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Analyse

COVID-19 : Qu’en est-il vraiment de la coopération israélo-palestinienne ?

Le climat se dégrade avec la hausse du nombre de Palestiniens infectés et la signature de l'accord de coalition qui débouchera sur l'extension de la souveraineté en Cisjordanie

Jacob Magid

Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.

Des employés municipaux palestiniens désinfectent le parking d'un hôpital dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, le 12 mars 2020. (Flash90)
Des employés municipaux palestiniens désinfectent le parking d'un hôpital dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, le 12 mars 2020. (Flash90)

Lorsque la crise du coronavirus a frappé, elle a été confrontée à des liens israélo-palestiniens qui étaient au plus bas.

Alors que la pandémie commençait à se propager rapidement des deux côtés de la Ligne verte au début du mois de mars, Jérusalem semblait se diriger tout aussi rapidement vers des plans d’annexion de larges pans de la Cisjordanie, dans une démarche qui allait presque certainement amener les relations avec Ramallah à un point de rupture (une éventualité qui semble maintenant presque scellée par un nouvel accord de coalition entre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le président du parti Kakhol lavan, Benny Gantz).

Et pourtant, dans ce même contexte, les liens entre Israël et l’Autorité palestinienne se sont en fait étendus, la pandémie nécessitant une coopération renforcée sur les fronts de la santé publique et de la sécurité.

Cette coopération a consisté à envoyer des fournitures médicales et des kits de dépistage de coronavirus en Cisjordanie, à former des médecins palestiniens aux méthodes de traitement, à autoriser les forces de sécurité palestiniennes à entrer dans les quartiers de Jérusalem-Est – dont Israël leur interdit généralement l’accès – pour contribuer à faire respecter la quarantaine et à prendre des dispositions pour permettre l’entrée de dizaines de milliers de travailleurs palestiniens en Israël, même lorsque la grande majorité des autres employés sont contraints de rester chez eux.

Des ouvriers palestiniens entrent en Israël à un point de contrôle entre les villes d’Hébron et de Beer Sheva, portant des couvertures et des matelas, le 18 mars 2020 – pour la première fois, ils devront rester un à deux mois en Israël. (Crédit : HAZEM BADER / AFP)

La collaboration a été si étendue qu’elle a même été saluée par les fonctionnaires de l’ONU le mois dernier, qui l’ont qualifiée de travail conjoint « excellent » et « sans précédent » qui « sauvera des vies ».

Mais aussi vite qu’elle est venue, la bonne volonté a semblé se dissiper. Alors que le nombre de Palestiniens infectés augmentait, de hauts responsables de l’AP ont commencé à accuser l’État juif d’avoir délibérément infecté des travailleurs palestiniens avec le virus. Israël a réagi avec colère et a averti Ramallah des « conséquences significatives » s’il continuait à propager de telles accusations.

Pour l’instant, la coopération sur le terrain a résisté aux déclarations désobligeantes, et le ministre des Finances de l’AP, Shukri Bishara, a même annoncé la semaine dernière qu’Israël avait accepté de fournir une avance de 500 millions de shekels (125 millions d’euros) sur les recettes fiscales mensuelles qu’il transfère à Ramallah, afin de compenser la récente stagnation économique.

Toutefois, les analystes avertissent que la poursuite de la collaboration ne doit pas être considérée comme allant de soi, et qu’un manque de compréhension des sensibilités mutuelles pourrait conduire à une dégradation des liens qui mettrait en danger la vie des Israéliens et des Palestiniens.

Un personnel soignant du ministère palestinien de la Santé désinfecte des travailleurs palestiniens pour tenter de contenir la pandémie de coronavirus à leur retour d’Israël, à proximité du village de Nilin, en Cisjordanie, à l’ouest de Ramallah, le 7 avril 2020. (Crédit : AP Photo/Nasser Nasser)

Du “mécanisme de coopération” à l’ “annexion médicale”

Lors de ses points de presse quotidiens dans les premières semaines de la pandémie, le porte-parole du gouvernement de l’AP, Ibrahim Milhim, a régulièrement mentionné la coopération avec les autorités israéliennes.

Décrivant son ampleur, un responsable palestinien s’exprimant sous le couvert de l’anonymat a révélé au Times of Israel le mois dernier qu’un mécanisme spécial avait été mis en place pour communiquer « en permanence » sur toutes les questions liées au virus, disant qu’il fonctionnerait parallèlement à la coopération existante en matière de sécurité et de questions civiles.

« Le virus ne connaît pas de frontières et peut infecter tout le monde », avait alors déclaré le fonctionnaire, ajoutant que les Palestiniens « s’opposent à l’occupation mais doivent travailler ensemble » avec Israël sur cette question.

Mais dans les semaines qui ont suivi, de telles déclarations amicales n’ont pas été réitérées par les responsables palestiniens, que ce soit officiellement ou officieusement.

Le porte-parole du gouvernement de l’Autorité palestinienne, Ibrahim Milhim, s’exprime lors d’une conférence de presse à Ramallah, le 1er avril 2020. (Wafa)

Au lieu de cela, Milhim et d’autres, dont le Premier ministre de l’AP, Mohammad Shtayyeh, ont intensifié leur propagande contre Israël.

Interrogé sur cette coopération lors d’une récente conférence de presse, M. Shtayyeh a recommandé que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la « supervise ».

« Nous n’acceptons aucune relation avec [Israël] sur la base de la domination et de l’hégémonie. Nous acceptons des relations basées sur une organisation internationale [l’OMS] qui gère le degré de coordination pour éviter la contagion internationale », a-t-il déclaré.

La tension croissante à Ramallah a aussi concerné la question des travailleurs palestiniens en Israël – déjà un point sensible pour l’AP, qui préférerait que son économie ne dépende pas de la main-d’œuvre de l’autre côté de la Ligne verte.

Quelque 45 000 des 120 000 travailleurs palestiniens autorisés ont continué à travailler en Israël, restant maintenant dans l’Etat juif pendant une période prolongée afin de limiter les déplacements autant que possible, a déclaré un responsable de la sécurité israélienne au Times of Israel.

Mais l’AP a accusé Israël d’avoir également permis à certains travailleurs de franchir la Ligne verte sans contrôle, alors qu’ils étaient porteurs du virus.

Selon les chiffres de l’AP, plus des deux tiers des 309 cas confirmés en Cisjordanie concernaient des travailleurs palestiniens en Israël ou ceux qui étaient entrés en contact avec eux à leur retour.

Le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, s’adresse aux journalistes lors d’une conférence de presse, le 13 avril 2020. (Wafa)

Abordant la question dans une publication Facebook au début de ce mois, Shtayyeh a accusé Israël de « voyou », de miner la santé publique palestinienne et de fermer les yeux sur la question du retour des travailleurs palestiniens en Cisjordanie.

Il a demandé à Israël de dépister le virus chez les travailleurs et de mieux faciliter leur retour en Cisjordanie – une demande qui, selon lui, n’a été que partiellement satisfaite depuis.

Shtayyeh a également cité une vidéo d’un travailleur palestinien qui, selon lui, a été « abandonné » à un point de contrôle par les autorités israéliennes après avoir déclaré qu’il ne se sentait pas bien.

Dans une remarque qui a suscité des accusations d’antisémitisme, Milhim a déclaré aux journalistes lors d’un point de presse la semaine dernière qu’Israël « souffre d’un manque de volonté de prendre des mesures préventives pour contenir le virus parce qu’ils aiment l’argent et veulent faire tourner leur économie ». Le chômage est à 26 % en Israël.

Comme preuve supplémentaire des efforts israéliens pour « infecter » les Palestiniens, Shtayyeh et d’autres responsables de l’AP ont évoqué un raid de l’armée israélienne à Hébron à la fin du mois dernier au cours duquel un soldat a été filmé en train de cracher sur une voiture en stationnement.

Des responsables palestiniens se sont opposés à la poursuite des raids d’arrestation durant toute la pandémie et ont montré qu’ils envoyaient des équipes chargées de la désinfection des bâtiments entiers qui ont été « exposés » à la présence des soldats israéliens.

Au début de ce mois, les douaniers de l’AP ont saisi un camion rempli de machines à laver, d’appareils électriques, de meubles et d’autres matériaux qui avaient été introduits illégalement en Cisjordanie depuis Israël. Ils ont ensuite procédé à la mise à feu de l’ensemble de la cargaison dans une scène qui a été largement diffusée sur les réseaux sociaux car, selon eux, elle aurait pu contenir des traces du virus.

Les propos tenus sous couvert d’anonymat d’un responsable du ministère de la Santé à la Douzième chaîne à la fin du mois dernier, dans lesquels il affirmait qu’Israël devrait « annexer médicalement » la Cisjordanie afin de lutter efficacement contre le virus et que l’Autorité palestinienne sous-estimait le nombre de cas, ont également mis Ramallah en colère.

Des agents de santé palestiniens manipulant un échantillon de test de coronavirus prélevé sur des travailleurs palestiniens lors de leur retour d’Israël à un point de contrôle à Tarqumiya, le 25 mars 2020. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

Lors d’une conférence de presse quelques jours plus tard, Shtayyeh a déclaré que le ministère de la Santé israélien avait présenté ses excuses au ministre de la Santé de l’AP, Mai al-Kaila, pour les « déclarations non officielles ».

Les discours contre Israël ne montrant aucun signe de refroidissement, les responsables israéliens ont commencé à perdre patience et à lancer leurs propres avertissements à l’AP.

Le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), Kamil Abu Rukun, a publié vendredi un communiqué affirmant que « les plaintes infondées de hauts responsables de l’AP … ont franchi une ligne rouge et dénigré les efforts énormes qu’Israël déploie face au défi et à la crise communs qui assaillent toute la région ».

« J’appelle les dirigeants palestiniens à retirer leurs déclarations sans fondement – et je préviens qu’il pourrait y avoir des répercussions dans divers domaines », a déclaré le chef du COGAT.

Cette rétractation n’a toutefois pas encore eu lieu.

Michael Milshtein, qui a été conseiller principal pour les affaires palestiniennes dans les bureaux du COGAT et qui travaille actuellement comme responsable du Forum d’études palestiniennes au Moshe Dayan Center for Middle Eastern and African studies, a exprimé sa crainte que les discours haineux n’incitent à la violence.

Michael Milshtein. (Twitter)

« Nous avons de la chance que ces annonces négatives des hauts fonctionnaires palestiniens n’aient pas affecté la société civile et militaire, qui a continué à 100 %, mais de nombreux Palestiniens croient ce que Shtayyeh et d’autres disent, et je crains que certains tentent de passer à l’action sur la base de ces [fausses] hypothèses », a déclaré M. Milshtein.

Parallèlement, l’ancien haut fonctionnaire du COGAT a déploré que les autorités israéliennes n’aient pas fait assez « pour s’expliquer auprès du public palestinien et montrer ce que nous faisons [pour l’aider] ».

Qui est responsable ?

Un autre point de discorde autour du virus a été l’activité de l’AP à Jérusalem-Est, qui est sous souveraineté israélienne mais est considérée par Ramallah comme la capitale de l’État auquel il aspire. Le ministère palestinien de la Santé compte même les malades de Jérusalem-Est parmi les cas recensés au niveau national.

Alors qu’Israël semblait initialement disposé à accorder une rare marge de manœuvre sur cette question lorsqu’il a autorisé les forces de sécurité de l’AP à pénétrer dans les quartiers palestiniens à l’est de la barrière de sécurité afin de contribuer à l’application de la quarantaine, ces gestes ont depuis été abandonnés, Tsahal ayant recommencé à arrêter de hauts responsables palestiniens à Jérusalem-Est, notamment le ministre des Affaires de Jérusalem de l’AP, Fadi al-Hidmi, et le gouverneur de Jérusalem de l’AP, Adnan Ghaith, accusés d’activités illégales violant la souveraineté d’Israël dans la capitale.

Le même motif a été utilisé par les forces israéliennes pour confisquer des centaines de colis alimentaires distribués aux familles dans le besoin par les militants du Fatah du président de l’AP Mahmoud Abbas au début du mois.

Israël a effectué des tests à Jérusalem-Est, mais les Palestiniens disent que les efforts sont insuffisants. La semaine dernière, les forces israéliennes ont fermé un centre de dépistage de coronavirus dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est et ont arrêté quatre de ses employés en raison de leurs liens avec l’AP.

Le directeur de la clinique a déclaré qu’il avait participé à la création du site en raison d’une pénurie de tests à Jérusalem-Est, où les quartiers palestiniens sont surpeuplés et généralement négligés par les autorités israéliennes.

« Vous [Israël] ne nous aidez pas et vous nous empêchez d’obtenir l’aide des autres », a déclaré Farhi Abu Diab, un habitant de Silwan, au quotidien Haaretz. « Pour la première fois, nous avons un ennemi commun, alors travaillons ensemble. »

Manque de sensibilité

Alors qu’il a déclaré que la coopération israélo-palestinienne a été capable de surmonter la pandémie jusqu’à présent, l’ancien ministre de l’AP et actuel professeur de sciences politiques de l’Université de Birzeit, Ghassan Khatib, a déclaré au Times of Israel qu’une recrudescence de la violence des résidents des implantations en pleine pandémie mettait encore plus à mal la collaboration.

« Les juifs des implantations profitent de la situation pour provoquer des attaques et s’emparer de nouvelles terres et les autorités israéliennes ne font rien », a-t-il affirmé.

La semaine dernière, la police israélienne a ouvert une enquête sur les allégations selon lesquelles un groupe d’extrémistes de droite aurait agressé trois Palestiniens et lancé des bombes incendiaires sur leurs véhicules avant de s’enfuir.

Deux voitures palestiniennes auraient été incendiées par des « Jeunes des Collines » qui se trouvaient dans un « avant-poste de quarantaine » construit par Tsahal à Metzoke Dragot, le 14 avril 2020. (Carmel Dangor/Twitter)

L’incident s’est produit près de Metzoke Dragot, où un groupe de 20 extrémistes juifs étaient hébergés dans un avant-poste établi pour eux par l’armée israélienne afin de rester en quarantaine, après être entrés en contact avec un porteur du COVID-19.

L’armée a autorisé le groupe à résider dans l’avant-poste après avoir brisé les vitres d’un bus les transportant vers un autre site de quarantaine. La police cherche à savoir si le carburant qui leur a été fourni pour le générateur de l’avant-poste a été utilisé pour incendier les véhicules palestiniens.

« Je pense que la coopération n’a pas été affectée de façon dramatique par tout cela et qu’elle se poursuit parce qu’elle est rendue nécessaire par la réalité », a déclaré M. Khatib. Mais les Israéliens doivent faire preuve de plus de sensibilité sur les questions des travailleurs, de la violence des habitants des implantations et de Jérusalem-Est ».

Des travailleurs médicaux du Magen David Adom sur un site de prélèvement d’échantillons pour le dépistage du coronavirus au camp de réfugiés de Shuafat, à Jérusalem-Est, le 16 avril 2020. (Yonatan Sindel/Flash90)

Khatib a admis la colère d’Israël face aux accusations selon lesquelles il serait responsable des infections du côté palestinien et a suggéré que « les deux parties doivent se rassurer mutuellement et être plus sensibles aux préoccupations de l’autre ».

Milshtein a souligné que depuis le début de la pandémie, les autorités de la sécurité israélienne ont reconnu « l’importance de la stabilité économique palestinienne » et que ce n’est pas le moment de prendre des mesures financières punitives ou de procéder à des coupes budgétaires.

A LIRE : Les Palestiniens au chômage forcé, employés en Israël, n’ont pas d’indemnisation

Bien qu’il ait jugé l’état actuel de la coopération israélo-palestinienne « relativement stable », M. Milshtein a noté que la nouvelle annonce d’un gouvernement d’unité israélien qui comprend un plan d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie aurait des implications beaucoup plus négatives sur le terrain que l’actuelle guerre de mots entre Jérusalem et Ramallah.

Si ce projet se concrétise, la coopération pourrait complètement s’effondrer, a ajouté M. Khatib.

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