Depuis Charlie, l’islam de France à l’épreuve de la lutte contre le radicalisme
Les responsables musulmans s'empressent de condamner les attaques et d'en rejeter tout lien avec l'islam, mais certains réclament une dénonciation plus claire de la radicalisation
Injonction à « être Charlie » en 2015, appel à bâtir une « société de vigilance » fin 2019 : à chaque attentat depuis janvier 2015, les musulmans sont sommés de dénoncer le terrorisme islamiste et d’en faire davantage contre le « séparatisme ».
Au lendemain de l’attaque qui a décimé la rédaction de l’hebdomadaire satirique, la communauté musulmane de France, la première d’Europe, est ébranlée : les frères Kouachi affirment avoir agi au nom de l’islam pour « venger le prophète Mohamed », moqué par Charlie Hebdo.
Même si les responsables musulmans s’empressent de condamner les attaques et d’en rejeter tout lien avec l’islam, certaines voix réclament une dénonciation plus claire de la radicalisation jihadiste.
« Les musulmans sont descendus massivement dans la rue et cela n’a pas suffi à faire cesser les procès d’intention », se souvient Anouar Kbibech, président de 2015 à 2017 du Conseil français du culte musulman (CFCM), instance officielle souvent critiquée pour son manque de représentativité.
« Il y a eu une vraie communion lors des manifestations du 11 janvier 2015 mais le débat a viré très rapidement vers le pointage des musulmans : ‘Ils étaient combien ? Ils étaient où ? On les a pas vus !' », abonde le sociologue Omeiro Marongiu-Perria, de l’Institut pour le pluralisme religieux et l’athéisme de Nantes.
Depuis, chaque attaque jihadiste en France, notamment les attentats du 13 novembre 2015 ou de Nice, n’a fait que renforcer cette injonction vécue comme une « stigmatisation ».
En juillet 2016, Manuel Valls, alors Premier ministre, avait ainsi estimé qu’il appartenait aux musulmans de « mener le combat pour clairement séparer ce qui est la réalité de l’islam de France et ces idéologies perverses ». « Ce combat doit être mené partout dans les mosquées, dans les quartiers, dans les familles, sans aucune complaisance », avait-il exhorté.
Plus récemment, certains musulmans ont craint que l’appel d’Emmanuel Macron à bâtir une « société de vigilance » contre « l’hydre islamiste » après l’attaque de la préfecture de Paris en octobre 2019 ne se traduise par une chasse aux sorcières.
« Injustice »
Pour l’actuel président du CFCM, Mohammed Moussaoui, les musulmans de France sont trop souvent appelés à « se justifier de quelque chose dont ils ne sont pas responsables. C’est une forme d’injustice ».
« Mais il a fallu accepter que ce soit notre urgence, que cette maladie qui a fait tant de dégâts à notre société soit soignée, de mettre toute notre énergie dans la réponse, parfois au détriment d’autre chose », reconnaît M. Moussaoui.
D’un point de vue théologique, cette période a aussi bouleversé le culte : les imams se sont souvent retrouvés à enseigner l’islam en commençant par expliquer ce qu’il n’est pas.
« Beaucoup de prêches du vendredi s’attachent désormais à remettre les textes dévoyés dans leur contexte. Le travail pédagogique est devenu beaucoup plus présent », analyse ainsi le président du CFCM.
Au niveau institutionnel, plusieurs chantiers pour promouvoir un « islam du juste milieu » ont été lancés, avec un succès relatif. En 2016, des « instances de dialogue », mises en place sous l’égide du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, débouchent sur la création de la Fondation pour l’islam de France, une meilleure formation des imams et des mesures de prévention de la radicalisation.
« Nous ressentions la nécessité de réformer très profondément l’islam », se souvient M. Cazeneuve auprès de l’AFP.
Le CFCM a, lui, lancé une Charte de l’imam pour un respect du « pacte républicain ».
« Du travail a été fait, mais par exemple, cette charte, qui l’a lue ? », s’interroge Fatima Khemilat, doctorante à Sciences-Po Aix.
Plus généralement, l’offensive anti-radicalisation du CFCM a trouvé ses limites à l’heure de l’embrigadement express, à domicile, via la propagande diffusée sur internet.
« Nous sommes convaincus que la violence se réclamant de l’islam a d’autres raisons d’exister que la religion : des raisons d’ordre social, économique, psychologique ou une volonté de régler des comptes avec la société », répond son président.
L’exécutif a d’ailleurs repris la main sur ce dossier et promet un projet de « loi contre les séparatismes » à la rentrée. Parmi les mesures envisagées figurent l’arrêt de l’accueil des quelque 300 imams venant de Turquie, du Maroc et de l’Algérie et le contrôle renforcé des financements étrangers des lieux de culte.