Israël en guerre - Jour 431

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Analyse

Comment une petite réforme a radicalisé la politique en Israël

Un changement apparemment anodin dans les règles électorales, en 2014, a eu un effet boomerang, aidant à produire une nouvelle réalité d'extrême, d'agressivité et d'impasse

Haviv Rettig Gur

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

La commission centrale électorale compte les bulletins restants des soldats et des votes par correspondance à la Knesset à Jérusalem, le 10 avril 2019. (Noam Revkin Fenton/Flash90)
La commission centrale électorale compte les bulletins restants des soldats et des votes par correspondance à la Knesset à Jérusalem, le 10 avril 2019. (Noam Revkin Fenton/Flash90)

Le 1er novembre, jour où les Israéliens se rendront aux urnes, l’État juif aura connu cinq élections en l’espace de 43 mois seulement. Dans ce contexte, il est facile de pardonner à ceux qui estiment aujourd’hui qu’il n’y a plus rien à sauver dans le système électoral israélien. Il semble ne plus répondre aux devoirs les plus fondamentaux d’un système politique, comme peut l’être la création d’un gouvernement viable.

Les observateurs ont désigné un grand nombre de coupables concernant la radicalisation du sectarisme partisan et de l’instabilité politiques en Israël : La politique anti-mondialisation populiste qui balaie le monde développé, les effets induits par l’impasse palestinienne, les « politiques d’incitation à la haine » ou la « radicalisation » des deux blocs qui s’opposent dans le pays.

Il y a une certaine vérité dans ces observations, mais il y a aussi une explication plus simple qui permet de faire le lien de façon plus directe et qui laisse entendre qu’il pourrait y avoir des moyens d’affaiblir, voire de renverser ces inquiétantes tendances. Ils exigent de se pencher sur le système lui-même, sur la manière dont il négocie les intérêts différents, sur la façon dont il canalise le pouvoir politique. Et dans le cadre de cet examen, nous sommes aussi amenés à examiner de près une réforme qui semblait pourtant anodine et qui a été votée par la Knesset en 2014 : la hausse du seuil électoral de représentation au Parlement, qui était alors passé de 2 % à 3,25 %.

Un changement qui avait été adopté très facilement par les députés. Son objectif, avaient expliqué les parrains de ce projet de loi à l’époque, était de réduire la dépendance gouvernementale à l’égard de factions minuscules et marginales, renforçant par conséquence la stabilité du gouvernement et son aptitude à diriger le pays.

Il y avait trop de formations politiques qui se bousculaient autour de la Knesset, avaient-ils expliqué. Les Premiers ministres devaient satisfaire parfois une demi-douzaine – et huit dans le cas de la coalition sortante ! – de factions distinctes pour que le gouvernement parvienne à rester en vie. Une dizaine de formations se retrouvaient à négocier sur une seule législation. Cette complexité et cette dépendance à l’égard des petits partis perturbaient le processus de prise de décision et étaient une source majeure d’instabilité politique. La simple gouvernance s’avérait être presque impossible dans cette pagaille absolue.

La réforme du seuil de représentation électorale avait été décriée par les partis arabes qui avaient dénoncé son « racisme », et par les politiciens de l’extrême-droite juive qui avaient affirmé haut et fort qu’elle était « anti-démocratique » – mais ces plaintes avaient été généralement rejetées (je l’avais rejetée moi-même), considérées comme une manifestation d’opposition presque instinctive à un changement sain de la part de politiciens qui avaient eux-mêmes profité d’un système mauvais.

Les co-dirigeants de HaYamin HaHadash Ayelet Shaked (à droite) et Naftali Bennett s’adressent aux sympathisants à leur QG de campagne à Bnei Brak, le 9 avril 2019. (Jacob Magid/Times of Israel)

La majorité des partis arabes remportaient alors entre 2 % et 4 % des votes et ils étaient donc menacés par cette réforme. Les partis Juifs d’extrême-droite n’atteignaient pas les 2 % des suffrages ; le rehaussement du seuil de représentation électorale annihilait tout espoir pour eux d’intégrer la Knesset, devenue largement hors de portée. Mais, avaient expliqué les réformateurs, cette nouvelle réalité signifiait simplement qu’ils devaient dorénavant conclure des alliances avec des factions se situant à l’extérieur de leur camp idéologique étroit, une exigence qui les obligerait à modérer leurs points de vue et qui, finalement, renforcerait leur présence au Parlement.

Les partis arabes avaient insisté sur le fait que la réforme était une tentative à peine voilée de la part du parti Yisrael Beytenu de droite (qui avait co-parrainé le texte final) visant à réduire la représentation politique arabe. Mais cette théorie avait été contredite par le soutien dont elle avait bénéficié dans les formations libérales et progressistes du spectre israélien. Le président Isaac Herzog, alors député Travailliste, avait même proposé un seuil de représentation électorale encore plus élevé quelques années auparavant, à 5 %.

Pour la plus grande partie des partisans du projet de loi, et notamment chez les chercheurs en sciences politiques qui avaient ardemment pris sa défense et pour les factions libérales qui avaient voté en sa faveur, l’intention était vertueuse. Grâce à l’augmentation du seuil de représentation électorale, avaient-ils insisté, la politique cacophonique et ingouvernable en Israël se métamorphoserait en système plus simple, plus modéré, plus stable.

Meilleurs plans

Mais cela n’avait pas vraiment été le cas.

« Une réforme qui était supposée nous libérer d’une instabilité électorale imaginaire nous a finalement amené une instabilité électorale très réelle », a expliqué le docteur Shany Mor, maître de conférence à l’Institut de Liberté et de Responsabilité au sein de l’Université Reichmann et chercheur associé à la Foundation for the Defense of Democracies, dont le siège est à Washington. Mor a obtenu un doctorat à l’université d’Oxford, avec une thèse consacrée à la représentation politique. Il a échangé la semaine dernière avec le Times of Israel.

Shany Mor (Crédit : Institut israélien de la Démocratie)

Ce rehaussement du seuil, a-t-il affirmé récemment dans le magazine hébréophone Liberal, a finalement entraîné le contraire de son objectif premier, déstabilisant et radicalisant la politique israélienne.

Pour en comprendre les raisons, il faut se replonger dans les 43 mois d’impasse politique connus par le pays. A la fin de ce voyage, une leçon sous forme de mise en garde au sujet de l’orgueil et des écueils qui accompagnent toute tentative de la part des spécialistes de la politique – fussent-ils les plus éminents – lorsqu’ils s’efforcent de résoudre des problèmes politiques en transformant le système électoral.

La crise actuelle a commencé au mois d’avril 2019, lorsque le parti HaYamin HaHadash avait remporté le score exaspérant de 3,24 % des votes, à un centième de point de pourcentage en-deçà du seuil électoral -le décompte avait ensuite été recalculé à la baisse, à 3,22 %. Au même moment, la liste conjointe établie entre Raam et Balad, qui avait uni les partis islamiste et nationaliste laïc de l’électorat arabe, avait franchi le seuil avec une marge seulement légèrement inférieure à celle qui avait marqué la défaite de HaYamin HaHadash – 3,33 % des suffrages, soit huit centièmes de point de pourcentage au-dessus du seuil de représentation au Parlement.

Les deux listes – l’une victorieuse, l’autre disqualifiée – étaient séparées d’à peine 5 000 voix. Si l’une ou l’autre avait franchi le seuil dans le sens contraire – avec HaYamin HaHadash entrant à la Knesset ou Raam-Balad échouant dans sa tentative – alors Benjamin Netanyahu, à qui il manquait un siège pour disposer de la majorité, aurait pu former un gouvernement et il aurait pu éviter ainsi le chaos qui prévaut depuis trois ans maintenant.

Avant 2014, il n’y avait pas d’action au seuil de représentation. Depuis, toute les élections ont été déterminées par ce seuil

Ce qui avait été un moment éclairant – en particulier pour Netanyahu.

« Avant 2014, il n’y avait pas d’action au seuil de représentation. Depuis, toute les élections ont été déterminées par ce seuil, » note Mor.

Le seuil avait été fixé à un niveau suffisamment élevé pour obliger les petites formations à s’allier, en partant de la théorie que leur influence serait ainsi amoindrie. Mais les partis ne s’étaient pas unis aussi rapidement que prévu et il s’avère que ce sont les petites factions qui savent éviter le sort peu enviable de rester en-deçà du seuil de représentation électorale qui décident dorénavant des élections.

Au lieu de réduire leur importance, le nouveau seuil a transformé les partis les plus petits en faiseurs de roi de tous les scrutins qui suivront. La victoire pour les formations plus importantes dépend dorénavant du sort réservé à la faction la plus minuscule. Une légère baisse dans le taux de participation électorale arabe ou une légère augmentation dans celle des électeurs de droite, par la logique sans pitié du nouveau seuil, peut dorénavant décider du destin de la politique nationale.

Ainsi, le Likud a réorganisé ses campagnes pour se concentrer sur ces marges : des efforts intensifs ont été livrés dans le but de décourager le vote arabe et de sauver de l’oubli les suffrages des Juifs de l’extrême-droite. Des extrémistes qui étaient autrefois ignorés, à droite, ont été intégrés dans la sphère politique mainstream, du parti kahaniste Otzma Yehudit jusqu’à Noam, un mouvement ouvertement homophobe. Au lieu de libérer les grands partis du fardeau des factions marginales, ces factions ont gagné un nouveau pouvoir, elles ont été légitimées. Les campagnes, des deux côtés de l’échiquier politique, sont dorénavant obsédées par l’idée d’empêcher une répétition de l’échec essuyé en avril 2019 par HaYamin HaHadash.

(Il faut le noter : Après l’effet boomerang des campagnes anti-Arabes du Likud, qui ont finalement entraîné un vote massif de protestation dans les bureaux de vote des localités arabes pendant les élections, la formation a changé de stratégie en cherchant à améliorer son image auprès de cet électorat et elle a tenté – un peu – de tirer un bénéfice d’électeurs à la dérive, ayant perdu leurs illusions face aux factions arabes. Dans une course électorale dans l’impasse, chaque vote compte. La tactique peut avoir changé mais cette focalisation stratégique sur la marge reste pour sa part parfaitement intacte).

Et alors que ces marges gagnaient en importance, le public israélien s’est proportionnellement radicalisé.

Ayman Odeh et Balad, Netanyahu et les kahanistes

Au niveau le plus simple et de manière générale, la politique arabe en Israël se divise en deux élans principaux. D’un côté, celui d’une plus grande intégration au sein de la société israélienne et de l’autre, une emphase particulière placée sur l’identité et la cause palestiniennes (c’est, bien entendu, une simplification importante. Mais il s’agit toutefois d’une tension sous-jacente déterminante qui, si elle n’est pas prise en compte, ne permet pas de comprendre la politique arabe au sein de l’État juif).

Le chef de la Liste arabe unie Ayman Odeh (Hadash) lors d’une réunion de faction à la Knesset, le 7 mars 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Quand il était arrivé au premier plan de la politique arabe en Israël, le chef de Hadash, Ayman Odeh, s’était présenté comme un défenseur de la réconciliation et de l’intégration. Il s’était positionné comme un modéré dans le face-à-face politique entre Arabes et Juifs, alors tendu – jusqu’à, en fait, que les formations arabes soient obligées par la réforme du seuil de représentation électorale de s’unir en amont des élections de 2015.

Les Juifs israéliens ont des difficultés à faire la distinction entre Hadash et Balad. Quand ils évoquent les médias israéliens ou les politiques juives, les deux hommes utilisent une rhétorique pratiquement identique en soutien aux Palestiniens ou dans leurs critiques d’Israël. Ils ont tendance à être interviewés indifféremment dans les médias israéliens en raison de cette rhétorique similaire. Mais comme l’avait fait remarquer, dans le passé, un activiste de Hadash au journaliste que je suis, il y a pourtant une différence fondamentale entre les deux formations : C’est que même lorsqu’elles semblent se trouver au même emplacement, l’une d’entre elles regarde en direction de la société israélienne et l’autre à l’opposé.

Placées dans l’obligation d’intégrer la même liste électorale, les formations n’ont plus été en mesure de représenter cette différence fondamentale qui existe dans la politique arabe. Là où les défenseurs du rehaussement du seuil de représentation électorale espéraient que l’union se mettrait au service de la modération, en pratique, c’est Balad et non Hadash – le radical, et non le mouvement le plus modéré – qui a établi la ligne idéologique fondamentale permettant de conserver l’union intacte.

La rhétorique utilisée par Odeh et ses politiques sont rapidement devenues plus agressives. Balad, la faction nationaliste palestinienne et anti=sioniste autoproclamée la plus ardente – et également la moins populaire, la seule qui rencontrait des difficultés à franchir le seuil de représentation de 2 % avant 2014 – a obtenu un droit de veto poussé à l’extrême sur la politique arabe, un droit de veto qu’il n’avait jamais possédé avant la réforme.

Et la même chose s’est produite à l’extrême-droite, et pour la même raison. S’il voulait garantir qu’aucun vote de droite ne serait perdu en raison du seuil de représentation revu à la hausse, Netanyahu a estimé qu’il n’avait pas d’autre choix que d’œuvrer en faveur d’alliances et, lui reprochent les critiques, de remettre sur le devant de la scène des forces politiques qu’il condamnait pourtant ouvertement peu de temps auparavant.

L’échec de HaYamin HaYadash, au mois d’avril 2019, n’avait pas été le premier exemple d’une faction de droite abattue par le rehaussement du seuil électoral. Lors des élections de 2015 – c’était le premier scrutin après la réforme – Yahad, une formation d’extrême droite née d’une alliance entre l’ancien leader du Shas Eli Yishai et Otzma Yehudit, n’avait remporté que 2,97 % des suffrages, un quart de point sous le nouveau seuil. Trois sièges de droite avaient ainsi été perdus à la Knesset. (Le simple fait qu’un ex-dirigeant du Shas ait pu s’unir avec des kahanistes avait alors été une rupture avec le passé qui avait suscité des condamnations au sein des hommes politiques Haredim. La défaite, bien sûr, avait été le résultat du nouveau seuil).

Le député Itamar Ben Gvir et le député Bezalel Smotrich du HaTzionout HaDatit-Otzma Yehudit ont enregistré leur parti pour les prochaines élections législatives à la Knesset, le 14 septembre 2022. (Crédit : Arie Leib Abrams/Flash90)

Une expérience qui avait signifié qu’avant même l’échec de HaYamin HaHadash, dans les semaines qui avaient précédé cette élection de 2015, Netanyahu avait investi d’importants efforts dans la nécessité de garantir l’unité de l’extrême-droite. Il avait dépensé du temps et de l’énergie à tenter de négocier l’alliance des factions extrémistes Otzma Yehudit, Yahad, Tekuma et HaBayit HaYehudi.

En avril 2019, moins de 200 votes en faveur d’un petit parti à la marge de la politique israélienne auront coûté à Netanyahu toute sa course électorale

L’échec exaspérant, si près du but, de HaYamin HaHadash avait été davantage qu’une simple déception – il avait été le scénario du pire pour Netanyahu, un scénario dont le sort réservé à Yahad, en 2015, avait été le présage et qui s’était réalisé devant ses yeux horrifiés. En avril 2019, moins de 200 votes en faveur d’un petit parti à la marge de la politique israélienne avaient coûté à Netanyahu toutes ses ambitions et toute sa course électorale.

Le Netanyahu qui ouvre aujourd’hui aux kahanistes la porte de la Knesset est un Netanyahu traumatisé et ce traumatisme est la conséquence directe du seuil de représentation électoral plus élevé, taillé précisément à la hauteur des factions minuscules qu’il espérait affaiblir mais qu’il a fini par dynamiser.

Au fil des trois dernières années et au rythme des quatre scrutins qui ont été organisés dans l’intervalle, Netanyahu a promis des postes au cabinet, de l’argent du budget et même des places sur sa propre liste du Likud à des formations d’extrême-droite qui ont accepté de s’unir pour éviter de se faire déchirer par les mâchoires béantes du seuil de représentation électorale.

C’est une règle de base dans des négociations : le parti qui crie le plus fort, celui qui affiche le plus sa volonté de claquer la porte un jour, est inévitablement celui qui a l’avantage

Et tout comme le petit Balad a pu dicter sa politique à Hadash, plus important, le résultat n’a jamais été la modération des plus radicaux. A chaque nouvelle alliance, ce sont les radicaux qui donnent le ton dorénavant et qui décident de l’ordre du jour pour les autres.

Ce qui n’aurait pas dû surprendre les réformateurs, en 2014. C’est une règle de base dans des négociations : le parti qui crie le plus fort, celui qui affiche le plus sa volonté de claquer la porte derrière lui un jour, est inévitablement celui qui a l’avantage.

Une spirale qui ne peut qu’empirer. Selon les sondages, le centre et la gauche pourraient rapidement connaître le même traumatisme de leur côté du spectre.

Il a fallu à Netanyahu cinq scrutins pour finalement obliger les factions de droite à s’unir ou à abandonner la course – mais il y est parvenu. La plus petite faction du camp de Netanyahu, Yahadout HaTorah, peut dorénavant compter sur le score confortable de sept sièges, selon les enquêtes d’opinion.

La formation HaBayit HaYehudi d’Ayelet Shaked – qui pourrait entrer dans le décompte de Netanyahu même si ce dernier s’en défend – est la seule à droite qui, dans les sondages, ne franchirait pas le seuil de représentation électorale.

Mais de l’autre côté de l’aile, dans le camp de Lapid (à défaut d’un terme meilleur), environ un tiers des sièges frôle le seuil de représentation électorale. Raam, Hadash-Taal, le Meretz et Adova récoltent régulièrement dans les enquêtes d’opinion 4, 4, 5 et 5 sièges respectivement.

Si l’un d’entre eux échoue à le franchir, cela pourrait bien accorder à Netanyahu sa victoire si convoitée.

Le résultat de cette « action au seuil de représentation électorale », comme l’appelle Mor, est un cycle de renforcement du sectarisme partisan et une perte de flexibilité parlementaire.

Avec l’union des factions les plus modestes – aujourd’hui à droite et peut-être à gauche et au centre demain – les alliances plus larges découvrent qu’elles doivent accommoder leurs éléments les plus radicaux pour survivre, et les partis les plus lourds sur la scène politique découvrent qu’ils doivent se soumettre à ce radicalisme nouveau pour garder à leurs côtés les acteurs qui étaient autrefois à la marge. Avant le rehaussement du seuil de représentation électoral, Avoda et Yesh Atid avaient pu siéger de manière relativement confortable dans des gouvernements placés sous l’autorité de Netanyahu – cela avait été le cas en 2009 et en 2013 respectivement – et le Shas avait travaillé avec Avoda dans un gouvernement d’Ehud Olmert, en 2006.

Ce qui n’est plus possible aujourd’hui.

Plus les radicaux gagnent en influence, moins le système est en mesure de tolérer une telle coopération trans-partisane et de tolérer la modération qu’un tel cas de figure exige et encourage. Le compromis inhérent à un système parlementaire qui fonctionne est tout simplement devenu intenable. La politique israélienne devient inflexible et, en conséquence, moins stable.

Comme Mor l’affirme, le seuil de représentation électoral plus élevé a fini par « ancrer dans la politique israélienne une polarisation qui n’existait pas auparavant ».

Les arguments en faveur de l’humilité

Les spécialistes en sciences politiques et les autres experts avaient assuré aux Israéliens que la réforme du seuil de représentation électorale réduirait le nombre de factions, stabiliserait le système politique, modérerait les marginaux et renforcerait l’efficacité des gouvernements et du travail des députés. En pratique, ça a été le contraire. Elle a favorisé les radicaux et rendu tout compromis impossible.

Il s’avère que cette vieille pagaille qui incommodait tellement les spécialistes et les réformateurs était, avec le recul, l’une des plus grandes forces du système politique israélien – lui accordant de la flexibilité, de la stabilité et une modération qui ont toutes dorénavant disparues avec la réforme du seuil.

Il y a peu de traditions politiques au sein de l’État juif qui sont plus vénérablement et authentiquement israéliennes qu’une réforme aboutissant sur l’opposé catastrophique de l’objectif qu’elle prétendait atteindre.

En 2020, Netanyahu a introduit dans le système constitutionnel israélien une nouveauté : celle du gouvernement « de parité » dont les parties qui le forment disposent, l’une et l’autre, d’un droit de veto qu’elles peuvent brandir contre leur partenaire. Une initiative prise dans le cadre de sa tentative de faire exploser Kakhol lavan, une alliance de centre-gauche, en attirant son leader, Benny Gantz, dans un gouvernement d’unité. Le résultat aura été à l’opposé des intentions premières de Netanyahu. Sans le mécanisme de parité – avec un Premier ministre limité et un droit de veto mutuel – le centre-gauche n’aurait jamais placé sa confiance dans une personnalité de droite telle que Bennett pour le hisser au poste de chef de gouvernement. Dans sa tentative imprudente de diviser ses ennemis, Netanyahu a créé le mécanisme qui, s’il n’avait pas existé, ne leur aurait pas permis de s’allier contre lui.

Ce n’est que l’exemple le plus récent. Le plus célèbre pourrait bien être la loi sur les élections directes. En 1992, la Knesset avait changé les règles électorales pour permettre aux Israéliens de choisir directement leur Premier ministre grâce à des bulletins spéciaux, qui venaient s’ajouter à un autre vote en faveur du parti politique favorisé par les électeurs. Les experts en science politique avaient déclaré que ce changement renforcerait le Premier ministre au cours des négociations de coalition chaotiques qui suivent les élections, affaiblissant les intérêts sectoriels étroits et et stabilisant le système politique (déjà). Mais c’était le contraire qui était arrivé. De nombreux électeurs qui étaient restés fidèles aux grands partis pour désigner leur Premier ministre s’étaient sentis libres, après avoir jeté leur bulletin dans l’urne pour nommer le chef de gouvernement, de voter pour une faction plus petite qui, selon eux, les représentaient de manière plus spécifique. Ils avaient abandonné les grands partis en grand nombre.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) et son ministre de la Défense d’alors, Ehud Barak, pendant une conférence de presse au bureau du Premier ministre, le 21 novembre 2012. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

Yitzhak Rabin avait gagné le scrutin de 1992 avec 44 sièges pour son parti Avoda. Sept ans plus tard seulement, Ehud Barak, à la tête de la même formation l’avait emporté en 1999 avec seulement 26 fauteuils. Barak, contrairement à son prédécesseur Rabin, avait été un Premier ministre directement élu inattaquable – au moins en théorie. En pratique, sa position lors des négociations à la Knesset avait été affaiblie jusqu’à la paralysie. La réforme avait eu un effet boomerang. Les Premiers ministres s’étaient retrouvés à devoir faire davantage de concessions, qu’il s’agisse d’argent public ou de priorités politiques, aux petits partis sectoriels que ce n’était le cas auparavant.

La réforme avait aussi insufflé une nouvelle vie à la guerre idéologique, plus clivante encore, au fur et à mesure que ces petites formations parvenaient à attirer des centaines de milliers de votes à la dérive dans le cadre de cette seconde élection – des suffrages qui ne revenaient auparavant qu’aux partis mainstream. Le Shas, faction haredi séfarade, s’était hissé à 17 sièges ; Shinui, le laïc militant, avait grimpé à 15 sièges. Au moment où cette législation sur les élections directes avait été renversée par un système politique épuisé en 2003, la politique israélienne était déjà devenue plus radicalement divisée, plus agressive et moins gouvernable.

Et la liste de fiascos similaires est longue. Le pays souffre encore des effets secondaires des réformes des Primaires des formations et d’autres, qui avaient été réalisées dans les années 1970 et 1980.

Il n’y a rien d’aussi terrifiant qu’un réformateur bien intentionné présentant un moyen qui est, selon lui, plus efficace de « simplifier » et de « stabiliser » la politique israélienne.

« Prenez garde à ceux qui vantent le présidentialisme ou la représentation régionale », avertit Mor – ou qui proposent d’imposer des limites de mandat aux Premiers ministres, qui exigent 70 députés (au lieu de la majorité simple) pour prononcer la dissolution du Parlement, ou de donner automatiquement au leader du parti le plus large le pouvoir de former un gouvernement. Il y a des arguments en faveur de tous ces changements mais il est impossible de prédire de manière fiable les conséquences de ces modifications sur le terrain. Les choses peuvent aussi empirer.

Un système politique est une machine phénoménalement complexe. Il est presque impossible de savoir comment un réglage, d’un côté, influera sur le système tout entier et les répercussions qu’il pourra avoir à l’autre extrémité.

Mais il y a aussi une raison plus profonde que la simple complexité pour les échecs persistants d’un si grand nombre de réformateurs de bonne volonté : Ils appréhendent généralement mal la puissance et la finalité de l’élément même qu’ils cherchent à changer.

Réduire le désordre politique et le conflit, ce n’est pas une formule permettant d’obtenir la stabilité et la modération

Comme le dit Mor, les vieilles magouilles parlementaires « et la nécessité constante de faire des compromis, c’est une bonne manière de faire fonctionner une démocratie jeune dans une société divisée. La politique ne consiste pas à éliminer ou à réduire les conflits mais à les gérer. Tout ce que tout le monde veut éliminer de notre système, c’est très exactement ce qui permet de maintenir la violence à distance de la politique ».

Réduire le désordre politique et le conflit, ce n’est pas une formule permettant d’obtenir la stabilité et la modération ; c’est une formule qui amène les divisions naturelles au sein de la société israélienne à s’exprimer de façon moins saine et moins constructive par le biais de la radicalisation et, à terme, de la violence.

Une meilleure direction

Mais alors que faire ? Les Israéliens doivent-ils désespérer de la possibilité même de réformer ?

Si cette analyse est correcte, une direction à prendre pour améliorer le système pourrait être de se pencher sur ses points de force sous-estimés, d’embrasser ce même désordre qui offense les réformateurs et les observateurs, à l’extérieur. Si réduire la représentation en imposant des alliances finit par radicaliser le système, peut-être est-il envisageable d’obtenir l’effet contraire en élargissant la représentation. En élargissant et en dynamisant la Knesset, en abaissant à nouveau le seuil de représentation électorale à 2 %, en remettant en jeu les forces marginales – peut-être serait-il possible de ramener les plus radicaux à leur juste dimension, à leur juste poids.

Mais plus que toute réforme spécifique, la principale leçon à tirer de cette impasse interminable et de cette radicalisation croissante peut bien être, tout simplement, de respecter les structures qui sont d’ores et déjà en place, de les considérer comme davantage que des accidents attendant qu’un tiers ingénieux vienne remodeler ce qu’elles sont. Il faut réfléchir à ce qui sera perdu s’il y a un changement – pas seulement à ce qui peut éventuellement être gagné dans le cadre d’une évaluation dont l’optimisme confinerait à l’irresponsabilité.

« Primum non nocere, » dit le sage proverbe enseigné aux personnels de santé dans le monde entier. Avant tout, ne pas nuire.

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