Dans « Le déserteur », Dani Rosenberg s’inspire de sa propre expérience
Shlomi, jeune homme qui fait son service militaire obligatoire, déserte son unité et fuit ; parvenu à Tel Aviv, il découvre une ville divisée, entre hédonisme et paranoïa
Pour écrire son film « Le déserteur », qui met en scène la course folle d’un jeune déserteur de l’armée israélienne à travers Tel Aviv alors que la guerre fait rage et que la question du service militaire des ultra-orthodoxes divise, le réalisateur Dani Rosenberg s’est inspiré de sa propre expérience et de « ses craintes ».
« Evidemment, la réalité s’est révélée bien plus effrayante et cruelle que je n’aurais pu l’imaginer », confie le réalisateur, dont le long-métrage tourné avant l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre était présenté cette semaine au Festival du cinéma israélien de Paris. Il sortira dans les salles françaises le 24 avril.
À l’écran, Shlomi, jeune homme de 18 ans qui fait son service militaire obligatoire, déserte son unité et se met à courir. A pied, en voiture, à vélo, il parvient à Tel Aviv. À la recherche d’un semblant de normalité, il découvre une ville divisée, entre hédonisme et paranoïa.
« D’une certaine manière, Tel Aviv est un décor de cinéma. Une ville qui fait semblant d’être une cité moderne, occidentale, qui serait tombée par hasard au cœur du Moyen-Orient », explique le réalisateur lors d’un entretien avec l’AFP. « Mais on est à une heure à peine de l’enfer de Gaza. »
Pour imaginer son personnage, Dani Rosenberg s’est appuyé sur le souvenir de son propre service militaire. « J’ai voulu m’échapper, se remémore-t-il. J’ai quitté mon poste et j’ai commencé à courir, dans le désert. Mais je me suis paumé… Au bout de quelques heures, je suis retombé sur les lumières de la base militaire. Alors j’ai repris mon poste, sans que personne ne le sache. »
« J’avais 18 ans et je voulais faire comme tous les garçons de 18 ans au monde : être libre, courir vers la liberté, rattraper ce temps si précieux qui s’enfuit », poursuit-il. « J’ai voulu raconter l’histoire d’un homme plus courageux que moi, qui va jusqu’au bout de ce désir. »
Rapidement rattrapé par les conséquences de son acte, Shlomi se rend compte que l’armée israélienne le croit enlevé par le Hamas et que des représailles se préparent contre la bande de Gaza.
« Le 7 octobre, j’étais au Festival de Busan (en Corée du Sud, NDLR) pour présenter mon film. J’ai regardé les zones de guerre que nous avons créées dans le film, tout en me disant que d’authentiques massacres ont lieu là-bas », raconte Dani Rosenberg.
Ce jour-là, des commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza ont mené une attaque sans précédent dans le sud d’Israël qui a entraîné la mort d’au moins 1 160 personnes, essentiellement des civils, selon un décompte de l’AFP établi à partir de données officielles. D’après Israël, environ 250 personnes ont été enlevées et 130 d’entre elles sont toujours otages à Gaza, dont 34 seraient mortes.
Les semaines qui suivent l’attaque font écho aux scènes du long-métrage, poursuit-il. « Juste après l’attaque, Tel Aviv était pareille à une ville fantôme. Puis, quelques semaines après, la vie a repris. Il y avait comme une sorte de boulimie de vivre, très proche de la ville telle qu’on la voit dans le film. »
Selon le cinéaste, un moment déterminant a lieu quand un de ses anciens élèves de l’école de cinéma, mobilisé à la suite de l’attaque du 7 octobre, voit son film en rentrant pour une permission. « Il m’a dit : ‘Shlomi, c’est moi ! J’erre dans la ville sans comprendre comment les gens peuvent rire, sortir, aller au restaurant, alors qu’à une heure d’ici c’est un véritable carnage.' »
En Israël, ses distributeurs s’opposent à la sortie du film en raison du contexte, une position que le réalisateur comprend même s’il souhaite tout de même le voir arriver dans les salles le plus vite possible.
« Je fais tout ce que je peux pour que les Israéliens le voient. Je pense qu’il est pertinent, vu le contexte, parce que cette guerre est horrible, et qu’il faut la faire cesser par tous les moyens possibles, ramener les otages et mettre un terme aux horreurs qui se déroulent à Gaza », insiste-t-il, soulignant que c’est sa « petite façon de faire quelque chose ».
Repensant à sa propre fugue, Dani Rosenberg réfléchit un instant. « Si je pouvais revoir le garçon que j’étais à ce moment-là, voilà ce que je lui aurais dit : ‘Sois courageux, continue de courir. Tu mérites plus dans la vie que d’être soldat.' »