Comment les Israéliens vont marquer Simhat Torah, pour toujours entachée par le massacre du 7 octobre
Les rabbins font profil bas - repas moins festifs et nouvelle liturgie - pour ce premier anniversaire des atrocités du Hamas, jour de célébration de l'achèvement de la lecture de la Torah

À l’occasion du premier anniversaire de l’attaque la plus meurtrière commise contre les Juifs depuis la Shoah, les rabbins israéliens se demandent comment trouver le bon équilibre entre la joie de Simhat Torah et la tristesse de toutes ces vies perdues.
« Rendre le pays plus fort – sans sombrer dans la dépression ou le découragement – est important à la fois pour les soldats sur le champ de bataille et pour les civils : nous avons besoin de joie », affirme le grand rabbin de Safed, Shmuel Eliyahu.
« Mais au sein de chacune de ces communautés, dans chaque synagogue, il y a une personne en deuil, un soldat en service, quelqu’un qui a été
blessé. »
« La voie est étroite », concède-t-il.
Simhat Torah, littéralement « La joie de la Torah », est le jour au cours duquel les Juifs disent leur gratitude à Dieu de les avoir choisis pour recevoir les traditions écrites et orales : ils le font en dansant, en chantant et en priant.
C’est à Simhat Torah, le 7 octobre l’an dernier, que des milliers de terroristes venus de Gaza et dirigés par le Hamas se sont introduits en Israël, pour tuer 1 206 personnes et faire 251 otages dans un déchainement de brutalités et d’agressions sexuelles. Le pogrom a déclenché la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, qui a coûté la vie à des centaines d’Israéliens et des dizaines de milliers de Palestiniens, selon les chiffres non vérifiés du ministère de la Santé dirigé par le Hamas.
« Les gens veulent savoir que faire au sujet des danses et de la consommation d’aliments et de boissons : ils veulent savoir comment exprimer leur douleur », ajoute le rabbin David Stav, président de l’organisation rabbinique Tzohar.
« Notre position, à Tzohar, est de trouver la voie médiane : nous ne voulons pas renoncer à la joie ou aux célébrations, mais nous ne voulons pas non plus ignorer la douleur », poursuit-il.

Stav explique que deux femmes rescapées du massacre du festival de musique Nova, qui a coûté la vie à des centaines de personnes le 7 octobre dernier, ont souhaité prendre la parole devant une congrégation à Shoham, ville dont Stav est grand rabbin.
« De toute évidence, ces femmes rescapées de Nova ne sont pas religieuses », souligne Stav en faisant allusion au caractère laïc de ce festival. « Mais il y a une vraie envie de faire toute la place à leur expérience dans ces célébrations religieuses. »
Les terroristes du Hamas, rejoints par des civils de Gaza, ont brutalement assassiné 364 festivaliers, violé un nombre incalculable d’entre eux et fait 40 otages.
Tous les rabbins avec lesquels le Times of Israel a été en contact parlent de « trouver un équilibre », de « dialectique » ou de « faire la place aux émotions contradictoires ».

« Je pense que nous sommes capables de respecter nos traditions tout en ne passant pas sous silence le fait qu’il s’agit aussi du yahrzeit de 1 200 personnes », explique le rabbin Ilay Ofran, du kibboutz Yavne, en utilisant le terme yiddish qui désigne l’anniversaire d’un décès.
« Je comprends ceux qui disent : ‘Nous devons continuer à célébrer et être joyeux’ tout autant que ceux qui disent : ‘Comment continuer comme avant ?’ », poursuit Ofran.
L’une des traditions de Simhat Torah consiste en l’organisation de sept processions – hakafot (littéralement un cercle ou un tour) – au cours desquelles les membres de la congrégation dansent et chantent en tenant des rouleaux de Torah et en tournant autour de l’estrade.

Une série de sept processions a lieu le soir, peu après le coucher du soleil, et une autre, le matin. Elles sont suivies du parachèvement du cycle annuel de lecture des Cinq Livres de Moïse.
Dans la plupart des communautés orthodoxes, ce sont les hommes qui chantent et dansent avec les rouleaux ; seule une petite minorité de synagogues égalitaires autorisent les femmes à participer.
« C’est une fête grandement dominée par les hommes. Du côté des femmes, il ne se passe rien. Pas de danse, pas de lecture de la Torah. Soit les femmes ne viennent pas soit elles viennent mais sont totalement spectatrices. Cette année, au moment où un nombre important d’hommes effectuent leur service de réserve, qui va prendre les enfants sur ses épaules pour les faire danser ? », interroge Ofran, qui effectuera lui aussi son service de réserve au moment de la fête, avec cette guerre qui n’en finit pas.
Donner un sens nouveau aux traditions
Les rabbins avec lesquels le Times of Israel s’est entretenu disent que les membres de leur communauté souhaitaient donner un sens nouveau aux traditions. Certaines communautés vont d’ailleurs consacrer chaque procession à un sujet différent.
À Shoham, par exemple, une communauté va consacrer la première procession à la prospérité de l’État d’Israël, la deuxième au succès de Tsahal, la troisième à la mémoire des victimes, la quatrième à la libération des otages du Hamas à Gaza, la cinquième au rétablissement rapide des blessés, la sixième au soutien des civils et au retour des évacués à la frontière nord avec le Liban et la Syrie, et la septième et dernière procession enfin, à la rédemption et à l’unité du peuple juif.

Lors de chacune de ces processions, des chants refléteront chacun de ces thèmes.
Ichud Rabanei Kehilot (IRK), organisation de rabbins orthodoxes dirigée par Eliyahu, propose de commencer chaque procession par une prière.
Dans la pensée kabbalistique, ces sept processions renvoient aux sept sefirot, ces émanations divines qui représentent chacune un aspect de l’expression divine de par le monde.
Les prières sont le reflet du sens que la Kabbale attribue à chaque procession, qu’elles relient par ailleurs à des événements plus actuels.
La première procession, par exemple, représente la sefira de la bonté, symbole de la bienfaisance de Dieu. Cette prière est le reflet d’un désir de bonté dans le monde, tel qu’exprimé dans l’unité juive, l’entraide et la responsabilité collective.
Le rabbin Daniel Landes, fondateur et directeur de Yashrut, une organisation rabbinique, rappelle que Simhat Torah porte en soi une dimension dialectique, un mélange de joie et de deuil.

« Nous avons la danse avec la Torah, mais nous avons aussi le Yizkor », poursuit Landes en évoquant la prière du souvenir dite pour les défunts.
En dehors des frontières d’Israël, Shmini Atzeret et Simhat Torah forment une fête d’une durée de deux jours, le premier plutôt contemplatif et le second versé dans la joie, les chants et la danse.
« Je n’oublie jamais que ce jour est synonyme à la fois de joie et de deuil. C’est pourquoi nous l’appelons Avodat Hashem [servir Dieu] parce que c’est un travail, cela n’a rien de facile », poursuit Landes.
Au kibboutz Yavne, le nom des 1 206 victimes tuées par le Hamas lors du dernier Simhat Torah sera inscrit sur des cartes – à raison de quatre ou cinq noms par carte – qui seront distribuées aux fidèles pour qu’ils pensent à eux pendant la prière du Yizkor.
« J’ai demandé que les cartes soient plastifiées afin que nous puissions les réutiliser l’an prochain », ajoute Ofran.
Les communautés non-orthodoxes en Israël
La rabbin Dalia Marx, professeure de liturgie et de midrash au Hebrew Union College, explique que les communautés non orthodoxes, à l’intérieur desquelles hommes et femmes dansent et chantent ensemble, ont également ajouté des prières et apporté des changements aux cérémonies.

« À la congrégation de Kol Haneshama, à Jérusalem, il y aura deux processions avec des chants et des danses », explique-t-elle. « Mais pour les cinq autres hakafot, hommes et femmes resteront debout et se passeront les rouleaux de la Torah de main en main tout en reprenant des chants en silence. Les prières concernent la libération des otages, le retour des populations évacuées et les espoirs de paix. »
« À Or Hadash, une congrégation réformée de Haïfa, une liturgie spéciale a été composée pour être dite avant les prières du matin. Elle s’appelle 6:29 [l’heure à laquelle le massacre de Simhat Torah a commencé] », ajoute Marx. « Dans d’autres communautés, en lieu et place des rouleaux de la Torah, les fidèles porteront la photo d’otages ou de leurs proches disparus. Et Rabba Yael Vurgan, qui dirige les congrégations du Mouvement réformateur dans la région du conseil local de Shaar Hanegev, a proposé de changer le nom de la fête – Simhat Torah – pour en faire Sichat Torah.
Sichah signifie « conversation » ou « discussion » en hébreu. L’idée de Vorgan est de faire d’une partie de cette journée l’occasion d’accepter ce qui s’est passé. Shaar Hanegev se trouve dans le nord-ouest du Neguev et se compose de 10 kibboutzim et d’un moshav – une communauté agricole collective – à la frontière de la bande de Gaza.
« Le sens de toutes ces initiatives est on ne peut mieux exprimé par le verset du deuxième chapitre des Psaumes : ‘Soyez joyeux et tremblants’ », rappelle Marx. « Nous devons donc réagir de différentes manières. Comment la faire ? Petit à petit, jour après jour, en le faisant. »
Que la fête soit joyeuse pour les enfants
Les prières de Simhat Torah, combinées aux chants et aux danses, font passer de longues heures à la synagogue.
Il est de coutume de proposer de la nourriture et des boissons lors des festivités ainsi que des sachets de bonbons pour les enfants, de façon à les faire patienter.
Les communautés qui, d’ordinaire, proposent des boissons alcoolisées ont débattu de la pertinence de le faire cette année.

Eliyahu a dit que l’alcool n’était pas approprié pour ce Simhat Torah.
« Je reviens d’une base de Tsahal sur laquelle on a dit une prière du Hallel avec de la musique. Des centaines de soldats y ont participé. Ces hommes ont vu beaucoup de choses. Certains de leurs camarades soldats ont été tués ou blessés. Et pourtant, il y avait de la joie, des chants et une ambiance exaltée, le tout sans une goutte d’alcool », poursuit-il.
Stav confirme avoir reçu des questions au sujet de la consommation d’alcool.
« Je suis pour l’interdiction totale de l’alcool et faire des repas moins fastueux », ajoute-t-il. « Sans toucher aux sachets de bonbons, qui devront être distribués comme d’habitude. Les enfants les attendent : nous ne voudrions pas les décevoir. »
Landes dit avoir reçu le courriel d’un grand-père expliquant qu’il ne danserait pas pour Simhat Torah cette année.
« Que ferez-vous si votre petit-fils vous demande de danser ? » lui ai-je demandé.
« Il a eu du mal à répondre ».
« Je ne porte aucun jugement, mais que ceux qui veulent danser le fassent, quitte à ce que leurs larmes coulent sur leurs pieds. »
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