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Nécrologie

Décès de Yehuda Bauer, éminent spécialiste de la Shoah, à l’âge de 98 ans

L'historien a remis en question le discours dominant sur les survivants de la Shoah en Israël et a contribué à l'élaboration d'une définition de l'antisémitisme

Yehuda Bauer dans son appartement du quartier de Beit HaKerem, à Jérusalem, le 3 juillet 2023. (Crédit : Charlie Summers/Times of Israel)
Yehuda Bauer dans son appartement du quartier de Beit HaKerem, à Jérusalem, le 3 juillet 2023. (Crédit : Charlie Summers/Times of Israel)

L’éminent historien de la Shoah Yehuda Bauer est décédé vendredi à l’âge de 98 ans.

Au cours de sa vie de quasi-centenaire, Bauer a publié plus de 40 livres sur la Shoah et l’antisémitisme, en mettant l’accent sur les réactions juives à ces deux phénomènes. Ses premières recherches ont porté sur la résistance organisée des Juifs contre le régime nazi. Mais dans ses travaux ultérieurs, il a abordé des questions plus vastes sur l’antisémitisme et l’importance historique de la Shoah.

Au cours des dernières décennies, Bauer s’est impliqué dans la politique de lutte contre l’antisémitisme. Il a joué un rôle important au sein de l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah (IHRA ou International Holocaust Remembrance Alliance) depuis sa création en 1998, et a participé à la rédaction de la définition de l’antisémitisme, qui ne fait pas l’unanimité tout en étant populaire, de l’IHRA.

Né en 1926 à Prague, Bauer et sa famille ont fui vers la Palestine sous mandat britannique en 1939, le jour où l’Allemagne nazie a envahi la Tchécoslovaquie. Il a passé le reste de son adolescence à Haïfa.

Après avoir terminé le lycée, Bauer a entamé ses études à l’Université de Cardiff grâce à une bourse du gouvernement britannique, mais elles ont été interrompues en 1948 par la Guerre d’Indépendance. C’est alors qu’il est retourné en Israël pour combattre dans la Brigade Oded du Palmach.

Alors qu’il avait une vingtaine d’années, Bauer s’est installé dans le Néguev pour rejoindre le kibboutz Shoval et s’est affilié au mouvement socialiste-sioniste HaShomer HaTzair et à son parti à la Knesset, le Mapam.

Le professeur Yehuda Bauer lors d’une cérémonie de remise de prix, à Jérusalem, le 4 décembre 2016. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Comme de nombreux membres du Mapam, Bauer a d’abord été un marxiste convaincu, mais il s’en est détaché au fur et à mesure que les nouvelles de la répression arrivaient d’URSS. Les procès de Prague de 1952, au cours desquels les autorités soviétiques ont arrêté et emprisonné l’un des dirigeants du Mapam, Mordechaï Oren, ont ébranlé le parti dans ses fondements et modifié la ligne pro-soviétique de nombreux membres.

« Je connais très bien le marxisme, j’ai lu tous ces trucs de A à Z. Il m’a fallu du temps pour en sortir. Le matérialisme historique, beaucoup de choses sont basées sur des erreurs. Lorsque j’ai découvert cela, je suis parti », avait-il déclaré au Times of Israel en 2023.

Bauer se situait à la gauche de nombreux membres de son parti, s’opposant aux éléments les plus nationalistes incarnés par l’ancien commandant du Palmach, Yigal Allon, qui s’est ensuite séparé du parti pour former le sien.

Changer le discours

À une époque où de nombreux Israéliens considéraient les survivants de la Shoah comme des « moutons d’abattage » passifs qui n’avaient pas quitté l’Europe à temps – par opposition aux sabras proactifs qui étaient arrivés en Israël lors des premières vagues d’alyah – Bauer avait recueilli des témoignages de survivants qui racontaient une histoire très différente de la résistance juive dans les ghettos.

La plupart des travaux antérieurs de Bauer décrivaient l’ampleur de la résistance juive organisée contre l’Allemagne nazie, en particulier dans les ghettos polonais.

Il a également écrit sur les organisations juives postérieures à la Shoah, telles que Bricha, qui signifie « la fuite » en hébreu, qui avait apporté une aide aux survivants et les avait aidés à entrer clandestinement en Palestine sous mandat britannique à partir des camps de personnes déplacées en Europe avant la création d’Israël.

Bauer a contesté l’idée que la résistance à l’Allemagne nazie s’est limitée à la violence physique. À ses yeux, toute action juive allant à l’encontre des politiques nazies – maintien de la tradition religieuse, contrebande de nourriture et organisation politique clandestine – était une forme de résistance.

Le président Reuven Rivlin (au centre) accueilli par les professeurs Yehuda Bauer (à gauche) et Ruth Arnon, le 19 octobre 2014. (Crédit : Michal Fattal)

Définir et éduquer contre l’antisémitisme mondial

Lorsque des dirigeants américains et européens ont créé l’IHRA en 1998, Bauer est devenu le conseiller académique de l’association et a commencé à jouer un rôle actif dans la promotion d’une politique de lutte contre l’antisémitisme.

La définition de l’antisémitisme de l’IHRA, à laquelle Bauer a collaboré, s’est heurtée à une opposition, principalement de la part de voix de gauche du monde entier, qui estiment que la définition réduit au silence les critiques à l’égard d’Israël. Bauer s’est inscrit en faux contre ce point de vue et a affirmé que la définition était meilleure que ses alternatives.

« Bien sûr, elle aurait pu être meilleure. Tout peut toujours être meilleur. C’est ce qui est sorti, et je pensais que c’était mieux que rien », avait-il déclaré.

« C’était un certain développement, et j’en faisais partie, c’est tout. »

La définition de l’IHRA a été adoptée par les gouvernements de la grande majorité des pays européens et de nombreux États américains.

S’opposer au nationalisme extrémiste

Opposant farouche aux différents gouvernements du Premier ministre Benjamin Netanyahu, Bauer avait pris l’habitude de critiquer ce qu’il appelait les « malentendus, conclusions erronées et analyses erronées » des politiciens israéliens concernant la Shoah.

« Ils l’interprètent de manière nationaliste, ils utilisent la Shoah comme un outil pour la politique », avait-il déclaré. « C’est particulièrement vrai pour [Netanyahu]. Il n’a aucune idée, il n’a tout simplement aucune idée de ce qui s’est passé. Il traite avec l’Iran, il sait quelque chose sur l’Iran, il ne sait rien sur la Shoah. »

Il n’avait pas non plus réservé ses critiques à la seule droite. Bauer avait exprimé un sérieux scepticisme lorsqu’en 2009, Ehud Barak, alors ministre de la Défense, avait visité le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau et avait déclaré que l’armée israélienne était arrivée « 50 ans trop tard. »

« C’est un pur non-sens, un non-sens absolu. Comment ça, ils n’auraient pas tué des Juifs à cause de quelques avions israéliens ? Il y avait beaucoup d’autres avions », avait-il commenté.

Plus tard dans sa vie, Bauer avait pris la décision de boycotter le service commémoratif annuel de la Shoah de Yad Vashem lors de Yom HaShoah, le jour israélien de commémoration de la Shoah, en raison des « discours nationalistes » attendus de la part des politiciens.

Le professeur Yehuda Bauer, spécialiste de la Shoah, s’adressant aux dirigeants mondiaux lors d’un dîner à la résidence présidentielle dans le cadre du Forum mondial sur la Shoah, à Jérusalem, le 22 janvier 2020. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

Bauer a plaidé pour la fin du conflit qui dure depuis des dizaines d’années avec les Palestiniens. Au cours du mandat britannique, il était favorable à un État binational avec les Palestiniens, mais en 1948 il avait conclu que cette perspective n’était pas réaliste. Jusqu’à sa mort, il est resté intensément critique à l’égard des implantations israéliennes en Cisjordanie.

En 2011, il s’était joint à d’autres personnalités pour signer une « déclaration d’indépendance vis-à-vis de l’occupation » appelant à la création d’un État palestinien et affirmant l’importance d’un tel État pour le maintien de l’indépendance d’Israël.

« Nous nous occupons de gens qui nous haïssent et ce n’est pas une bonne chose. Tant que le type de gouvernement nationaliste que nous avons est au pouvoir, il n’y a aucune solution viable », avait-il déclaré à propos de la situation difficile dans laquelle se trouve Israël.

Le dernier livre publié par Bauer, intitulé The Jews: A Contrary People (« Les Juifs : Un peuple contraire »), est un recueil d’essais argumentés, plus qu’un texte unifié. Il y expose ses convictions athées et ses espoirs pour l’avenir d’Israël.

« Le rêve d’un État démocratique juif ne prendra fin que si la droite est au pouvoir », avait-il déclaré dans une interview accordée à Haaretz en 2014, résumant ainsi le dernier chapitre de son livre.

« Un État juif démocratique n’est pas nécessairement une contradiction. C’est une contradiction qui dépend de la situation politique. »

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