Israël en guerre - Jour 532

Rechercher

Comment la nouvelle Bibliothèque nationale d’Israël aide un peuple résilient après le 7 octobre

Le bâtiment, qui a coûté 860 millions de shekels, a été ouvert au public quelques jours après le pogrom du Hamas - et il est devenu une source d'unité improbable pour une société diversifiée et qui reste en quête de culture en temps de guerre

Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

Des visiteurs à l'intérieur de la nouvelle Bibliothèque nationale d'Israël, en 2024. (Autorisation)
Des visiteurs à l'intérieur de la nouvelle Bibliothèque nationale d'Israël, en 2024. (Autorisation)

Au début du mois d’octobre 2023, Tsila Hayun, la directrice du Département de la culture et des expositions de la Bibliothèque nationale, avait rencontré son personnel pour discuter du code vestimentaire à adopter lors d’une série d’événements qui devaient marquer l’ouverture, le 15 octobre suivant, du nouvel espace réservé à l’institution, accueillie dans un bâtiment dont la construction avait coûté 860 millions de shekels.

Moins d’une semaine plus tard, toutes les cérémonies et tous les événements qui figuraient alors au programme avaient été annulés. Il faut dire que le pogrom commis sur le sol israélien par les terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023 – les hommes armés avaient massacré plus de 1 200 personnes et 251 personnes avaient été prises en otage dans la bande de Gaza – venait d’endeuiller toute la nation israélienne.

« Annuler, c’était aussi une forme d’événement », dit Hayun. « Mais nous avons dû trouver une solution ».

Pendant plusieurs semaines, la bibliothèque n’avait été ouverte qu’aux lecteurs et aux chercheurs qui souhaitaient consulter ses plus de quatre millions de livres ou se rendre à ses postes de travail, aux salles d’étude, accéder à ses ordinateurs et s’entretenir avec des bibliothécaires professionnels et hautement qualifiés.

Évoquant les festivités liées au lancement de la bibliothèque, Hayun se souvient s’être interrogée : « Nous n’avions aucune idée de ce que l’avenir nous réserverait. Est-ce que les gens viendraient ? »

Les administrateurs de la bibliothèque s’étaient demandé s’il était approprié d’ouvrir une nouvelle institution culturelle fastueuse et flambante neuve alors que des milliers de personnes avaient été tuées ou blessées, que des centaines de personnes avaient été prises en otage et que des centaines de milliers de soldats étaient mobilisés, prêts à partir à Gaza pour y faire la guerre.

Photo d’illustration : un lecteur parcourt les rayonnages du nouveau bâtiment de la Bibliothèque nationale d’Israël à Jérusalem après son ouverture non officielle le 29 octobre 2023. (Autorisation de Yoni Kelberman)

Les membres du personnel de la bibliothèque pleuraient leurs proches et les prises d’otage ne cessaient de renforcer l’angoisse au sein de la société israélienne toute entière, avec des détails effrayants qui devenaient de plus en plus clairs d’heure en heure.

Mais petit à petit, malgré la guerre, malgré le traumatisme, malgré le deuil, la bibliothèque avait ouvert ses portes aux visiteurs qui souhaitaient découvrir les élégantes salles de lecture circulaires visibles à travers les baies vitrées du hall, ou les robots qui cataloguaient les livres, au sous-sol du bâtiment.

Ils avaient voulu visiter l’exposition permanente présentant les écrits de Maïmonide, la première version de la chanson « Lu Yehi » de Naomi Shemer en 1973 et les poèmes de Leah Goldberg.

Les gens étaient venus. En masse.

« Cela a été comme une sorte de miracle avec, en un instant, des visiteurs qui ont commencé à venir », se rappelle-t-elle.

Les salles de lecture avaient été prises d’assaut par des visages nouveaux et les billets permettant d’accéder au centre des visiteurs s’étaient vendus comme des petits pains.

« Les gens sont venus de partout : des personnes âgées, des jeunes familles avec des enfants. Des soldats en uniforme qui arrivaient directement du front », raconte Hayun. « Et nous leur avons demandé : ‘Pourquoi êtes-vous venus ici, aujourd’hui ?’. Ces gens nous ont répondu que ‘mais c’est pour ça que nous nous battons, c’est pour bénéficier d’un lieu de culture où règne l’esprit israélien’. »

Les salariés de la bibliothèque expliquent que les visiteurs leur disaient en permanence que le bâtiment et ses collections étaient un symbole, qu’ils étaient l’essence même d’Israël.

Une classe est organisée devant les vitraux emblématiques de l’ancien bâtiment de la Bibliothèque nationale d’Israël à Jérusalem, sur une photo non datée. (Autorisation)

Pendant ce temps, l’ancien bâtiment de la Bibliothèque nationale, qui était installée sur le campus de Givat Ram de l’Université hébraïque avant son déménagement, a été partiellement transformé en école secondaire, recevant les élèves évacués de la ville de Shlomi, dans le nord du pays, dont les habitants ont été répartis dans huit hôtels de Jérusalem.

À l’étage qui se trouve en dessous des salles de lecture du nouveau bâtiment, il y a des rangées de chaises jaunes. Elles symbolisent les otages. Sur chacune d’entre elles, l’un des livres préférés des captifs.

Les visiteurs pénètrent dans la bibliothèque par un endroit situé juste à l’extérieur de l’institution, un espace qui fait face à la Knesset et qui est devenu un lieu dorénavant habituel de rassemblements, de manifestations et de sit-in. « Les gens entraient, le visage baigné de larmes, et ils nous disaient que ce bâtiment leur permettait de souffler un peu », explique Hayun.

« Nous avons été très surpris, nous avons vraiment été très surpris », s’exclame le directeur de la bibliothèque, Oren Weinberg. « Nous avions pensé que les gens viendraient pour voir le bâtiment, mais il est apparu clairement que cette découverte du site était secondaire. Une bibliothèque peut avoir un effet qui va bien au-delà de la simple étude ».

Peu après l’ouverture aux visiteurs, Hayun et son équipe avaient remanié leurs programmes, à la recherche d’artistes et de sujets qui avaient du sens pour leur potentiel public.

L’un des premiers événements avait été « Vent du sud », une soirée de spoken word, ou « mots parlés », qui avait mis en scène des artistes issus des communautés frontalières de Gaza qui avaient évoqué la manière dont leur vie avait changé depuis le pogrom du 7 octobre.

Au mois de janvier, un concert avait été donné par un rockeur célèbre, Berry Sakharof, et par Yaara Cohen, une jeune musicienne du sud qui avait été évacuée avec sa famille et qui avait interprété une chanson dédiée à son professeur de musique, Shlomi Mathias, qui avait été assassiné, en compagnie de son épouse, au kibboutz Holit, le 7 octobre.

Des visiteurs à la nouvelle Bibliothèque nationale d’Israël en 2024 (Autorisation)

L’été dernier, le festival du film Docutext de la bibliothèque avait présenté en avant-première « We Will Dance Again », un documentaire sur la rave-party Supernova qui avait été organisée dans le désert – une projection organisée en présence des familles des victimes du festival de musique électronique et qui avait eu lieu en plein air, dans le jardin de la bibliothèque.

Presque tous les événements organisés par l’institution avaient affiché complet, indique Hayun.

« Cet endroit est comme un lieu de pèlerinage pour les personnes en quête d’une expérience particulière de vie dans une période historique inattendue », indique Hayun. « Les gens nous disent qu’il y a de la beauté ici, et je comprends tout à fait ce qu’ils veulent dire ».

Il y a beaucoup plus que la simple force de la littérature dans le bâtiment de 11 étages qui a été conçu par le cabinet d’architecture suisse Herzog & de Meuron en collaboration avec une équipe d’architectes israéliens, le cabinet Mann Shinar, de manière à donner à ce monument national et culturel l’apparence d’un livre géant ouvert.

Un bâtiment à la beauté matérielle impressionnante, avec des jardins luxuriants et un toit en pierre sculptée qui s’élève pour rejoindre la Knesset et qui s’incline, offrant une vue sur le Musée d’Israël.

« Les gens sont émus par sa beauté », déclare Hayun. « Il n’y a pas beaucoup de lieux comme celui-ci en Israël. C’est aussi chaleureux et personnel, les gens touchent le bois et les murs, ils s’attardent sur les lignes arrondies ».

Vue extérieure de la toute nouvelle Bibliothèque nationale d’Israël, dont l’ouverture est prévue en octobre 2023 (Avec la permission de Laurian Ghinitoiu)

Il y a également eu de nombreux contretemps – comme des artistes qui ont annulé le matin même de leur représentation, parce que « ils n’étaient tout simplement pas en capacité de monter sur une scène – et on ne pouvait pas leur en vouloir pour ça », dit Hayun.

Tsila Hayun sait ce que sont les traumatismes et le chemin vers la guérison. Elle raconte qu’au mois d’août 2003, la voiture familiale dans laquelle elle se trouvait avait été prise en embuscade par des terroristes alors qu’elle se trouvait à quelques minutes de chez elle, à Har Gilo, au sud de Jérusalem, avec son mari, Chaim, professeur de Bible au collège d’éducation du Séminaire Hakibbutzim, et avec leurs trois enfants. Ils revenaient de vacances passées dans le désert du Sinaï.

Tsila Hayun, directrice des événements culturels à la Bibliothèque nationale d’Israël, a trouvé un sens à sa vie en offrant au public un espace culturel depuis le 7 octobre 2023 (Autorisation : Bibliothèque nationale d’Israël)

Hayun avait essuyé sept balles – notamment à l’abdomen, aux jambes, à la main droite et au dos. Sa fille de onze ans avait été moins gravement blessée – au bras et au pied – et elle avait été touchée à l’œil par des éclats d’obus. Son mari et ses autres enfants étaient sortis indemnes de l’attaque.

Hayun avait survécu et, après une longue rééducation, elle avait dû reconstruire sa vie.

Après le pogrom du 7 octobre, Hayun raconte avoir eu le sentiment qu’elle devait absolument quitter la bibliothèque pour se rendre dans le sud, avec pour objectif d’aider les communautés frontalières de Gaza à guérir.

Depuis l’attaque sanglante, Hayun ne s’est toutefois pas seulement appuyée sur sa propre expérience. Avant de rejoindre la bibliothèque, Hayun avait lancé plusieurs programmes et organisations.

Elle avait fondé Hotam, une société de production à vocation sociale qui avait contribué à redéfinir le Festival du livre en hébreu, une organisation qu’elle avait aussi dirigée. Elle avait également créé Autosefer, une librairie mobile pour enfants qui se déplace dans tout Israël.

Quelques semaines après le 7 octobre, Hayun avait reçu un appel téléphonique de la part d’un ami qui cherchait un espace à Jérusalem pour accueillir, le vendredi, une séance de thérapie destinée aux personnes qui s’occupaient des survivants.

Hayun avait alors proposé, sans hésiter, une salle de la bibliothèque, ce qui avait permis de mettre en place un programme qui est dorénavant connu sous le nom d’Ararat – Résilience de l’esprit. Cette initiative vise à fournir aux thérapeutes un espace de groupe et des outils pratiques pour aider à renforcer la résilience par le biais du rapport au corps, à l’esprit et à la communauté.

« Nous ne sommes pas des médecins, nous ne sommes pas des soldats de combat ou des travailleurs sociaux, mais nous pouvons, à notre façon, être une source d’inspiration », s’exclame Hayun.

Parmi les participantes au programme, Ayelet Levy, médecin et mère de l’otage Naama Levy, l’une des cinq observatrices qui avaient été prises en otage à Gaza et qui a recouvré la liberté au mois de janvier.

Oren Weinberg, directeur de la Bibliothèque nationale d’Israël, lors d’un événement en 2024. (Autorisation)

Lorsque Levy et sa famille s’étaient battues pour garantir la libération de Naama, un combat qui avait duré de longs mois, la mère éplorée avait maintes fois confié à Hayun que la bibliothèque était l’un des rares endroits où elle se sentait en paix.

Le programme Ararat « n’est pas un événement habituel dans le cadre d’une bibliothèque nationale », note Weinberg. « Ce qui se passe hors de nos murs entre malgré tout ici et fait l’objet de toutes sortes de récits, mais la force de cette institution est qu’elle est en capacité d’accueillir tous ces récits ».

Weinberg indique qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour mettre au point un calendrier culturel complet qui saura séduire la population locale de Jérusalem ainsi que le reste du pays – voire au-delà.

Pourtant, la douleur et l’angoisse du 7 octobre sont bien présentes dans le bâtiment.

La bibliothèque a récemment inauguré un banc en pierre à la mémoire de Yizhar Hoffman, un ingénieur qui travaillait chez Electra Construction – l’entreprise responsable du nouveau bâtiment – qui était également un commandant de l’unité d’élite Shaldag au sein de l’armée de l’air. Hoffman est tombé au champ d’honneur à Gaza au mois de janvier 2024.

Les membres des familles dont les proches ont été tués le 7 octobre ou au combat au cours des seize mois qui ont suivi se rendent à la bibliothèque pour se recueillir devant son mur de commémoration – un mur électronique où les images et les noms des défunts sont projetés sur un écran géant de 20 mètres de long dans le cadre d’un projet de l’institution, « Bearing Witness », qui s’est donné pour objectif de documenter le 7 octobre et ses conséquences en Israël et à l’étranger.

Les noms des victimes sont régulièrement mis à jour.

Le mur commémoratif électronique de la Bibliothèque nationale d’Israël à Jérusalem, le 12 mai 2024. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)

« Cet endroit fait partie intégrante de la société israélienne », explique Weinberg, qui dirige la bibliothèque depuis 2010 et qui a supervisé son processus spectaculaire de conception et de construction.

« Nous avons voulu que ce lieu fasse partie des gens, que les livres fassent partie de leur identité, mais que les gens puissent se rencontrer ici, qu’ils puissent apprendre ici, qu’ils puissent créer ici », dit-il.

Depuis le 7 octobre, il est devenu évident que les Israéliens recherchent un endroit où ils peuvent se sentir à l’aise en côtoyant des personnes très différentes, précise Weinberg, jetant un coup d’œil au café de la bibliothèque et faisant remarquer le caractère très diversifié de sa clientèle.

« Tout le monde vient ici – de jeunes femmes religieuses, des lycéens du coin en passant par les doctorants et par les érudits haredim« , dit-il. « C’est comme au centre Dizengoff à Jérusalem, et tout le monde s’y sent à sa place, ce qui est quelque chose d’assez incroyable ».

En savoir plus sur :
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à gal@rgbmedia.org.
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.
image
Inscrivez-vous gratuitement
et continuez votre lecture
L'inscription vous permet également de commenter les articles et nous aide à améliorer votre expérience. Cela ne prend que quelques secondes.
Déjà inscrit ? Entrez votre email pour vous connecter.
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
SE CONNECTER AVEC
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation. Une fois inscrit, vous recevrez gratuitement notre Une du Jour.
Register to continue
SE CONNECTER AVEC
Log in to continue
Connectez-vous ou inscrivez-vous
SE CONNECTER AVEC
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un e-mail à .
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.