Le nouveau « gouvernement d’unité » n’est ni uni, ni susceptible de bien gouverner
La profonde méfiance entre Netanyahu et Gantz façonne chaque facette de cet accord de coalition, la transformant en une hydre à deux têtes d'impulsions contradictoires

Le 35e gouvernement israélien a commencé à attirer l’attention lundi avec la signature d’un accord de coalition entre Benjamin Netanyahu et Benny Gantz.
Et quel étrange gouvernement.
En évitant une quatrième élection consécutive en plein milieu d’une pandémie de coronavirus, il peut s’agir d’une réalisation à saluer. Mais si l’on gratte la surface de l’accord de 14 pages, on constate que le gouvernement « d’unité » célébré par les deux dirigeants est un régime boiteux et à deux visages, façonné par la profonde méfiance sur laquelle il a été construit.
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L’accord est tellement inédit qu’il est préférable de mettre simplement le terme de côté et de prendre les choses comme elles viennent.
L’accord fixe la durée de vie du gouvernement à 36 mois, et la divise en deux parties : une « période d’urgence » de six mois et une « période d’unité » plus longue à suivre.

Pendant la période d’urgence, que Gantz et Netanyahu peuvent prolonger par tranches de trois mois d’un commun accord, aucune législation qui ne soit pas en rapport avec l’urgence du coronavirus ou qui ne soit pas approuvée par les deux hommes, ne peut être avancée.
C’est-à-dire que pendant la durée de la période d’urgence, chacun a un droit de veto sur les initiatives législatives.
Les blocs
« Le gouvernement sera un gouvernement à deux blocs », déclare l’article 2. Et ce n’est pas une plaisanterie.
La structure fondamentale du gouvernement est façonnée par les deux alliances dirigées par Netanyahu et Gantz, le « bloc du Likud » et le « bloc Kakhol lavan ».
Ce n’est pas une simple question d’optique. Gantz et Netanyahu ont chacun un pouvoir énorme sur leurs « blocs ». Chacun peut renvoyer un ministre de son bloc, un pouvoir habituellement réservé au seul Premier ministre. Et aucun des deux – même s’ils sont tous deux Premier ministre – ne peut renvoyer un ministre du bloc de l’autre.

De même, le transfert d’une agence ou d’un pouvoir juridique d’un ministère à un autre nécessite normalement l’approbation du Premier ministre. Ce n’est plus le cas : c’est désormais le chef du bloc concerné qui doit approuver le transfert. Quelle que soit la branche du gouvernement accordée au « bloc du Likud » en vertu de l’accord, elle devient la prérogative du Likud, et il en va de même pour Kakhol lavan.
Les structures de base du gouvernement, ses commissions les plus puissantes – telles que le cabinet de sécurité, qui a le pouvoir de déclarer la guerre, ou la commission des Lois – sont réparties entre les blocs, chaque bloc ayant un nombre égal de membres.
Le peu de mention qui est faite des priorités politiques spécifiques est également fragmentée dans ce sens. La plus importante victoire de la droite – le feu vert très convoité pour l’annexion d’une partie non spécifiée de la Cisjordanie – est également le seul point du programme du nouveau gouvernement que le parti Kakhol lavan n’est pas tenu d’approuver.
Par ailleurs, Gantz a obtenu presque tout ce dont il avait besoin pour montrer qu’il respectait son vœu de « défendre la démocratie » et les valeurs libérales.
Le Likud a été privé des trois ministères à partir desquels il a mené sa guerre contre la gauche : la Justice, la Communication et la Culture. L’ancien président de la Knesset, Yuli Edelstein, qui a défié une ordonnance directe de la Cour suprême de convoquer un vote en plénière sur son successeur (en faisant valoir qu’il s’agissait d’une mesure illégale par laquelle la Cour imposait sa volonté au corps législatif) ne retrouvera pas le fauteuil de président.
Gantz a cédé un peu de terrain sur la commission des nominations judiciaires, chargée de sélectionner les juges de la Cour suprême. Bien qu’un membre de son bloc fasse partie du panel de neuf personnes, ce député, Zvi Hauser de Derekh Eretz, est un conservateur de droite qui est plus enclin à se ranger du côté de l’autre bloc pour de telles nominations, et pourrait effectivement donner à la droite un droit de veto sur le choix des juges.

Méfiance et contrôle
Chaque camp se voit attribuer des pouvoirs étendus pour contrer l’autre camp. Gantz et Netanyahu doivent s’entendre sur chaque point inscrit à l’ordre du jour du cabinet. Dans la phase « d’urgence », chacun a un droit de veto direct sur toutes les lois. Dans la phase « d’unité » ultérieure, le ministre de la Justice de Gantz – qui devrait être le député Avi Nissenkorn – présidera la puissante commission des Lois, qui donne l’imprimatur au gouvernement pour les nouveaux projets de loi et dont les décisions que les deux blocs se sont engagés à suivre, mais le Likud en assurera la vice-présidence. Le président et le vice-président doivent s’entendre sur l’ordre du jour de la commission.
Ensuite, il y a les mécanismes étonnamment alambiqués par lesquels chaque homme espère forcer l’autre à remplir sa part du marché.
Gantz a obtenu la garantie que si Netanyahu fait passer un vote à la Knesset pour dissoudre le Parlement et convoquer des élections anticipées avant que Gantz n’ait rempli son mandat de Premier ministre, alors Gantz deviendra automatiquement le Premier ministre par intérim dans les mois qui suivront la prestation de serment d’un nouveau gouvernement. En d’autres termes, Netanyahu devra quitter le siège du Premier ministre quoi qu’il arrive.
Netanyahu, quant à lui, a obtenu le droit de démissionner avant la fin de son mandat de Premier ministre, de laisser à Gantz ses 18 mois, puis de revenir pour terminer son mandat – ce qui lui permet de se présenter à nouveau aux prochaines élections en tant que Premier ministre.
Gantz est tenu de démissionner en même temps que Netanyahu si ce dernier est jugé inapte à exercer les fonctions de Premier ministre par la Cour suprême de justice – une mesure qui, selon Netanyahu, fera réfléchir les juges de la Cour suprême à deux fois avant de le démettre de ses fonctions.

À chaque instant, chacun est assuré que l’autre aura intérêt à respecter l’accord.
En d’autres termes, chacun croit que l’autre peut revenir sur sa parole à tout moment.
Incohérence
Le nouveau gouvernement aura du mal à fonctionner comme une organisation cohérente. En l’absence d’un processus central d’élaboration des politiques, qui est pratiquement impossible dans les « blocs » séparés formalisés dans l’accord, les ministères et les ministres qui les dirigent seront libérés du type de coordination obligatoire et de contrôle centralisé que les gouvernements peuvent généralement imposer à leurs parties disparates.
Prenez par exemple les implantations en Cisjordanie qui chercheront à tirer profit de toute déclaration de souveraineté israélienne dans les mois à venir pour encourager une croissance de la population et un développement économique. Les responsables des implantations périphériques controversées trouveront sans aucun doute une oreille bienveillante dans les ministères de droite des Transports ou du Logement – tous deux essentiels à leur développement – mais seront accueillis plus froidement dans les ministères de l’Agriculture et de l’Economie, dont dépend leur subsistance et qui seront dirigés respectivement par Kakhol lavan et le Parti travailliste du bloc de Gantz dans le nouveau gouvernement.
Le nouveau gouvernement va-t-il soutenir ces implantations ou tenter de limiter leur croissance ? Les deux.

A quoi ressemblera la politique économique du gouvernement avec un ministre des Finances issu du Likud libéral et un ministre de l’Economie, Amir Peretz du Parti travailliste, qui est entré en politique par le biais des syndicats ?
Et ainsi de suite.
Mettez tout cela ensemble – la division de toutes choses par « blocs », les vetos mutuels, les mécanismes de contrôle que chacun a essayé d’imposer à l’autre, le chaos politique qui va probablement s’ensuivre – et le caractère fondamental du nouveau gouvernement apparaît.
Le 35e gouvernement d’Israël est présenté par le Likud et Kakhol lavan comme un « gouvernement d’unité », mais il est plus susceptible d’être défini par sa désunion précisément, et d’être submergé dès le départ par la suspicion mutuelle et la politique politicienne minable qui ont conduit à l’impasse politique de l’année dernière.
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