Contredisant Netanyahu, Gallant aurait dit à Austin qu’aucune date n’était fixée pour Rafah
Israël finaliserait encore les plans d'évacuation ; Sullivan dit n'avoir reçu aucune date pour l'offensive, suggérant un écart entre les propos publics et privés du Premier ministre
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
Le ministre de la Défense Yoav Gallant a affirmé à son homologue américain Lloyd Austin lors d’un appel lundi qu’Israël n’avait pas fixé de date pour le lancement d’une grande offensive terrestre à Rafah, contredisant ainsi le Premier ministre Benjamin Netanyahu, selon une source au fait du dossier qui s’est confiée au Times of Israel.
Gallant a indiqué qu’Israël était encore occupé à finaliser les plans d’évacuation des quelque 1,5 million de Palestiniens qui sont actuellement réfugiés dans la ville la plus au sud de Gaza après avoir fui les combats dans le nord, a précisé la source mardi, confirmant des articles publiés par le site d’information Axios et par le quotidien israélien Haaretz.
L’appel entre les chefs de la défense américain et israélien a eu lieu quelques heures après la déclaration de Netanyahu dans une vidéo publique que la date de l’opération de Rafah avait été fixée.
« Si une telle date a été fixée, il ne nous l’a pas communiquée », a déclaré mardi le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, interrogé par des journalistes pour savoir si Jérusalem avait informé Washington de ses projets.
Le principal conseiller de Joe Biden a ajouté que Netanyahu tenait « des discours publics [mais] nous parle aussi en privé de certains aspects des opérations et de leur vision pour Rafah dans les moindres détails », indiquant que les deux discours étaient souvent contradictoires.
Selon les comptes rendus des deux parties de l’appel Gallant-Austin, le ministre israélien de la Défense aurait informé son homologue américain des dernières manœuvres de Tsahal dans la bande de Gaza, ainsi que de ses plans pour le futur.
Netanyahu a annoncé au moins quatre fois au cours des deux derniers mois qu’il avait approuvé les plans opérationnels de Tsahal à Rafah, mais aucune offensive ne semble prévue dans un futur proche, en particulier depuis le retrait complet de Tsahal de Khan Younès dimanche, qui a encore réduit le nombre de troupes présentes dans la bande de Gaza. Au plus fort de la guerre, Tsahal disposait d’environ 30 000 soldats à Gaza. Ils n’étaient plus que quelques milliers avant le dernier rappel, soit bien moins que le nombre d’effectifs nécessaire pour mener une opération terrestre d’envergure à Rafah.
Le conseiller américain à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, a salué le retrait militaire israélien de Khan Younès, déclarant mardi que « cela permettait une plus large circulation des produits humanitaires dans la bande de Gaza, à un moment critique où sévit une véritable crise humanitaire dans la région ».
« Nous nous réjouissons de pouvoir faire circuler davantage de camions à l’intérieur et autour de Gaza afin que les civils innocents puissent recevoir la nourriture, l’eau, les médicaments et les autres produits de première nécessité dont ils ont besoin », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche.
Quatre bataillons du groupe terroriste palestinien du Hamas se trouveraient actuellement à Rafah, ville où plus d’un million de civils se sont réfugiés après avoir fui les combats dans d’autres zones de la bande de Gaza. C’est également à Rafah que se cacheraient des dirigeants du Hamas et qu’ils détiendraient des otages israéliens.
Le projet de lancer une offensive majeure à Rafah a suscité une forte opposition de la part de la communauté internationale, y compris des États-Unis. Une vidéoconférence organisée la semaine dernière entre des responsables américains et israéliens pour discuter d’une éventuelle opération terrestre de Tsahal à Rafah aurait été marquée par des tensions et des accusations, Washington exprimant son profond scepticisme quant aux plans d’Israël pour une opération dans la ville.
Les responsables américains estiment que la proposition initiale d’Israël d’évacuer plus d’un million de non-combattants de la ville n’était pas réalisable.
Certains analystes ont spéculé que les promesses répétées du Premier ministre sur une opération imminente à Rafah n’avaient pour autre but que de faire pression sur le Hamas pendant les négociations en cours sur les otages, et d’apaiser la base électorale de droite de Netanyahu, qui réclame la poursuite de l’offensive terrestre. Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a menacé lundi de faire tomber le gouvernement si Netanyahu mettait fin à la guerre sans envahir Rafah.
Washington est opposée à une incursion de grande envergure à Rafah car, selon elle, Israël peut atteindre ses objectifs de guerre par d’autres moyens. L’administration Biden estime qu’une offensive à Rafah causerait d’importants dommages aux civils, couperait les voies d’acheminement de l’aide et détériorerait encore l’image internationale d’Israël.
Les États-Unis cherchent à persuader Israël, par le biais de réunions de haut niveau, d’envisager d’autres solutions qu’une incursion majeure. Ils préconisent notamment des frappes plus ciblées contre les dirigeants du Hamas, ainsi qu’une coordination avec Le Caire pour sécuriser la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza et empêcher toute contrebande, pour éviter que les derniers combattants du Hamas ne se réarment.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré mardi que l’administration Biden continuait à discuter avec Israël d’une éventuelle opération à Rafah.
« Nous discutons avec eux des moyens alternatifs et efficaces de résoudre les problèmes qui doivent être résolus, mais de manière à ne pas mettre en danger les innocents », a déclaré Blinken, précisant qu’une délégation de hauts fonctionnaires israéliens se rendrait à Washington la semaine prochaine pour discuter davantage de la question.
« Nous sommes déterminés à faire en sorte que le Hamas ne puisse pas gouverner ou dicter l’avenir de Gaza ou de toute autre région, mais la manière dont Israël mènera toute nouvelle opération à Gaza est très importante », a-t-il ajouté.
Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, John Kirby, a déclaré lundi qu’Israël avait assuré aux États-Unis que l’armée ne lancerait pas d’opération terrestre majeure avant une réunion de suivi en personne faisant suite à la réunion virtuelle des hauts responsables qui s’est tenue la semaine dernière.
« Rien n’indique qu’une telle opération terrestre soit imminente ou que ces troupes (qui ont été retirées de Khan Younès) aient été repositionnées en vue de ce type d’opération terrestre », a ajouté Kirby.
Pour sa part, le ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, a déclaré lors d’une conférence de presse avec Blinken que les grandes puissances mondiales devaient se préparer à la possibilité que les pourparlers sur les otages ne portent pas leurs fruits et qu’Israël mène effectivement son opération à Rafah, dans le sud de Gaza.
L’idéal selon lui serait que les États-Unis, le Qatar et l’Égypte parviennent à ce qu’Israël et le Hamas concluent un accord en vue de la libération des otages assorti d’une trêve susceptible de déboucher sur un cessez-le-feu durable au cours duquel les dirigeants du Hamas quitteraient Gaza et l’infrastructure terroriste serait démantelée. « C’est le processus politique qui permettrait de mettre fin à la guerre », a déclaré Cameron.
« Nous devons être conscients que si cela ne fonctionne pas, il faut avoir un plan B – qu’est-ce que les organisations humanitaires pourraient faire pour qu’en cas de conflit à Rafah, les gens soient en sécurité, aient de la nourriture, de l’eau et des médicaments », a poursuivi le chef de la diplomatie britannique.