Dans « Holocaust Codes », un Britannique cherche à briser les secrets d’un chef SS
L'auteur Christian Jennings livre un récit saisissant sur un cryptanalyste allié qui avait su déchiffrer l'évolution de la Shoah, depuis les massacres en plein air aux camps de la mort

Dans l’imaginaire populaire, le décryptage des communications du Troisième reich par les Alliés reste largement lié au décryptage des transmissions navales et militaires allemandes. Dans la Pologne occupée par les Allemands, cependant, le décryptage avait également consisté en un véritable jeu du chat et de la souris entre l’un des responsables principaux de la Shoah et un cryptanalyste de Bletchley Park, qui était bien déterminé à déchiffrer les messages secrets transmis par les SS et par la police allemande.
Dans « The Holocaust Codes : The Untold Story of Decrypting the Final Solution », l’auteur Christian Jennings explique comment les services de renseignements avaient aidé l’Allemagne nazie à dissimuler des informations sur la « solution finale ». Les capacités de décryptage des Alliés avaient été régulièrement mises à mal par le goût du secret cultivé par les Allemands – avec pour conséquence que ces derniers faisaient souvent le choix de ne transmettre aucune information.
« Le travail de décryptage de ce cracker de Bletchley Park ne concernait pas seulement les sous-marins, les positions des forces navales de l’Axe et les opérations de la Luftwaffe, mais il portait aussi sur les terrifiants mécanismes internes du génocide », dit Jennings au Times of Israel.
Publié le 1er août, « The Holocaust Codes » est le tout premier livre à se concentrer sur les initiatives prises par Nigel de Grey et par ses pairs pour parvenir à décrypter les communications du major SS Hermann Höfle, des communications qui étaient codées via Enigma et d’autres dispositifs similaires. D’origine autrichienne, Höfle avait été le responsable de « l’Opération Reinhard » – avec la création de camps de la mort spécialement conçus en Pologne pour exterminer les Juifs qui vivaient dans la zone dite « du Gouvernement général ».
Dans le ghetto de Varsovie, le plus grand d’Europe, Höfle avait ordonné au chef du Conseil juif, placé sous le contrôle de l’Allemagne, de commencer à sélectionner les personnes « à réimplanter ». (La plupart des prisonniers du ghetto avaient été assassinés dans les camps de la mort de Treblinka et de Majdanek).

Dans son journal intime, le chef du Conseil juif, Adam Czerniaków, avait raconté sa rencontre avec Höfle.
« Le Sturmbannführer Höfle m’a fait entrer dans son bureau et il m’a informé que pour l’instant, ma femme était libre, mais que si les déportations étaient entravées d’une manière ou d’une autre, elle serait la première à être fusillée en tant qu’otage », avait-il écrit.
Czerniaków s’était suicidé le lendemain de cette rencontre.
En plus de la mise en œuvre du génocide des Juifs polonais, Höfle avait été chargé de s’assurer que le secret serait conservé autour de toutes ces opérations.

« Höfle voulait vider le ghetto de Varsovie de ses Juifs, et il voulait aussi essayer de garder le contrôle des informations qui émanaient et qui entraient dans le ghetto sur les exécutions de masse qui avaient été menées par les Einsatzkommandos l’année précédente et sur le gazage des Juifs qui commençait dans les cinq camps de l’opération Reinhard », écrit Jennings.
Le major SS était particulièrement troublé par la facilité avec laquelle les Juifs parvenaient à transmettre des informations portant sur différents massacres par le biais de journaux clandestins ou de postes de radio fabriqués illégalement, écrit Jennings.
Au mois de juillet 1941, de Grey, à Bletchley Park, avait présenté au Premier ministre britannique Winston Churchill les premières transmissions déchiffrées faisant état de la politique allemande de « réimplantation » des populations minoritaires. Il avait fallu plus de temps – et des décryptages supplémentaires – pour que les informations décryptées sur le génocide juif en particulier parviennent aux Alliés.
Un double

Il y a trois raisons principales qui expliquent pourquoi le nom de Höfle n’a pas été mieux connu dans l’Histoire « malgré l’énormité de ses crimes et son rôle central dans la mise en œuvre de la ‘Solution finale’ en Pologne », déclare Jennings.
« Tout d’abord, Höfle avait obligé son personnel et ses subordonnés à signer un document secret qui leur interdisait de transmettre des informations de quelque manière que ce soit – par le biais de photographies, par écrit, par messages radio – sur ce qui se passait dans les trois principaux camps d’extermination », explique l’auteur, qui ajoute que « Höfle lui-même a respecté ce secret autant que possible ».
Autre raison pour laquelle il y a si peu de traces de Höfle dans les récits des survivants ou dans les les monographies écrites par les historiens : ses victimes elles-mêmes.
« Les Juifs et les Polonais dont il avait la charge, que ce soit dans le ghetto de Varsovie ou dans le cadre de l’opération Reinhard, ont presque tous été tués », fait remarquer Jennings.
Enfin, une troisième raison explique la relative absence de Höfle des livres d’Histoire : Il avait un double, note Jennings.
« Höfle avait un double, un autre officier SS qui portait le même prénom et le même nom, qui a été exécuté en 1947 par les Tchèques pour des crimes de guerre commis en Slovaquie en 1944 », explique-t-il.

« Ainsi, lorsque, après la guerre, les Alliés et les Russes ont compilé les cas et les dossiers de crimes de guerre, le major SS Hermann Julius Höfle, l’ancien mécanicien autrichien qui avait travaillé en Pologne, a été facilement confondu avec le général SS Hermann Höfle, qui avait servi en Slovaquie », déclare Jennings.
Après avoir vécu pendant des années sous de fausses identités, Höfle avait été arrêté par les autorités autrichiennes en 1961. Il s’était pendu l’année suivante dans une cellule de prison, alors qu’il attendait son procès.
Si Höfle avait fait preuve d’une habileté extrême pour garder le secret sur la « solution finale », il avait commis « une erreur historique », selon Jennings, en envoyant un télégramme crypté particulier.
Ce télégramme avait été transmis par Höfle depuis son quartier-général de Lublin à Adolf Eichmann, qui se trouvait alors à Berlin, ainsi qu’aux chefs SS stationnés à Cracovie dans les premières semaines de l’année 1943. Höfle y indiquait que 1 274 166 Juifs avaient été assassinés dans les camps de la mort de « l’Opération Reinhard ».
Comme l’indique Jennings, le « télégramme Höfle » avait été découvert dans les archives nationales britanniques en l’an 2000 – soit plus d’un demi-siècle après avoir été envoyé. Pour les Archives nationales, ce télégramme a été « sans doute la découverte la plus importante de ce siècle dans l’Histoire de la Shoah ».
Selon l’auteur, « les lignes simples et dépouillées du texte et des chiffres, avec les initiales ‘B’, ‘T’ et ‘S’ pour désigner Belzec, Treblinka et Sobibor, illustrent de manière très puissante le contenu du message et le nombre de morts. Le langage sec, mécanique et ultra-concis met presque l’accent sur le seul mot qui est terriblement absent du message : Humain. Il s’agissait d’êtres humains, pas seulement de chiffres », fait remarquer Jennings.
Höfle n’était pas le seul chef SS obsédé par le secret. Mais son exemple personnel avait encouragé les autres criminels à des rangs inférieurs à garder pour eux les détails de la « solution finale », comme il le souhaitait.

« Nous avons constaté que les communications radio cryptées à destination et en provenance de ‘l’Opération Reinhard’ à Lublin concernant les opérations des quatre camps – plus Chelmno – étaient pratiquement inexistantes », écrit Christian Jennings.
Les recherches de l’auteur pour écrire son livre ont nécessité des entretiens et une plongée dans les archives dans au moins huit pays et en six langues, indique Jennings. L’auteur prévoit de mener un projet de suivi sur le même sujet, précise-t-il auprès du Times of Israel.
« Je suis convaincu qu’il y a encore une autre grande histoire à raconter sur le décryptage des codes et sur la ‘solution finale’. J’aperçois des ombres dans le brouillard – ce que les Britanniques, les Russes et les Américains savaient vraiment, ce que les Allemands ont désespérément essayé de dissimuler en y parvenant presque. Tout ce que le monde découvrira, je l’espère, dans la suite de ce livre », dit Jennings.
The Holocaust Codes: The Untold Story of Decrypting the Final Solution écrit par Christian Jennings
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