Découvrez les trésors architecturaux de la Rue Jaffa à Jérusalem – tant qu’ils existent
Démolitions et gratte-ciel sont en train de changer radicalement les alentours de la première rue pavée de la capitale hors Vieille Ville - il est temps de découvrir ses trésors
Il y a de cela soixante ans ce mois-ci, je découvrais Israël en compagnie d’un groupe de jeunes juifs du Minnesota. Nous séjournions alors à l’hôtel Ron, établissement sans prétention situé Rue Jaffa, à Jérusalem. Nous avons fait le tour du pays.
Nous n’étions pas conscients de l’importance de la rue dans laquelle se trouvait notre hôtel. Cette Rue Jaffa a été la toute première rue pavée hors les murs de la Vieille Ville, dans les années 1860. Très enthousiastes, les premiers résidents et commerçants se sont rapidement installés le long de cette rue, qu’ils ont bordée de maisons et de magasins. Près de 200 ans plus tard, la Rue Jaffa regorge d’édifices qui témoignent de notre histoire pré-étatique et sioniste.
Au XIXe comme au début du XXe siècle, ces premières maisons et boutiques sont un savoureux mélange d’architecture européenne et d’éclectisme arabe, le tout mâtiné de pierres aux chaleureuses teintes bronze et rougeâtres.
Cette rue on ne peut plus pittoresque restera dans son jus, à l’exception de ses façades reluisantes, jusqu’à il y a de cela une dizaine d’années environ. C’est à ce moment-là que les gratte-ciel commencent à sortir de terre, tout au long de la rue.
Aujourd’hui bordée de tours modernes, la Rue Jaffa ne ressemble plus guère à l’artère pittoresque et riche d’histoire, du passé.
Comment est-ce arrivé ?
Le premier gratte-ciel israélien se construit à Tel Aviv, à la fin des années 1950. Baptisé Shalom Meir Tower, il compte une quarantaine d’étages et est alors le plus haut édifice en Terre Sainte.
Pour ce faire, on démolit le tout premier lycée hébraïque au monde, créé en 1905. Contrairement à la tour qui s’élève à sa place, il était assez beau. Son design n’était pas sans évoquer le Premier Temple dans ses descriptions successives.
Malheureusement, explique Tzafi Shelef, directrice du district de Jérusalem au Conseil pour la protection du patrimoine israélien, les gens ont eu beau protester, ce n’est qu’en 1984 que les autorités ont pris conscience de la disparition de l’histoire de notre pays sous le coup des constructions modernes.
C’est à cette époque que le Conseil est juridiquement créé. Son objectif : protéger les bâtiments et lieux d’importance culturelle et historique tout en maintenant le lien avec notre passé. Bien que le Conseil soit un organisme consultatif dépourvu de tout pouvoir d’empêcher la réalisation de projets nocifs pour le patrimoine, il peut manifester son opposition à des projets et proposer ses alternatives, qui sont d’ailleurs souvent adoptées. Mais parfois, il n’en est rien.
Car il y a des tours absolument partout dans la Rue Jaffa, en surplomb d’édifices anciens, à la place de splendides bâtiments historiques, au beau milieu de pépites du passé qu’elles acculent à la relégation. Les chantiers de construction de gratte-ciels, Rue Jaffa, avancent avec une surprenante vigueur, même par ces temps difficiles. De nouveaux projets, oublieux de notre patrimoine mais bien lucratifs, sont très régulièrement soumis, ce qui rend on ne peut plus crucial le rôle de « chien de garde » du Conseil, et sa grande vigilance.
S’il est vrai que certains édifices d’origine de la rue ont laissé la place à des tours, d’autres se dressent encore fièrement. C’est le cas de Sansor et Abulafiya, deux bâtiments d’angle qui se font face, Rue Jaffa.
Considéré comme un joyau architectural au moment de sa construction, ce bâtiment convexe, achevé en 1929, est érigé à la demande du fabricant de cigarettes arabe chrétien Kamal Sansur, lui-même originaire de Bethléem. Il se situe à l’angle d’un autre bâtiment arrondi qui porte le nom de l’avocat juif David Abulafiya.
Dans plusieurs de ses ouvrages, l’architecte David Kroyanker raconte la fascinante histoire de la construction du bâtiment Abulafiya. Il y écrit que le bâtiment Abulafiya a été conçu comme un « gratte-ciel » de sept étages. Sa construction a commencé en 1936, au début des émeutes arabes contre les dirigeants britanniques de Palestine, qui allaient durer trois ans. La situation l’empêche de se procurer les belles pierres extraites des carrières arabes, celles qui ont servi à construire Jérusalem.
Mais Sansor doit de l’argent à Abulafiya. Il finit par le payer en pierres, de celles que Sansor a fait venir pour ajouter des étages à son bâtiment.
Le bâtiment Abulafiya est achevé en 1939.
Beit Sansor – la Maison Sansour en français – abrite alors un café appelé l’Europe Café. C’est un lieu de rencontre très populaire pour les Juifs, les Arabes et les Britanniques de la période du mandat. Les soirs d’été, ils passent des heures à danser dans son jardin intérieur.
Si ces deux immeubles demeurent intacts, le charmant hôtel Zion, qui a dépassé les 80 ans, se retrouve aujourd’hui coincé entre deux gratte-ciel modernes. Et tout ce qui reste de l’orphelinat du XIXe siècle Talitha Kumi, tout premier bâtiment construit dans la rue King George, est son entrée, son horloge et sa cheminée. Bâti dans les années 1860, on l’a démoli en 1980.
Au lieu de restaurer les trois premières maisons de Nahalat Shiva, quartier vieux de plus d’une centaine d’années, on les a démolies il y a de cela plusieurs dizaines d’années et remplacées par un immeuble de six étages peu intéressant sur le plan architectural.
Certains bâtiments d’origine de la rue sont encore là, mais les tours qui les jouxtent ont tendance à les éclipser. C’est le cas du bâtiment Duwek, vieux de 90 ans, avec ses trois étages, son entrée originale et sa pierre aux tons chauds bruns-orangés.
C’est aussi le cas de l’hôtel Lady Stern, terminé en 1908 et qui a servi de maison de retraite aux personnes âgées de Jérusalem. Composé à l’origine de trois bâtiments entourant une cour, il n’en reste aujourd’hui qu’un, qui sert de hall à un hôtel mais est ouvert au public.
Le poste de police du XIXe siècle est toujours là, dans sa version initiale (à l’exception de l’un des deux lions de marbre qui ont disparu il y a quelques années). Ce sont les Turcs qui l’avaient construit dans le cadre des 17 forteresses défensives érigées le long de la route entre Jaffa et Jérusalem.
Au début, il n’avait qu’un étage, mais au milieu du 20e siècle, le consul britannique a quitté la Vieille Ville et s’y est installé. Le consul a fait agrandir le premier étage et ajouter un second étage, sans compter l’écurie dans la cour pour les chevaux et les ânes utilisés pour ses déplacements. Il y avait un jardin, une entrée originale ornée de piliers et de lions en marbre, et un mur de pierre décoratif.
Sous le mandat britannique, il est devenu le commissariat de police de Mahane Yehuda. Aujourd’hui, il est totalement éclipsé par deux énormes tours.
Une tour de près de 30 étages s’élève également en surplomb de la Mercantile Bank, rue Jaffa, jolie structure aux chevrons rouges construite par un marchand allemand en 1908. Dans le quartier, on l’appelle la Maison du Messie, car elle a été achetée par Machia (Messie) Borochov, un homme dont le prénom est commun chez les Juifs de Boukhara. L’entrée est flanquée de deux piliers reliés par des ferronneries décoratives qui indiquent la date de construction. Au sommet des piliers se trouvent – tout du moins se trouvaient – deux fiers lions – jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit volé.
La maison Kokia est un magnifique manoir construit au 19ème siècle et l’une des toutes premières maisons d’habitation hors de la Vieille Ville. Les premières années, elle a été louée au gouvernement autrichien, avant de devenir le siège des services secrets britanniques. Elle abrite aujourd’hui un splendide centre d’accueil des visiteurs qui présente toutes les richesses de la Terre d’Israël.
À côté se dresse la maison Ticho, la splendide demeure du célèbre ophtalmologiste, le Dr Abraham Ticho. Construite au milieu du 19ème siècle, elle offre des plafonds et des entrées voûtées ainsi qu’un jardin luxuriant. Elle abrite aujourd’hui un charmant musée avec des galeries et des fresques de plafond découvertes lors de rénovations.
Ces deux bâtiments en tout point remarquables se retrouvent aujourd’hui totalement isolés au beau milieu de gratte-ciels sur la Rue Jaffa. Ils devraient l’être encore davantage à l’avenir avec la construction de deux autres gratte-ciels à la place d’un parking situé juste derrière la rue Jaffa.
La yeshiva Etz Haim a été l’une des plus importantes institutions ashkénazes de Jérusalem au XIXe siècle. Initialement protégée, elle a frôlé la démolition pour faire place à deux bâtiments de 15 étages avec magasins et bureaux. Au final, ce bâtiment vieux de 110 ans a été sauvé, mais il est totalement invisible. Tout ce que les passants peuvent voir, c’est la rangée de boutiques devant, qui finançaient la yeshiva.
Que nous réserve l’avenir ?
Il est probable que les tours privent totalement de lumière cet orphelinat séfarade construit en 1908, de crainte que les organisations missionnaires chrétiennes ne prennent les orphelins juifs sous leur aile. Aujourd’hui, le bâtiment abrite une école religieuse à l’intérieur de laquelle les élèves étudient dans l’obscurité ou à la seule lumière artificielle.
Shelef estime que les bâtiments historiques devraient être réparés et rénovés et que le public devrait être autorisé à les visiter. Pour autant, l’hôtel Ron, terminé en 1926, dispose d’un balcon réservé à sa clientèle.
C’est sur ce balcon que l’ex-Premier ministre Menahem Begin est sorti de la clandestinité, à l’époque pré-étatique, le 3 août 1948 et a prononcé un discours entré dans l’Histoire. Les cinq années précédentes, Begin avait dirigé l’Irgoun, mouvement clandestin radical visant à repousser les Britanniques hors de Palestine. C’est ici qu’en surplomb de la foule, Begin avait annoncé la dissolution de l’Irgoun et sa jonction avec l’Armée israélienne.
Les projets concernant l’hôtel Ron (que l’on appelle aujourd’hui Jerusalem Hostel Guest House) prévoient l’adjonction de nouveaux étages. Pas deux, ni même trois, mais neuf, pour un total de 180 chambres.
Aviva Bar-Am est l’auteur de sept guides en anglais sur Israël.
Shmuel Bar-Am est un guide touristique agréé qui propose des visites privées et personnalisées en Israël pour les individuels, les familles et les petits groupes.
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