Corruption : Filber aurait secrètement rencontré le magnat de Bezeq
Dans des messages WhatsApp révélés par la télévision israélienne, l'assistant de Netanyahu dit avoir eu un entretien productif avec Shaul Elovitch et conclu des accords

Un conseiller de longue date du Premier ministre Benjamin Netanyahu aurait eu une rencontre privée, en 2015, avec l’actionnaire majoritaire de Bezeq pour évoquer un accord de fusion qui aurait permis à ce dernier de remporter des millions de shekels.
Selon un reportage diffusé vendredi par la Douzième chaîne, la rencontre entre Shlomo Filber, qui était à l’époque le directeur-général du ministère des Communications, et Shaul Elovitch, de Bezeq, aurait eu lieu au domicile du magnat des télécommunications, à Tel Aviv, sans la présence de conseillers juridiques.
Les deux hommes auraient alors discuté de la fusion proposée de Bezeq avec la firme de télévision par satellite Yes, dont Elovitch voulait tirer profit.
Elovitch et Filber sont des personnalités centrales dans l’Affaire 4000, qui implique Netanyahu. Ce dernier aurait fait avancer des décisions régulatoires au profit de Bezeq en échange d’une couverture médiatique positive sur le site d’information Walla, propriété d’Elovitch.
Filber, confident de Netanyahu ultérieurement nommé au poste de directeur-général du ministère des Communications, était devenu témoin de l’accusation dans ce dossier de corruption présumée l’année dernière.
Selon le reportage, les enquêteurs ont eu vent de cette rencontre secrète en raison de la correspondance qui a suivi sur WhatsApp avec Eli Kamir, l’assistant d’Elovitch.
« J’ai cru comprendre, d’après ce que m’a dit Shaul, que vous avez eu un bon entretien », aurait écrit Kamir.
Filber : « Nous avons fait des progrès, il y a des accords qui attendent l’approbation du patron… La rencontre a été bonne et le vin excellent… Avec des figues, du raisin et du fromage – un délice ! »
Kamir: « Tout le plaisir est pour moi. Maintenant que je sais ce qu’il s’est passé, je pense qu’il y a une vraie opportunité que votre patron nous apporte quelque chose de réellement nouveau ».
Les enquêteurs ont ultérieurement découvert une note dans l’habitation du témoin de l’accusation et ancien confident de Netanyahu, Nir Hefetz, qui décrivait l’issue de la rencontre. A la fin de cette note – rédigée apparemment par Kamir et Elovitch – Hefetz avait écrit « c’est ce dont nous avons convenu avec Momo [Filber] ».
La police a surnommé l’entretien « le sommet des figues et du vin ».

Netanyahu est soupçonné d’avoir conclu un accord de compromis illicite avec Elovitch – actionnaire majoritaire de la première firme de télécommunications israélienne, Bezeq, et propriétaire du site d’information Walla – qui aurait duré environ quatre ans, jusqu’au début de l’année 2017.
Par le biais de cette convention présumée, Netanyahu aurait obtenu une couverture médiatique favorable sur le site Walla – le deuxième site d’information israélien – assortie d’une couverture critique de ses adversaires, en particulier pendant les périodes électorales de 2013 et de 2015. En échange, Netanyahu serait intervenu dans les décisions régulatoires et autres ayant bénéficié au magnat israélien à hauteur de centaines de millions de dollars.
Cette enquête est la plus sérieuse des trois investigations visant le Premier ministre dans la mesure où elle comprend un chef d’accusation pour pots-de-vin contre Netanyahu et contre Elovitch. Netanyahu doit être inculpé dans les trois dossiers sous réserve d’une audience.
En 2012, le ministère des Communications avait établi une feuille de route pour la « réforme du marché de gros » qu’il avait commencé à mettre en oeuvre au mois de février 2015.
Selon le plan, une fois que le marché serait devenu concurrentiel et que les différents adversaires offriraient des services de pointe avec des prix compétitifs pour internet et les services téléphoniques et numériques, Bezeq aurait été autorisé à fusionner avec ses unités subsidiaires – permettant à la firme, qui aurait été inévitablement ébranlée par la concurrence, de réduire certains de ses coûts.
Après avoir remporté les élections en 2015, Netanyahu, qui était aussi ministre des Communications à l’époque, avait limogé Avi Berger, qui avait soutenu la réforme, et l’avait remplacé par Filber, un allié de longue date qui avait également géré sa campagne.
La révélation de la rencontre secrète entre Filber et Elovitch suit d’abondantes informations consacrées à l’enquête dans les médias.
Le ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan a témoigné devant les policiers de ce qu’il soupçonnait que son limogeage du poste de ministre des Communications, en 2014, avait été une initiative visant à torpiller les réformes qu’il avançait et qui auraient affaibli Bezeq, selon un reportage diffusé jeudi par la Douzième chaîne.

Erdan a aussi dit que Netanyahu n’était jamais intervenu dans ses réformes et des extraits de son témoignage montrent qu’il avait eu ses soupçons à l’époque à l’égard d’Elovitch, sans aucune preuve impliquant par ailleurs le Premier ministre.
La chaîne publique Kan a diffusé mercredi une retranscription partielle de l’interrogatoire de Netanyahu concernant ses liens avec Elovitch, dans laquelle il aurait affirmé aux enquêteurs n’entretenir que des rapports occasionnels avec l’homme d’affaires.
La soirée précédente, d’autres retranscriptions avaient été rendues publiques, dans lesquelles Filber décrivait la manière dont Netanyahu lui aurait demandé d’amoindrir les changements des tarifs téléphoniques et d’approuver dans les meilleurs délais une fusion de Bezeq avec sa filiale par satellite Yes. Cette fusion, survenue ultérieurement, aurait rapporté à Elovitch des centaines de millions de dollars.

Filber aurait dit aux enquêteurs que Netanyahu l’avait appelé pour déplorer que ses suggestions ne progressent pas au rythme attendu, a fait savoir mercredi la Douzième chaîne.
Un reportage diffusé sur la même chaîne, mardi, avait indiqué que Filber avait confié à la police que le Premier ministre lui avait dit qu’Elovitch n’était pas satisfait des réformes entreprises dans le secteur des communications et d’internet dans le pays, déclarant à Filber qu’il devait faire quelque chose pour y remédier.
Le compte personnel de Netanyahu, sur Twitter, avait répondu au reportage en qualifiant la Douzième chaîne de « chaîne de propagande », ajoutant que l’affaire relevait « d’une calomnie du sang, basée sur aucun fait ou document mais bien sur les mensonges du témoin de l’accusation [Shlomo] Filber ».
La longue description, par le procureur-général Avichai Mandelblit, des accords de compromis présumés conclus avec Elovitch dans « l’Affaire 4000 », représente la majorité du document de 57 pages qui avait été diffusé au mois de février et dans lequel Mandelblit fait part des allégations qui l’ont amené à recommander une inculpation pénale du Premier ministre, sous réserve d’une audience.

L’audience de Netanyahu est prévue le 2 et le 3 octobre. Elle s’intéressera également aux deux dossiers de corruption l’impliquant, et dans lesquels le Premier ministre risque des inculpations pour fraude et abus de confiance.
Netanyahu nie tout méfait dans l’ensemble de ces affaires .
Netanyahu a régulièrement critiqué la Douzième chaîne pour sa vaste couverture des multiples dossiers de corruption ouverts à son encontre et il a critiqué un certain nombre de ses journalistes, notamment l’un d’eux – Guy Peleg – qui, selon des informations révélées vendredi, va bénéficier d’un garde du corps suite aux menaces proférées à son encontre sur les réseaux sociaux.
La commission centrale électorale a rejeté une plainte déposée par le parti du Likud de Netanyahu, qui demandait qu’il soit interdit aux organes d’information de publier des retranscriptions et des documents issus des enquêtes pour corruption avant les élections nationales qui auront lieu le mois prochain.
Dans sa plainte, le Likud affirme que les récentes informations révélées sur les enquêtes à l’encontre de Netanyahu visent à « influencer le scrutin », demandant une injonction qui bloquerait davantage de publications consacrées aux enquêtes sur les dossiers de corruption dans les médias.
Vendredi également, le parti du Likud a fait savoir que les avocats du Premier ministre avaient envoyé un courrier à l’Autorité de radiodiffusion israélienne, à la Douzième chaîne et au journaliste Peleg, réclamant au réseau de télévision d’ouvrir une enquête sur ce qui s’apparente, selon lui, à une manipulation intentionnelle des retranscriptions avec pour objectif de nuire au Premier ministre.
Le travail de journalisme sur les accusations de corruption qui a été réalisé par Peleg avait déjà entraîné les critiques du Premier ministre, et il avait été l’un des professionnels des médias pris pour cible lors d’une campagne électorale du Likud, au début de l’année.