David Rubinger, photographe de la nation, meurt à 92 ans
L’emblématique photojournaliste, gentleman de Vienne qui avait toujours un appareil à la main, a immortalisé l’histoire moderne d’Israël
Le célèbre photojournaliste israélien David Rubinger, surnommé « le photographe de la nation » par Shimon Peres, est décédé mercredi à Jérusalem à l’âge de 92 ans, a annoncé jeudi l’Association de la presse étrangères (FPA).
Né Dietrich Rubinger à Vienne le 24 juin 1924, il était un homme charmant et convivial, avec un léger accent européen et un don de conteur pour relater ses aventures.
Il avait fui le nazisme et s’était installé en Palestine sous mandat britannique en 1939, à l’âge de 15 ans, grâce à un programme d’immigration pour les jeunes. La mère de Rubinger était morte en Biélorussie en 1942 (selon son profil Geni, un site internet de généalogie). Son père, qui avait été envoyé au camp de concentration de Dachau, avait fui vers l’Angleterre et avait survécu à la guerre.
Rubinger a passé trois ans à vivre et à travailler au kibboutz Beit Zera, sur la rive sud du lac de Tibériade. Quand il a eu 18 ans, il s’est enrôlé dans la brigade juive de l’armée britannique, et a servi en Afrique et en Europe.
Il a rencontré sa future femme, Anni, une cousine éloignée, en Allemagne après la guerre, alors qu’il était toujours en uniforme et qu’elle était une survivante d’un camp de concentration. Il lui a proposé de l’épouser afin de l’aider à obtenir un visa pour quitter l’Europe, et leur mariage a finalement duré 50 ans, jusqu’à sa mort en 2000, même si Rubinger a reconnu que dans les dernières années, il n’avait pas toujours été un mari fidèle.
C’est quand il était déployé à Paris pendant la guerre qu’une petite amie française a donné un appareil photo à Rubinger, et qu’il a découvert à quel point il aimait la photographie.
Sa première photo professionnelle était celle de jeunes juifs grimpant sur un tank britannique pour célébrer l’adoption par les Nations unies en 1947 du plan de partition de la Palestine, qui a créé l’Etat juif.
De retour en Israël, Rubinger a commencé à travailler pour des journaux locaux, comme HaOlam Hazeh, Yedioth Ahronoth puis le Jérusalem Post.
Il a été embauché par Time en 1954 après avoir pris l’une de ses premières photographies, qui est aussi l’une des plus célèbres, d’une nonne cherchant le dentier d’un patient tombé par la fenêtre de l’hôpital et de l’autre côté de la Ligne verte, dans ce qui était alors le territoire jordanien.
La carrière de Rubinger au Time a duré jusqu’à ses 80 ans dépassés.
Il était le seul photographe à avoir accès à la cafétéria de la Knesset, ce qui lui a souvent permis de photographier les premiers dirigeants d’Israël dans leurs instants les plus privés. Il a été le photographe officiel de la Knesset pendant 30 ans, et le seul dont le travail est exposé en permanence au Parlement israélien.
Rubinger était présent à la Knesset jusqu’à récemment, et a été remarqué par les journalistes quand, son bon vieux Leicaflex à la main, il a couvert la prestation de serment du gouvernement en mai 2015.
« David Rubinger: Eye Witness », un documentaire réalisé par Micha Shagrir en 2000, présente des vidéos de Rubinger à la Knesset, photographiant des politiciens qui l’appellent « Rubi ».
Rubinger expliquait dans le film qu’il se souvenait du tout nouveau Parlement, quand il y régnait un climat chaleureux et engageant, « pas ce qu’il est devenu maintenant ».
On le voit redresser certaines de ses propres photographies sur le mur, sa place dans l’histoire du pays aussi fermement fixée que celle de tous les dirigeants politiques qu’il a photographiés.
C’était ses relations, et peut-être le charme inné de Rubinger, qui lui a donné accès à la facette plus personnelle des dirigeants politiques israéliens. Il a photographié Golda Meir en train de nourrir sa petite-fille, et des moments de calme entre Yitzhak et Lea Rabin.
Ariel Sharon a une fois déclaré que « je fais confiance à Rubinger, même si je sais qu’il ne vote pas pour moi. »
« Rubinger a pris plus d’un demi-million de photographies », écrivait jeudi le quotidien Haaretz. Autant de photos qui, selon le journal, « documentent des moments cruciaux de l’histoire d’Israël et aident à définir sa conscience collective ».
En tant que photo-journaliste, beaucoup des missions de Rubinger ont porté sur la guerre d’usure et les sujets de sécurité que l’Etat affrontait dans ses premières années. L’armée lui a accordé un accès incroyable pour capturer des moments cruciaux des guerres et des batailles, et il a donné les droits de certaines de ses photos à Tsahal.
En 1967, pendant la guerre des Six Jours, Rubinger a photographié trois parachutistes debout en silence devant le mur Occidental, qui venait d’être reconquis. Cette image est devenue une icône de l’histoire de l’Etat d’Israël.
La scène photographiée a été rejouée à plusieurs reprises avec les trois soldats en place, et Rubinger a souvent raconté comment il avait saisi cet instant.
Il était dans la péninsule du Sinaï quand il avait appris la conquête du mur Occidental. Il a été déposé par un hélicoptère de l’armée jusqu’à sa voiture à Beer Sheva, où il avait demandé à un soldat de conduire à sa place car il était trop fatigué pour le faire lui-même.
Quand il avait atteint la Vieille Ville et le mur Occidental, il s’est installé dans l’étroit espace qui existait alors entre le mur et les bâtiments voisins, et a photographié plusieurs parachutistes. Il avait ensuite photographié des soldats portant Shlomo Goren, alors grand rabbin, sur leurs épaules.
Quand il était rentré chez lui et avait commencé à développer ses photos, Rubinger pensait que c’était celle avec Goren qui capturait le mieux ce moment historique. C’est son épouse, Anni, penchée par-dessus son épale, qui lui a dit que la photo des trois soldats était plus émouvante.
Rubinger a ensuite critiqué son célèbre cliché, loin d’être parfait, pointant les visages coupés entourant les soldats, mais c’est l’émotion de leurs visages qui attire vers cette photographie.
(Il a recréé l’image iconique en 2012 avec trois femmes tenant des rouleaux de Torah.)
Son accès illimité lui a permis de voler au-dessus de Jérusalem juste après la guerre pour prendre des photographies de la Vieille Ville. Selon une histoire légendaire, pendant que Rubinger était en l’air, il a réussi à convaincre les pilotes de faire demi-tour et de faire un tour supplémentaire autour de la ville pour pouvoir prendre la bonne photo.
Rubinger a rassemblé ses années de photographies en Israël dans le livre My Lens – Sixty Years as a Photojournalist, publié en 2008 par Abbeville Press, qui présentait une préface de Peres, alors président, et a été l’occasion d’une exposition itinérante en Europe, aux Etats-Unis et en Asie.
Il a couvert pendant 50 ans les guerres et la politique israélienne, dépeignant aussi par ses photos l’histoire sociale et culturelle de l’Etat hébreu. Il a photographié ainsi les vagues d’alyah successives de Juifs, en provenance d’Europe, du monde arabe, de Russie et d’Éthiopie.
David Rubinger a reçu le prestigieux Prix Israël en 1997, en reconnaissance de son travail.
Après la mort d’Anni Rubinger en 2000, il a continué à inviter dans leur jardin de Jérusalem, souvent pour un thé ou des cocktails l’après-midi, avec ses manières européennes si distinguées qu’il n’a jamais perdu malgré toutes ses années en Israël.
A 78 ans, il a rencontré Ziona Spivak, qui a été sa compagne jusqu’à son assassinat en 2004 par un ancien jardinier, Mahmoud Sabarna, qui avait demandé de l’argent et l’a tuée avec un couteau de cuisine.
Rubinger laisse derrière lui deux enfants, cinq petits-enfants et deux arrière-petits-enfants.
L’AFP a contribué à cet article.
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