment. Les Qataris ont déclaré qu’il n’avaient pas l’intention de payer l’électricité de la bande de Gaza tant qu’il n’y a pas de processus global de réconciliation entre l’AP et le Hamas. La bande de Gaza est au bord de l’explosion, même si le Hamas voudrait l’éviter.

Ismail Haniyeh, chef du groupe terroriste du Hamas, annonçant l'arrestation du tueur présumé de Mazen Foqaha, abattu le 24 mars 2017, près de sa maison dans la ville de Gaza, aux côtés de l'épouse de Foqaha et de Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza, le 11 mai 2017. (Crédit : Mohammed Abed/AFP)
Ismail Haniyeh, chef du groupe terroriste du Hamas, annonçant l’arrestation du tueur présumé de Mazen Foqaha, abattu le 24 mars 2017, près de sa maison dans la ville de Gaza, aux côtés de l’épouse de Foqaha et de Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza, le 11 mai 2017. (Crédit : Mohammed Abed/AFP)

Il y a également des tensions au sein du Hamas pour des raisons politiques. Ismail Haniyeh a été élu à la tête de sa branche politique, mais il s’éloigne du processus décisionnel concernant la bande de Gaza, qui est gérée par Yahya Sinwar. Même si Haniyeh, en tant que chef du bureau politique du Hamas, serait, en théorie, plus gradé que Sinwar pour le moment, il n’est pas certain d’être celui qui donnera des ordres aux chefs du bureau politique du Hamas à Gaza.

La hausse des tensions semble inévitable, ce qui pourrait présager des frictions sur le terrain. Cela renforcerait pourtant la crédibilité d’Abbas, en tant qu’élément de la solution, et non du problème, aux yeux de l’administration Trump.

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