Comment le dernier livre d’Etgar Keret a été traduit en Persan
"Sept ans de bonheur", situé en Israël mais disponible en hébreu, vise à devenir un exemple d’une littérature permettant une plus grande compréhension
Le dernier livre d’Etgar Keret, une collection d’essais non fictionnels intitulée « Sept ans de bonheur » est très personnelle, il l’a écrit en anglais au lieu de l’hébreu. Il ne voulait pas que ses voisins puissent lire sur lui.
Pourtant, il a été traduit en persan.
Ecrit comme une ode à son père gravement malade qui est mort il y a quelques années, il s’agit d’un regard ironique, humoristique et édifiant sur la vie de Keret.
« Ce n’est pas en hébreu parce que c’est ma maison et c’est un endroit qui est de la plus haute importance pour moi, a déclaré Keret qui vit maintenant à Tel Aviv. Ce n’est pas une sanction contre le pays. Ils le liront ici en anglais mais pour le moment, c’est sous le seuil radar. »
(Le livre est vendu en anglais dans des librairies locales).
Mais Aziz Hakimi, un fan afghan des œuvres de Keret qui a grandi en Iran et qui est aussi un écrivain, a demandé s’il pouvait traduire le livre en persan. Etant donné l’interdiction des livres israéliens en Iran, il le diffuse maintenant à travers l’application Google.
Il s’agissait seulement de l’amour pour un bon livre à lire.
Hakimi, un ancien journaliste de la BBC, a lu une nouvelle de Keret dans le New Yorker et, à sa propre surprise, il est tombé amoureux du travail de l’écrivain.
« J’adorais cette histoire », a déclaré Hakimi par Skype depuis Malte où il vit maintenant.
Il a fini par traduire la première histoire pour son site internet d’écriture créative.
Mais il y a quelques mois, Hakimi a remarqué que Keret avait mentionné ses traductions en persan, exprimant à quel point il était content d’être traduit dans la langue de l’Iran.
« C’est la chose la plus émouvante à faire, » a déclaré Keret dont les livres ont été traduits dans des pays qui ont des relations diplomatiques difficiles ou pas de relations du tout avec Israël, y compris la Malaisie et la Turquie.
« Si vous me le demandez, la chose la plus importante que la littérature puisse atteindre est d’humaniser l’autre, a-t-il dit. J’ai rencontré des lecteurs palestiniens à l’étranger, et ils ont dit que lire mes histoires leur a fait voir les Israéliens sous un autre jour. Ils ont dit que tous les Israéliens dans leur vie étaient des soldats, et après avoir lu mon livre, ils ne pensent pas que je ne suis pas leur ennemi, mais je suis devenu leur ennemi humain ».
Voilà comment Hakimi s’est senti.
Il a trouvé que l’honnêteté du texte de Keret lui a fait ressentir que ses histoires étaient écrites spécifiquement pour lui.
Cela ne semblait facile : il est Afghan, vit en Iran en tant que réfugié et est musulman de naissance. Malgré le fait d’avoir passé plusieurs années à l’étranger, Hakimi a grandi avec l’idée que les Israéliens et les Juifs ne sont pas des gens ordinaires, pas comme des êtres humains.
« Quand j’ai lu Etgar pour la première fois, cela m’a simplement démontré que les Israéliens sont des personnes comme les autres, a-t-il déclaré. Les Israéliens sont préoccupés d’arriver en retard au travail ou de payer leurs factures. Cela les rend comme moi. »
C’était une prise de conscience qu’Hakimi ne voulait pas admettre lui-même, ayant vécu pendant plus d’une décennie en dehors de l’Iran, et croyant qu’il a dépassé les préjugés dans lesquels il a été élevé.
« C’est peut-être difficile pour les Occidentaux de s’imaginer cela, mais croyez-moi, dans notre partie du monde, il est difficile de croire que les Israéliens sont des personnes comme nous, a-t-il déclaré. Il y a beaucoup de propagande. »
Il y a quelque chose dans la fiction, a déclaré Keret, qui ne dit peut-être pas l’histoire d’une nation mais plutôt « les faiblesses en son centre », a-t-il dit.
« Cela permet à des personnes de cultures et d’endroits différents d’avoir quelque chose en commun, a-t-il déclaré. Cela les rapproche de votre monde ».
Il s’est souvenu d’une séance de lecture en Turquie où certains de ses lecteurs étaient des chiites religieux et « ressemblaient à Nasrallah », a-t-il dit. « On se dit, ‘ils sont ici pour me faire quelque chose, mais non, ce sont mes lecteurs’ ».
Hakimi a déclaré qu’il a eu l’impression que traduire des œuvres de Keret en persan était une manière d’influencer l’humanité, un moyen d’aider ceux qui autrement n’auraient pas accès à l’état d’esprit israélien.
Le livre, qui est intitulé d’après l’histoire biblique de Joseph qui aide à interpréter le rêve du pharaon égyptien sur les sept bonnes années et les sept années difficiles, a été écrit en « temps réel », a déclaré Keret, souvent alors que les événements prenaient place et pas nécessairement avec l’intention de les publier.
« J’écrivais de manière sporadique et je ne pensais pas en faire un livre, a-t-il déclaré. »
Quand le père de Keret était gravement malade, il est mort à l’âge de 84 ans, l’écrivain a voulu faire quelque chose pour sa famille qu’il a décidé de rassembler les essais dans un livre plus global.
Les essais traitent de la naissance de son fils, et d’être le père d’un fils dans un pays faisant face à un futur incertain.
Il explore la religion à l’intérieur de sa propre expérience, en tant qu’homme laïc avec une sœur qui est une juive orthodoxe. Et il écrit au sujet de ses parents survivants de l’Holocauste.
« C’est peut-être difficile pour les Occidentaux de s’imaginer cela, mais croyez-moi, dans notre partie du monde, il est difficile de croire que les Israéliens sont des personnes comme nous. Il y a beaucoup de propagande. »
Aziz Hakimi
« C’était comme une pierre tombale littéraire pour mon père »
Pour Hakimi, les œuvres de Keret créent un espace afin de s’exprimer sur ce qui est taboo, pour créer une sorte de lien entre les personnes, même Iraniens et Israéliens.
« Quand j’ai lu Keret, j’ai eu l’impression d’entrer dans un nouveau monde, et on ne peut pas le faire avec du journalisme », a déclaré Hakimi, qui a écrit une nouvelle et une collection de petites histoires et qui travaille sur son troisième livre.
La traduction d’Hakimi ne peut être vendue ou publiée en Iran, et s’il l’a publiée à Londres, elle ne peut pas être vendue dans des librairies de langue persane et est uniquement disponible en ligne, dans un téléchargement formaté professionnellement pour des iBooks et Kindle.
Il négocie également avec un ami éditeur à Kaboul en Afghanistan pour imprimer des copies du livre. S’il n’y a pas autant de restrictions à Kaboul, les gens ont peur, a déclaré Hakimi.
« J’essaie de lui dire que cela aide en réalité tout le monde, a-t-il déclaré, que c’est plus important d’en savoir plus sur tout le monde. Je veux casser ce tabou, et je veux que les gens puissent en parler librement ».
Keret a posté une photo sur sa page Facebook d’Hakimi dans un gilet pare-balles à l’intérieur d’un hélicoptère Blackhawk, plaisantant que la plupart des traducteurs et éditeurs vont en bus aux maisons d’édition, tandis qu’Hakimi avait besoin de la protection d’un hélicoptère Blackhawk.
Il y a eu des retours positifs sur la page Facebook d’Hakimi de personnes qui « aiment l’idée que ce livre soit publié », a-t-il déclaré.
« Je pense que la littérature peut créer cet espace pour parler [de la paix], a déclaré Hakimi. Elle ne pourra pas tout faire, mais elle crée ce sentiment de lien entre les gens. Voilà pourquoi c’est si important. Si les histoires d’Etgar créent ce sentiment, pour moi, en tant que personne qui fait cela, traduit le livre et m’assure qu’il parviendra aux personnes en créant ce lien, alors c’est le meilleur résultat possible pour la littérature ».
La traduction en persan a été chargée sur Amazon et H&S Media plus tôt cette semaine, a déclaré Hakimi. Keret, a déclaré Hakimi, partage ses droits d’auteurs avec lui afin de payer pour les frais de chargement.
« Pour moi, c’est bien plus important dans ma carrière que d’avoir été traduit en allemand ou en hollandais, a déclaré Keret. Si vous êtes traduit dans la langue d’un peuple qui a des préjugés contre vous, le sentiment de réussite est encore plus grand ».
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