Des activistes juifs américains luttent contre le retour de la religion à l’école
Alors que plus de 1 600 législations dans tout le pays cherchent à instiller les valeurs religieuses dans les écoles publiques, les groupes dénoncent l'effondrement de la laïcité
Lorsque Sheri Allen, une femme chantre, a appris que le Parlement de l’état du Texas proposait un projet de loi qui autoriserait les établissements scolaires du public à remplacer les conseillers d’éducation par des aumôniers sans habilitation, elle a commencé à envoyer aux représentants texans des courriels quotidiens agrémentés de liens vers des articles ou vers des lettres ouvertes.
Peut-être, avait-elle pensé, parviendrait-elle à les persuader de tenter de comprendre dans quelle mesure le projet de loi était une menace faite au bien-être des élèves en plus d’un affront au judaïsme.
Selon la proposition de législation, « un aumônier, qu’il soit employé ou bénévole… ne doit pas nécessairement être habilité par le bureau de l’état chargé de la certification des éducateurs ».
« Ils ont le droit de croire ce qu’ils veulent », s’exclame Allen. « En revanche, ils n’ont pas le droit d’imposer leurs croyances aux autres. La religion doit rester au sein des communautés confessionnelles, elle ne doit pas s’introduire dans les écoles publiques ».
Ses efforts ont été vains : le texte a été adopté par 80 voix « Pour », et 64 voix « Contre ». Le gouverneur Gregg Abbott a jusqu’à la mi-juin pour la ratifier ou pour s’y opposer.
Cofondatrice de la congrégation Makom Shelanu à Fort Worth, Allen considère l’adoption de cette loi comme une nouvelle fissure apparue dans le mur qui sépare la religion et l’État. Et elle n’est pas la seule. Les responsables religieux, les défenseurs de la liberté de culte et les éducateurs partagent tous le même sentiment : celui que non seulement le nationalisme chrétien s’est ancré dans tous les États-Unis, mais aussi qu’il ne cesse de gagner en vitalité.
« Tous ces projets de loi encouragent les responsables publics à utiliser la machine de l’état pour imposer leur religion à tous nos enfants. C’est le nationalisme chrétien à l’œuvre parce qu’il codifie le privilège des valeurs chrétiennes au sein du gouvernement de l’état et qu’il renforce le statut ‘d’étrangers’ des élèves juifs et des autres », explique Rachel Laser, présidente et directrice-générale de l’organisation Americans United for Separation of Church and State, qui lutte en faveur de la liberté de culte.
Ce sont presque 1 600 projets de loi dans toute la nation qui tentent d’instiller la religion dans les écoles publiques, précise-t-elle.
Dans l’Oklahoma, l’école en ligne St. Isidore de Séville, financée par les contribuables, deviendra la première école publique religieuse, placée sous l’autorité de l’archevêché d’Oklahoma City. Il n’est pas nécessaire d’être catholique pour s’y inscrire mais les élèves seront immergés dans les principes religieux de l’église de Rome, selon l’école.
En Virginie occidentale, le Parlement de l’état a presque adopté une loi autorisant les écoles publiques à enseigner le créationnisme. Et dans le Missouri, les écoles publiques ont dorénavant le droit de donner des cours facultatifs d’études sociales basés sur la Bible.
Aucun recours
En plus de la loi sur les aumôniers, les députés texans ont prévu de voter deux autres projets de loi en lien avec la religion avant les congés estivaux. L’un d’entre eux exigerait l’affichage des Dix Commandements dans les salles de classe. L’autre autoriserait les employés des écoles publiques à prier ou à prononcer des discours religieux pendant l’exercice de leur travail.
Des idées qui mettent fortement mal à l’aise Lisa Earley, professeure d’anglais à la Daggett Middle School de Fort Worth.
« Je suis vraiment ennuyée. Quand je vais à l’église, je vais y prier. Quand je vais à l’école, je vais faire mon travail », dit Earley.
Earley, qui est aussi assistante sociale diplômée et responsable de la Gay Straight Alliance au sein de son établissement, est profondément inquiète à l’idée que les écoles puissent permettre aux aumôniers qui, pour la majorité d’entre eux, n’ont pas été formés aux problématiques de la toxicomanie, de la prévention du suicide et du harcèlement scolaire, de conseiller les élèves.
« Le collège, c’est une période où beaucoup d’enfants sont en train de se découvrir, notamment au niveau de leur orientation. Que ce soit dans l’armée ou à l’hôpital, aller voir un aumônier est un choix individuel », déclare Earley. « Si le seul choix est l’aumônier, alors, dans les faits, vous éloignez tout simplement les élèves qui peuvent se sentir mal à l’aise à l’idée de parler à quelqu’un qui représente une religion. Les choses seront ainsi faites qu’ils n’auront aucun endroit où aller se confier ».
Les partisans de ces projets de loi évoquent la décision prise par la Cour suprême en 2022 dans le dossier Kennedy v. Bremerton, qui autorisait la religion dans l’espace scolaire. Et pourtant, même si la majorité avait maintenu qu’un entraîneur était en droit de dire une prière privée, personnelle, après un match de football, elle précisait que les employés des écoles publiques ne pouvaient pas exercer de pressions sur les élèves pour les contraindre à prier avec eux, explique Richard Foltin, qui travaille sur la liberté religieuse au sein du Freedom Forum.
« Je pense que ce qui se passe ici ne consiste pas seulement à faire entrer de force la religion de manière générale – il s’agit d’une religion en particulier, ce qui est une manière d’exclure », estime Foltin.
Quel mur entre la religion et l’État ?
Les soutiens des législations qui sont actuellement avancées affirment également que l’absence de religion, dans les écoles publiques, a exacerbé tous ses maux – qu’il s’agisse des problèmes de santé psychique de la nouvelle génération ou des fusillades qui endeuillent régulièrement l’Amérique. De plus, de nombreux députés – que ce soit au niveau de l’état ou au niveau fédéral – déclarent que la séparation entre la religion et l’état tient de la fiction.
Si le Premier amendement proclame que « Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion », il n’y a rien, dans la Constitution, qui utilise la formule de séparation de l’église et de l’état, note Michael Helfand, le co-directeur de la Brenden Mann Foundation Chair in Law and Religion au sein de la faculté de droit Pepperdine Caruso.
« La grande question qui se pose, c’est donc comment interpréter cette clause sur l’établissement et pour ce faire, il faut s’intéresser à Jefferson, » ajoute-t-il.
Dans sa lettre écrite au mois de juin 1801 aux Baptistes de Danbury, Jefferson avait écrit : « je considère avec un respect souverain cet acte du peuple américain qui a déclaré que sa législature ‘ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice’ – ce qui construit un mur de séparation entre l’église et l’état ».
Si les écrits de Jefferson ont servi de référence pendant plus de 200 ans, « dans l’ordre des choses, le concept d’un mur séparant l’église et l’état est un phénomène relativement nouveau », poursuit Helfand.
En effet, jusqu’à la première moitié du 20e siècle, la prière et les lectures de la bible du roi Jacques étaient chose commune dans les écoles publiques, que ce soit dans le cadre des exercices d’écriture ou dans les cours de latin.
Puis, dans les années 1690, « la révolution de la clause sur l’établissement » a commencé, poursuit Helfand. Leo Pfeffer, avocat convaincu et irascible de la séparation entre l’église et l’état qui travaillait pour l’AJC (American Jewish Congress), avait mené la charge. Né dans l’ancienne Autriche-Hongrie et élevé aux États-Unis dans un foyer juif massorti pratiquant, religieux lui-même, Pfeffer était convaincu que la clause protégeait à la fois la religion et le gouvernement.
En 1962, la Cour suprême américaine avait interdit la prière dans les écoles, affirmant qu’elle contrevenait au Premier amendement. Un jugement qui autorisait par ailleurs les élèves à se réunir pour prier dans les établissements, tant que cette prière était privée et que personne n’était contraint à la rejoindre.
Un décret biblique qui pousse à l’activisme
Il devrait y avoir de nombreuses plaintes contre les lois qui, aujourd’hui, tentent de réintroduire la religion à l’école – et notamment contre la législation portant sur les aumôniers. Et alors qu’elles feront leur chemin devant les tribunaux, les juges devront décider si ces législations peuvent s’apparenter à de la coercition, note le professeur Abner S. Greene qui enseigne le droit à la faculté de Fordham Law School.
« Prenons un aumônier dans une école publique – la question va être de savoir s’il utilise sa fonction pour faire du prosélytisme… S’il dit aux élèves de venir à Jésus, je pense que la Cour s’y opposera et qu’elle dira qu’il s’agit d’une violation en profondeur de la clause sur l’établissement », commente-t-il.
Indépendamment de la décision qui sera prise par le gouverneur Gregg Abbott concernant la ratification ou le rejet de la loi sur les aumôniers, Allen déclare que l’enjeu est trop important pour ne pas s’impliquer dans la lutte.
« Le judaïsme nous enseigne que nous ne devons pas rester à ne rien faire. Nous devons faire entendre notre voix haut et fort pour dénoncer les injustices », explique-t-elle.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel