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Analyse

Comment le Hamas gagne les cœurs et les esprits en Europe

Afin de contester le statut de l’OLP comme représentant exclusif des Palestiniens, le groupe terroriste basé à Gaza est en train de constituer une infrastructure internationale via des conférences et une hiérarchie liée aux Frères musulmans

Avi Issacharoff est notre spécialiste du Moyen Orient. Il remplit le même rôle pour Walla, premier portail d'infos en Israël. Il est régulièrement invité à la radio et à la télévision. Jusqu'en 2012, Avi était journaliste et commentateur des affaires arabes pour Haaretz. Il enseigne l'histoire palestinienne moderne à l'université de Tel Aviv et est le coauteur de la série Fauda. Né à Jérusalem , Avi est diplômé de l'université Ben Gourion et de l'université de Tel Aviv en étude du Moyen Orient. Parlant couramment l'arabe, il était le correspondant de la radio publique et a couvert le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et l'actualité des pays arabes entre 2003 et 2006. Il a réalisé et monté des courts-métrages documentaires sur le Moyen Orient. En 2002, il remporte le prix du "meilleur journaliste" de la radio israélienne pour sa couverture de la deuxième Intifada. En 2004, il coécrit avec Amos Harel "La septième guerre. Comment nous avons gagné et perdu la guerre avec les Palestiniens". En 2005, le livre remporte un prix de l'Institut d'études stratégiques pour la meilleure recherche sur les questions de sécurité en Israël. En 2008, Issacharoff et Harel ont publié leur deuxième livre, "34 Jours - L'histoire de la Deuxième Guerre du Liban", qui a remporté le même prix

La bannière du site de la Conférence pour la Palestine, soutenue par la Hamas, qui s'est tenue à Istanbul les 25 et 26 février 2017. (Crédit : capture d'écran YouTube)
La bannière du site de la Conférence pour la Palestine, soutenue par la Hamas, qui s'est tenue à Istanbul les 25 et 26 février 2017. (Crédit : capture d'écran YouTube)

À la fin du mois de février, à Istanbul, la Conférence palestinienne a été convoquée dans le but de promouvoir le soutien pour la Palestine. Mais elle avait véritablement comme objectif de renforcer le statut du Hamas aux yeux de la communauté internationale.

La plupart des organisateurs de la conférence, à laquelle ont participé des milliers d’Arabes et de Palestiniens du monde entier, sont d’origine palestinienne. Mais ceux qui ont suivi de près ce qui s’est passé à Istanbul auront vu qu’autre chose rassemble les organisateurs et les participants. Ils sont tous membres de réseaux affiliés au mouvement des Frères musulmans à travers l’Europe, et ce depuis des dizaines d’années.

Ce n’était pas la première conférence du genre. De nombreuses instances similaires ont été organisées ces dernières années. Les mêmes visages étaient présents, notamment des membres – anciens ou actuels – des Frères musulmans, à un niveau plus ou moins officiel, et des membres du Hamas, anciens ou nouveaux.

Ensemble, ils veulent promouvoir la légitimité du Hamas, en Europe, en Afrique, au Moyen Orient (évidemment) et même en Amérique latine, afin de remettre en cause la notoriété internationale dont bénéficie l’OLP en tant qu’unique représentant légitime du peuple palestinien.

À sa façon, le Hamas établit, lentement mais surement, une infrastructure de sympathisants, qui contribue par ses encouragements mais également par son financement.

Si l’on définit les grandes lignes de cette infrastructure, on obtient un aperçu assez surprenant. Par exemple, la Grande-Bretagne semble être le pays qui accueille le plus grand nombre d’activités semi-officielles du Hamas et des Frères musulmans en Europe.

L'ancien chef du Hamas Ismail Haniyeh, à gauche, avec Yahya Sinwar, l"un d es fondateurs de la branche armée du groupe terroriste. Ils saluent l'arrivée des détenus libérés en échange du soldat Gilad Shalit qui avait été en captivité, à Khan Yunis, sur la frontière de Gaza, le 21 octobre 2011. (Crédit : AFP/Said Khatib)
L’ancien chef du Hamas Ismail Haniyeh, à gauche, avec Yahya Sinwar, l »un d es fondateurs de la branche armée du groupe terroriste. Ils saluent l’arrivée des détenus libérés en échange du soldat Gilad Shalit qui avait été en captivité, à Khan Yunis, sur la frontière de Gaza, le 21 octobre 2011. (Crédit : AFP/Said Khatib)

Un exemple presque caractéristique de ces activités sous couvertures quasi-innocentes serait la Campagne mondiale anti-agression.

« Ce groupe a été établi en 2003 en Arabie saoudite », explique le Dr Ehud Rosen, expert en islam politique et expert des Frères musulmans, qui a assisté Steven Merley, un autre expert, dans l’écriture d’une étude sur le sujet. Merley a créé un site internet, Global Muslim Brotherhood Daily Watch, qui recense les activités des Frères musulmans à travers le monde.

Le chef politique du Hamas, Khaled Meshaal, pendant un rassemblement du Congrès national africain en l'honneur du Hamas au Cap, en Afrique du Sud, le 21 octobre 2015. (Crédit : Rodger Bosch/AFP)
Le chef politique du Hamas, Khaled Meshaal, pendant un rassemblement du Congrès national africain en l’honneur du Hamas au Cap, en Afrique du Sud, le 21 octobre 2015. (Crédit : Rodger Bosch/AFP)

« Il a été créé par deux anciens membres d’al-Quaïda, tous deux originaires d’Arabie saoudite, qui ont tenté de faire connaitre la nouvelle organisation comme ‘non-violente’ », indique Rosen. « L’organisation a repris du service au Qatar en 2005 [après que le gouvernement saoudien a refusé de l’accueillir sur son territoire]. Les membres fondateurs du groupe en 2005 étaient des membres haut-placés du Hamas, notamment son leader politique Khaled Meshaal, avec, à ses côtés, des des membres de l’organisation internationale des Frères musulmans, des salafistes et des djihadistes salafistes, entre autres.

« Le groupe a organisé de nombreuses conférences et a diffusé des fatwas contre l’Occident, notamment contre la France après qu’elle est militairement intervenue au Mali »

La Campagne a commencé à s’intéresser à Gaza en 2009, après l’opération Plomb Durci, l’offensive militaire israélienne destinée à mettre fin aux tirs de roquettes vers Israël depuis Gaza. Durant une conférence qui a eu lieu en février 200, le groupe a décidé de transformer Gaza en un nouveau front pour le djihad, sous les auspices de la « Déclaration d’Istanbul ».

La déclaration, signée par 80 personnalités religieuses musulmanes du monde entier, y compris du Hamas, stipulait que l’Autorité palestinienne ne représentait pas le peuple palestinien, alors que « le gouvernement élu du Hamas » en était le représentant légal.

Cette déclaration condamnait l’Initiative de Paix arabe, parrainée par l’Arabie saoudite (une proposition qui suggérait la normalisation des liens entre les pays arabes et Israël en échange du retrait d’Israël des territoires revendiqués par les Palestiniens), la qualifiant de « trahison prouvée de la nation islamique et de la cause palestinienne, une trahison ouverte du peuple palestinien ».

« Cette [Campagne mondiale anti-agression], tout comme d’autres groupes musulmans en Europe, ne s’appelle pas « Frères musulmans », ni sympathisants du Hamas. Ce sont des réseaux de groupes dispersés à travers le monde. Les dirigeants des Frères musulmans affirment que leur mouvement est actif dans 80 pays, mais depuis le 11 septembre 2001, voire même avant, les groupes qui sont identifiés comme [affiliés aux Frères musulmans] ont démenti tout lien », a affirmé Rosen.

« Prenez un autre exemple : l’UOIF, la Fédération des organisations islamiques en Europe », dit-il. « Trente-sept groupes dans différents pays du continent opèrent sous l’organisation, et au fil des ans, ils se sont créés une image de « représentant légitime », l’islamisme traditionnel. Ce groupe, appelé IGD en Allemagne, existe également dans les pays scandinaves et partout dans le monde. »

Ces réseaux agissent selon un modèle inspiré de la doctrine des Frères musulmans et du Hamas. Dans chaque pays, il y a un réseau d’organisations de la société civile, en d’autres termes, dawa, un terme arabe qui signifie prosélytisme ou prêche de l’islam.

Ces organisations sont dirigées par des personnalités musulmanes bien connues, qui dirigent des madrasas (écoles musulmanes), mais également des mosquées, des organisations caritatives qui collectent des fonds pour les musulmans en Europe, mais aussi pour le Hamas, et même des associations étudiantes dans des universités d’Europe. Plus récemment, des groupes de défense des droits des musulmans ont été fondés pour renforcer le soutien à l’idéologie des Frères musulmans et du Hamas.

De nombreuses figures éminentes de ces groupes agissent sur le sol britannique. En voici quelques exemples.

  • Anas Altikriti, né en Irak, est le fils d’un haut-responsables des Frères musulmans. Son père avait fui le régime de Saddam Hussein et avait trouvé refuge en Grande Bretagne. Il habite à Londres depuis l’âge de deux ans. Il a visité la Maison Blanche il y a deux ans et a rencontré le président Barack Obama. Bien qu’il en soutienne la doctrine, il affirme ne pas être membre des Frères musulmans.
  • Muhammad Sawalha, d’origine palestinienne, est bien connu des services de sécurité israéliens comme l’un des fondateurs de la branche armée du Hamas en Cisjordanie. Il vit également à Londres.
  • Zaher Birawi, un ancien agent du Hamas dans la bande de Gaza. Il était l’un des porte-paroles de la flottille Mavi Marmara et a été impliqué dans d’autres flottilles.

    Essam Mustafa (Crédit : capture d'écran Youtube)
    Essam Mustafa (Crédit : capture d’écran Youtube)
  • Essam Yusuf Mustaf est un ancien membre de la branche politique du Hamas, selon le Département du Trésor américain. Mustafa, l’un des organisateurs de la Conférence d’Istanbul, siège au conseil d’administration d’une autre organisation, Interpal qui a été classée sur la liste des organisations qui soutiennent le terrorisme par les États-Unis depuis 2003. Il vit aussi en Grande-Bretagne.

Mustafa était le dirigeant d’un groupe appelé la Charity Coalition, un fonds de bienfaisance qui a financé directement le Hamas dans les années 2000, et qui a remporté le soutien de Yusuf al-Qardawi, le chef spirituel sunnite et membre des Frères musulmans. Le groupe turque IHH, qui était l’un des organisateurs de la flottille Mavi Marmara, faisait également partie de la Charity Coalition.

En Grande Bretagne et ailleurs, il y en a d’autres. Ismail Patel, chef du groupe les Amis d’al-Aqsa ; Daud Abdullah, originaire de Grenade et ancien membre du Conseil musulman de Grande-Bretagne qui aide à la gestion d’un nouveau site web qui propose une position pro-Hamas et pro-Frères musulmans ; Azzam Tamimi, un palestinien qui dirige la chaîne de télévision Alhiwar, qui diffuse depuis Londres un contenu explicitement pro-Hamas (Zaher Birawi anime une émission sur cette chaîne), Ibrahim el-Zayat, originaire d’Égypte et actuellement résident en Allemagne, est considéré comme un élément clé de l’aspect financier de ces réseaux, et Ibrahim Munir Mustafa, également égyptien, qui préside l’organisation du mouvement des Frères musulmans et qui vit à Londres.

Rosen, qui suit ces noms depuis un certain temps, a affirmé qu’il y a une distinction entre les membres du mouvement officiel des Frères musulmans, comme ceux qui agissent en Égypte, et les réseaux qui leurs seraient affiliés.

« Il y a en effet les groupes qui ont émergés via d’anciens membres des Frères musulmans qui ont fui l’Égypte en 1960 et se sont installés en Europe. Ces groupes ont été formé par d’anciens membres des Frères musulmans qui ont fui l’Égypte dans les années 60 et se sont implantés en Europe. Ces groupes ont été créés sans ordre direct [de la part des Frères musulmans], sans structure de commande et centralisée ni commandant en chef », explique-t-il.

« Mais il a clairement des réseaux ici, avec des liens très importantes, comme à Londres ou en Allemagne. Ils coopèrent avec les Frères musulmans et avec le Hamas. »

Des membres des forces de sécurité palestiniennes du Hamas présentent un faux raid contre un poste de l'armée israélienne pendant la cérémonie de fin d'un programme de formation militaire du Hamas, à Gaza Ville, le 22 janvier 2017. (Crédit : Mahmud Hams/AFP)
Des membres des forces de sécurité palestiniennes du Hamas présentent un faux raid contre un poste de l’armée israélienne pendant la cérémonie de fin d’un programme de formation militaire du Hamas, à Gaza Ville, le 22 janvier 2017. (Crédit : Mahmud Hams/AFP)

« La place du Hamas dans l’énorme mouvement international des Frères musulmans est en pleine croissance », a-t-il dit.

« Le Hamas est la chair et le sang du mouvement, et il veut prendre le contrôle de l’OLP. C’est pourquoi son activité internationale revêt de l’importance. L’organisation palestinienne tente de se réinventer, avec une nouvelle plate-forme, une direction supposément plus modérée, mais c’est toujours la même organisation.

« Le BDS jouit de cette infrastructure islamiste et bénéficie d’aide de la part d’organisations qui ont une identification forte avec le Hamas ou les Frères musulmans », a ajouté Rosen.

« Et les pourparlers constants sur Khaled Meshaal, le chef de la branche politique du Hamas, qui remplacerait Ibrahim Munir à la présidence de l’organisation internationale du mouvement des Frères musulmans. »

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