Israël en guerre - Jour 366

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Comment l’extrémisme du pro-cannabis Feiglin a disparu dans un nuage de fumée

Il construira le Troisième temple et prône le départ des Palestiniens, mais il a aussi juré de légaliser la marijuana. C'est ainsi que Moshe Feiglin a créé la surprise

Raoul Wootliff est le correspondant parlementaire du Times of Israël

Moshe Feiglin en campagne au marché Mahane Yehuda de Jérusalem, le 4 avril 2019 (Crédit :  Yonatan Sindel / Flash90)
Moshe Feiglin en campagne au marché Mahane Yehuda de Jérusalem, le 4 avril 2019 (Crédit : Yonatan Sindel / Flash90)

Les trois premiers livres figurant en tête de la liste des Bestsellers en Israël sont, dans l’ordre décroissant : Le récit consacré à trois générations de femmes en quête de leur passé familial ; l’histoire partiellement fictive du passage à l’âge adulte de la fille de Baal Shem Tov et son point de vue sur la révolution hassidique, et un récit imaginaire des défis affrontés par un orphelin pendant la guerre d’Indépendance de 1948.

C’est un manifeste politique de 344 pages qui se classe à la quatrième place. Il affirme qu’Israël devrait annexer la Cisjordanie toute entière, encourager les Palestiniens à quitter les territoires, installer les instances gouvernementales sur le mont du Temple à Jérusalem, et réduire l’autorité de la Cour suprême et du procureur-général.

Ce programme prolongé et radical pourrait relever de la fiction. Mais d’ici deux jours, il pourrait incarner une politique prônée par un parti au coeur du gouvernement israélien.

Sur la couverture du livre Etre un Juif libre, Moshe Feiglin, ses lunettes sur les yeux et l’air pensif. C’est un activiste de la droite radicale qui, à l’exception d’une courte période passée à la Knesset sous l’étiquette du Likud, entre 2013 et 2015, est resté en marge de la politique israélienne pendant deux décennies. Ce nationaliste auto-proclamé connaît dorénavant une popularité croissante parmi les Israéliens mainstream avec sa nouvelle formation du Zehut – et, à la grande surprise des libraires de tout le pays, avec son livre, qui garnit dorénavant le devant des rayonnages, lorsqu’il n’est pas tout simplement épuisé.

« Des personnes très diverses viennent l’acheter », a expliqué dimanche dans la soirée une vendeuse de la librairie Steimatzky, située dans la rue Ben Yehuda, dans le centre de Jérusalem, à la fermeture de son magasin. « Jeunes et moins jeunes, religieux et laïcs. Beaucoup de livres très différents intéressent un large public, mais on ne s’y attendait pas pour celui-là ».

Le programme du parti Zehut, « Etre un Juif libre », sur un rayon de la librairie Steimatsky de Jérusalem, le 7 avril 2019 (Crédit : Raoul Wootliff/Times of Israel)

L’a-t-elle lu elle-même ? A cette question, l’employée – qui a demandé à ne pas être identifiée – a répondu l’avoir feuilleté « une ou deux fois » mais ne pas s’être plongée dans ces 23 chapitres, qui abordent de nombreux sujets – de l’introduction d’un impôt à taux unique au démantèlement de l’Autorité palestinienne en passant par le développement du mont du Temple… Et par la légalisation de la marijuana.

Le parti Zehut (« identité » en hébreu) de Feiglin a d’abord eu du mal à se frayer un chemin entre les multiples formations qui se présentent aux élections de mardi. A l’origine de son ascension, il y a deux mois, sa promesse de légaliser le cannabis s’il parvenait à entrer à la Knesset, une hypothèse qui paraissait improbable à ce moment-là.

Alors que le parti pro-cannabis Aleh Hayarok a renoncé à se présenter aux élections générales pour la première fois en 20 ans, les partisans de la légalisation de la marijuana se sont tournés en masse vers la formation nationaliste et libertaire de Feiglin, qui a astucieusement fait du sujet l’un des piliers de son programme radical et iconoclaste – qui se pare de surcroît dorénavant de l’étiquette de Bestseller.

Les derniers sondages de la campagne, effectués à la fin de la semaine dernière, prédisent que Zehut pourrait remporter cinq à sept sièges à la Knesset, forte de 120 membres. Si ces prédictions s’annoncent exactes, Feiglin, l’éternel paria, pourrait jouer les arbitres en ce qui concerne la formation de la coalition post-scrutin, s’adjugeant une représentation ministérielle et une bonne place pour revendiquer la mise en oeuvre de certaines de ses principales demandes.

Moshe Feiglin, chef du Zehut, en campagne électorale sur le marché Mahane Yehuda de Jérusalem, le 4 avril 2019 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Avec le soutien du comédien de stand-up et activiste en faveur de la légalisation du cannabis Gadi Wilcherski, qui se trouve placé à l’irréaliste 18ème place de la liste du parti mais qui a rejoint Feiglin à l’occasion d’un certain nombre d’événements de campagne importants, la formation présente un large plan visant à « mettre un terme à la persécution des usagers du cannabis » par le biais d’une « légalisation entière et régulée sur la base des restrictions appliquées dans la vente d’alcool et sur la base des restrictions d’ores et déjà mises en place là où le cannabis est légal ».

Feiglin a également cherché à jouer sur d’autres lois nationales quasi-libertaires qui, au-delà de la légalisation, vont d’une plateforme syndicale qui prônerait entre autres les bons scolaires, les droits des animaux et l’économie de libre-échange.

Tentant d’optimiser sa popularité, Feiglin a initialement minimisé ses positionnements nationalistes et religieux d’extrême-droite – même s’il les révèle dans son programme best-seller – préférant favoriser son message sur la liberté individuelle. Mais la croissance des soutiens en faveur de Zehut aidant, Feiglin a dissipé le nuage de fumée issu de la marijuana et il a commencé à laisser poindre le puriste idéologique en lui, qui n’a cessé de railler l’establishment depuis le début des années 1990.

Son renversement de la sagesse politique préétablie n’a pas, néanmoins, effrayé les électeurs. Au contraire : Ils sont de plus en plus nombreux à le rejoindre.

« Je ne l’ai pas toujours soutenu mais, ces deux dernières années, je me suis intéressé au parti parce que ses idéaux me parlent véritablement », s’exclame Harel Bassan, 23 ans, de Jérusalem. « Et dorénavant, je n’ai pas honte de dire que je suis un partisan de Feiglin, et même un soutien ardent ».

Durant ses 20 années d’activisme politique, Feiglin, 56 ans, père de cinq enfants et né à Haïfa, a toujours eu cette capacité à réunir des fidèles loyaux et dévoués. Co-fondateur du mouvement de protestation Zo Artzeinu, il avait encouragé des milliers d’adolescents à bloquer la circulation dans tout Israël avec l’espoir de déjouer les accords d’Oslo, signés avec les Palestiniens en 1993. A la tête de la faction Manhigut Yehudit d’extrême-droite, il avait fait entrer une foule d’habitants d’implantations religieux dans les rangs du Likud et – causant la vive irritation du Premier ministre Benjamin Netanyahu – il avait remporté le scrutin qui lui avait permis de devenir député pour le parti.

La campagne ratée de Moshe Feiglin à Jérusalem pour un siège au Likud en 2008 (Crédit : Olivier Fitoussi /FLASH90)

Avec Zehut, il est malgré tout parvenu à toucher un nouveau public qui ne se serait pas imaginé dans le passé voter pour un activiste pro-implantations qui s’est exprimé contre les femmes, les gays et les Juifs réformés, qui aura été interdit au Royaume-Uni pour incitations à la violence contre les Arabes et qui a été condamné à six mois d’emprisonnement pour sédition. Cette peine, décidée en 1995 par la cour suprême – lorsqu’il avait organisé des manifestations bruyantes contre les accords d’Oslo, peu avant l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin – avait été ultérieurement commuée en service communautaire.

Attirés par le Feiglin favorable à la légalisation du cannabis récréatif, ses partisans ne se laissent pas décourager par l’autre Feiglin, celui qui encourage entre autres le transfert de la population palestinienne.

Certains électeurs potentiels de Zehut reconnaissent savoir finalement peu de choses, voire rien, de ses positionnements autres que ceux liés à la marijuana et ne pas connaître ses antécédents. D’autres disent ne guère s’en préoccuper. D’autres affirment s’en inquiéter, mais qu’il ne pourra jamais mettre en oeuvre ses politiques les plus radicales.

« La première fois que j’ai entendu parler de lui, c’est parce qu’il était favorable à la légalisation », explique Adi, 21 ans, une étudiante de l’université de Tel Aviv qui vit dans les logements de la cité universitaire située au nord de la ville. « Oui, je fume. Et je pense que ça devrait être légal. Alors si quelqu’un me dit : ‘C’est clair, il faut que la marijuana soit légalisée’, je veux vraiment entendre ce qu’il a à dire ».

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et Moshe Feiglin à la Knesset le 2 juillet 2013 (Crédit : Flash90)

Adi, qui déposera un bulletin dans l’urne pour la toute première fois de sa vie mardi, dit qu’elle s’est rendue à son premier événement de campagne de Zehut il y a deux semaines lorsque la formation a organisé une conférence pro-cannabis à Tel Aviv dont elle avait eu connaissance via un prospectus distribué sur le campus.

« Il y avait une bonne ambiance là-bas », dit-elle. « Il y avait des gens vraiment très différents ».

Alors qu’elle affirme pencher « plutôt à gauche », Adi explique qu’elle a souscrit aux points de vue de Feiglin dans le domaine de l’économie « et même sur des choses qui pourraient être considérées de droite, peut-être même extrémistes. Je pense qu’il tente de trouver des solutions là où les autres n’en ont pas ».

Et que pense-t-elle des sections radicales, voire pyromanes, du programme – elle a acheté le livre, dit-elle, mais elle ne l’a pas encore lu – qui appellent spécifiquement à annexer la Cisjordanie et à encourager les Palestiniens à partir, à installer les instances gouvernementales sur le mont du Temple, à réduire l’autorité de la Cour suprême et du procureur-général, entre
autres ?

Le chef de Zehut Moshe Feiglin rencontre des électeurs potentiels à Jérusalem, le 13 mars 2019 (Crédit : Noam Revkin Fenton/Flash90)

« Je ne sais rien de ça », admet-elle. « Mais ce ne sont pas des politiques qu’il va réellement mettre en oeuvre. Il parle bien plus de ses politiques sociales et économiques ».

Lors d’un entretien avec le Times of Israel, accordé pendant une rencontre en anglais à Tel Aviv, le mois dernier, Feiglin a en effet semblé désireux d’orienter la discussion vers ses politiques domestiques, demandant au public, à deux occasions, de lui poser moins de questions sur la Cisjordanie et les Palestiniens, tout en insistant sur le terme « Arabes » pour se référer aux Palestiniens. Il a réclamé plus de questions de l’assistance sur « nos plans économiques fantastiques ».

Pressé sur le sujet, il a finalement fait part de ses positions : Expliquant le soutien qu’il apporte à une solution à un Etat, Feiglin a déclaré que plus de 90 % des Palestiniens de Gaza et 65 % des Palestiniens de Cisjordanie préfèreraient d’ores et déjà émigrer, ce qui permettrait à Israël de maintenir une majorité juive entre le fleuve Jourdain et la mer Méditerranée (il n’a pas précisé l’origine des statistiques avancées et le parti Zehut n’a pu transmettre de sources).

Concernant la « minorité » de Palestiniens qui choisirait de renoncer aux incitations économiques au départ et insisteraient pour rester sur un territoire israélien aux frontières élargies, Feiglin a déclaré qu’ils obtiendraient un statut permanent de résidence et bénéficieraient des « pleins droits de l’Homme », mais qu’ils n’auraient pas les mêmes droits civils en tant qu’Israéliens.

Ces Palestiniens qui – « pour une raison ou une autre que je ne peux même pas imaginer » – seraient intéressés par l’obtention de la citoyenneté devraient traverser « un processus long » durant lequel ils devraient « promettre ouvertement leur loyauté à l’Etat juif », a ajouté Feiglin, disant qu’une telle approche garantirait « une paix réelle ».

Le président du parti Zehut Moshe Feiglin, à droite, interrogé par le correspondant politique du Times of Israel Raoul Wootliff à Tel Aviv, le 23 mars 2019 (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)

Feiglin a également prôné la reprise par Israël du contrôle militaire à Gaza, affirmant que les résidents de l’enclave côtière jouiraient de « plus de droits de l’Homme » que ceux dont ils bénéficient actuellement sous la coupe du groupe terroriste du Hamas à la tête de la bande.

Avec une sincérité similaire, il a révélé la semaine dernière l’impératif religieux dissimulé derrière sa proposition de la reprise par l’Etat juif du contrôle de la sécurité quotidienne sur le mont du Temple et de la gestion du complexe – c’est le lieu le plus saint du judaïsme et le troisième site le plus sacré de l’islam – en disant qu’il voulait reconstruire le troisième Temple juif là-bas, sans délais.

« Je ne veux pas construire un temple dans un ou deux ans, je veux le faire construire immédiatement », a déclaré Feiglin lors d’une conférence organisée à Tel Aviv par Maariv et le Jerusalem Post.

Moshe Feiglin, au centre, durant une audience au tribunal de Jérusalem, le 2 octobre 2012. Il avait été arrêté pour avoir prié sur le mont du Temple (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Une telle initiative est absolument irréaliste. Les suggestions de changements mêmes mineurs au statu-quo maintenu dans le lieu saint explosif – qu’Israël a placé sous sa souveraineté depuis 1967 mais où le Waqf musulman détient l’autorité administrative, les Juifs pouvant s’y rendre en visite mais pas y prier – ont entraîné des mouvements de protestation violents et même parfois meurtriers.

Bassan, le jeune de 23 ans s’étant défini comme un soutien ardent de Feiglin, affirme que, s’il a été initialement séduit par le point de vue pro-marijuana et favorable à l’économie de marché de l’homme politique, il partage également certains positionnements sur la question palestinienne, avec quelques réserves toutefois. « Je pense que les choses sont un peu plus compliquées. Mais on n’en est qu’au stade des idées, ce n’est pas exactement ce qu’il va faire », dit-il.

« Même des choses qui pourraient être considérées de droite, peut-être même extrémistes. Je pense qu’il tente de trouver des solutions là où les autres n’en ont pas »

Bassan, qui se dit de droite, pense qu’encourager les Palestiniens à quitter leurs territoires de leur propre gré est « une bonne idée » mais qu’il faudrait faire des recherches pour déterminer s’ils le désirent vraiment.

« Cela ne pourrait se faire que s’ils veulent véritablement partir… Je ne vois rien de moral à expulser les gens de chez eux par la force ».

Aaron Rutenberg, 37 ans, qui habite l’implantation de Tekoa, en Cisjordanie, et partisan de longue date de Feiglin, dit avoir le sentiment que le soutien aux plans économiques du leader de Zehut va de pair le soutien à ses politiques sécuritaires extrêmes – et que c’est ce mélange qui attire les électeurs.

« Cela fait très, très longtemps que les gens votent pour une certaine approche et ils en ont marre : De ces gros gouvernements et de certaines approches face au terrorisme », explique-t-il. « Rien n’a fonctionné. Il faut donc changer les choses ».

Alors que Feiglin, de plus en sûr de lui, reste dorénavant imperturbable face à ses politiques de droite, il fait encore des efforts pour rallier des électeurs de tout le spectre politique – ceux qui veulent la réélection de Netanyahu ainsi que ceux qui voudraient voir ce dernier remplacé par le chef de Kakhol lavan, Benny Gantz.

« Je voudrais qu’il recommande Netanyahu et je pense que c’est ce qu’il fera », affirme Rutenberg, évoquant le processus post-électoral durant lequel les représentants de chaque parti entrés à la Knesset sont appelés par le président Reuven Rivlin pour faire connaître la personnalité qu’ils recommandent en vue de la formation de la coalition. « Cela me décevrait s’il ne le faisait pas mais je ne peux pas seulement l’imaginer », ajoute-t-il.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, (à gauche), et Benny Gantz. (Hadas Parush/Tomer Neuberg/Flash90)

Bassan et Adi, pour leur part, préféreraient que Feiglin s’aligne auprès de l’ex-chef d’Etat-major Gantz.

« Je serais content si Bibi était sorti », s’exclame Bassan. « Je ne sais pas si je serais heureux que Gantz devienne Premier ministre mais peut-être que c’est préférable. C’est dur pour moi d’imaginer qu’il y ait des changements avec Bibi : Et il faut que les choses changent ».

« Gantz, c’est d’accord. Je ne veux pas de Bibi », dit Adi.

Les sondages de fin de campagne semblent généralement indiquer que tandis que le Likud et Kakhol lavan restent au coude-à-coude, c’est Netanyahu qui serait recommandé par une majorité de députés élus. Il serait donc le mieux placé pour former la prochaine coalition multipartite.

Toutefois, Feiglin pourrait bien changer cette équation. Alors qu’il a répété à de multiples reprises ne pas avoir de préférence entre Gantz et Netanyahu, Feiglin, qui a déclaré vouloir occuper le poste de ministre des Finances, pourrait bien jouer le rôle d’arbitre dans cette course très serrée.

Feiglin pourrait tout autant se recommander lui-même au poste de Premier ministre devant Rivlin, a confié une source de Zehut dimanche soir au Times of Israel – un scénario qui n’a aucune chance de se réaliser à l’occasion du présent scrutin mais, a affirmé le politicien, pourrait bien s’imposer à l’avenir.

« Je serai Premier ministre un jour », a confié Feiglin au Times of Israel le mois dernier. « Et là, on pourra vraiment commencer à travailler ».

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