Des électeurs de droite rejoignent le mouvement anti-Netanyahu
Ne formant qu'un petit groupe en comparaison avec la majorité des manifestants, des électeurs du Likud ont exprimé leurs frustrations aux côtés de la gauche

David Meir se définit comme un homme appartenant à la droite israélienne. Il s’est installé pour des raisons idéologiques au sein du bloc d’implantations d’Etzion, dit-il, pour prendre part à la construction de la Terre d’Israël.
Et pourtant, ce samedi soir, il a pris part à un mouvement de protestation réclamant la démission du Premier ministre Benjamin Netanyahu, leader autrefois considéré comme un héros de son camp, aux côtés d’activistes à l’extrême-gauche du spectre politique.
« Ce n’est pas normal pour moi en tant qu’homme de droite », a reconnu Meir avec un petit rire. « Mais il n’est pas un atout pour la droite. »
Et Meir n’est pas seul.
La manifestation de ce samedi soir contre Netanyahu est la plus importante jusqu’à présent avec, selon les organisateurs, 32 000 personnes qui se sont rassemblées sur la place située aux abords de la résidence du Premier ministre à Jérusalem. Les médias, pour leur part, ont avancé le chiffre plus modeste de 15 000 à 20 000 participants.
Des centaines d’agents de police ont été déployés sur les lieux de l’important regroupement.
Comme lors des précédentes manifestations, la large majorité des personnes présentes se revendiquaient de la gauche ou du centre de l’arène politique. Des militants de gauche, défilant sous l’étiquette du parti arabe-juif Hadash, portaient des panneaux condamnant l’occupation, tandis que ceux de la formation centriste Yesh Atid, haut-parleurs à la main, dansaient au rythme des slogans anti-Netanyahu.

Mais parmi les Israéliens déguisés en extra-terrestres et les protestataires brandissant des panneaux pro-palestiniens, une poignée de personnes se revendiquant de la droite ont fait cause commune avec la foule, malgré leurs différends idéologiques, partageant le même mépris pour Netanyahu. Des panneaux affirmaient : « Membres de droite et membres de gauche, nous refusons d’être des ennemis », et « Je suis de droite et je suis contre Bibi », trahissant la capacité des mouvements de protestation à franchir les lignes idéologiques.
Même s’il est difficile de le confirmer, il semble qu’il y ait eu, hier soir, davantage de manifestants de droite que lors des derniers rassemblements, ce qui pourrait montrer que Netanyahu perd du terrain même parmi sa base.
Selon une nouvelle étude menée par l’Institut israélien de la Démocratie, non-partisan, environ 49 % des électeurs du Likud s’identifient dans les mouvements économiques organisés en défiance du gouvernement. Même de nombreux partisans de la droite en général – c’est, par exemple, le cas de 42 % des soutiens de Yamina – ont une opinion défavorable de la conduite personnelle de Netanyahu.
Les sondages publiés par deux chaînes d’information israéliennes, jeudi, ont montré une érosion des soutiens pour le Likud alors même que Yamina, à l’extrême-droite, une formation dirigée par Naftali Bennett, adversaire de Netanyahu, et Yesh Atid, connaissent un essor.
Les électeurs de droite qui ont échangé avec le Times of Israël ont indiqué qu’ils pensaient que de nombreuses personnes, dans leur camp, n’étaient pas satisfaites de Netanyahu, au pouvoir depuis une décennie.

Cheni Ben Baruch, présent pour la première fois à Balfour, a brandi un panneau où il revendiquait clairement son appartenance à la droite idéologique. Il se rappelle avoir manifesté pour la dernière fois en 2005 contre le désengagement à Gaza.
« La droite a des alternatives bien meilleures et, selon moi, la droite idéologique doit sortir manifester, et c’est à ce moment-là que Netanyahu subira réellement des pressions », estime cet électeur de Yamina lors des scrutins de 2019. « Je sais qu’il y a de nombreuses personnes qui pensent comme moi. »
Meir explique être descendu dans les rues en raison de l’arrestation d’Amir Haskel, ancien général et organisateur des manifestations arrêté et placé en détention alors qu’il manifestait contre Netanyahu au mois de juin, entraînant une certaine colère.
« Quand j’ai entendu que Netanyahu avait arrêté Amir Haskel, un vieil homme qui était assis sur le trottoir, ça a fait l’effet d’une étincelle qui a tout embrasé en moi », explique Meir. « Après cela, il y a eu la loi de contournement de la Knesset. C’est un pays démocratique mais j’ai eu le sentiment qu’on se trouvait sur une pente glissante », ajoute-t-il, se référant à la législation qui a affaibli les pouvoirs de la commission de supervision du coronavirus à la Knesset.
Un récit de gauche
Les protestataires de droite rejettent avec force l’idée que les rassemblements soient fondamentalement de gauche – une affirmation répétée par Netanyahu, qui a souvent qualifié les manifestants « d’anarchistes de gauche ».
Les activistes, d’un autre côté, martèlent que leur mouvement est large et représentatif de la colère ressentie par les Israéliens à l’égard de Netanyahu pour les multiples maux qui touchent la société israélienne.
« On vend un récit qui serait de gauche, mais il y a une réelle histoire de corruption et d’injustices publiques ici. Tous les prophètes de la Bible s’en inquiétaient », dit Meir.
« Je pense que ça arrange beaucoup Netanyahu d’évoquer un mouvement de gauche parce que de cette manière, il se positionne à droite – je suis de droite contre cette minorité gauchiste bizarre qui s’insurge contre moi. Mais je pense que c’est totalement faux : dans la droite idéologique, il y a un groupe très, très important qui ne se tient pas aux côtés de Netanyahu », continue Ben Baruch.

Certains activistes de droite ont organisé une manifestation distincte qui s’est tenue au parc de l’Indépendance adjacent. Un organisateur, qui refuse d’être cité par son nom, a déclaré que de nombreux partisans de droite s’opposaient à Netanyahu mais ne désiraient absolument pas être assimilés aux activistes de gauche de la place de Paris.
« Ils ont le sentiment que cette manifestation est trop à gauche et par moments, trop débauchée », dit-il, citant un incident au cours duquel une femme s’est assise sur une menorah, seins nus. « Et plutôt que de tenter de les persuader du contraire, on a décidé de créer un événement à nous. »
Le rabbin Yossi Froman, qui réside dans une implantation en Cisjordanie, qui est un membre éminent de la droite religieuse mais également un activiste de la paix, a brandi un panneau disant : « Nous avons besoin d’un dirigeant courageux » sur la place de Paris. Froman, qui est un habitué des manifestations et qui est considéré comme une sorte de marginal au sein du camp de droite pour ses efforts en faveur de la réconciliation avec les Palestiniens, rejette l’idée que le mouvement soit de gauche ou de droite.

« Ce qui est arrivé à Netanyahu, c’est ce qui peut arriver dans d’autres contextes : il est tombé amoureux de son rôle. Il pense que personne d’autre ne peut assumer sa mission. Et donc, tout ce qu’il fait, toutes ces personnes dont il s’entoure, toutes les décisions qu’il prend, visent à lui permettre de rester là où il est, plutôt que de s’intéresser au bien du pays. C’est destructeur et cela l’est encore plus pendant le coronavirus », dit Froman.
Fils de feu le rabbin Menachem Froman, Froman indique que non seulement il a voté pour Netanyahu par le passé, mais que l’homme avait, selon lui, initialement affiché les qualités d’un grand dirigeant. Aujourd’hui néanmoins, alors que le Premier ministre est mis en examen pour corruption et qu’il est actuellement traduit devant les juges, il est temps qu’il passe la main, ajoute-t-il.
« Quelqu’un d’amoureux du siège qu’il occupe ne peut pas prendre de décisions courageuses », dit-il. « Il est temps qu’il laisse la place au suivant. C’est là que se trouverait la grandeur d’un dirigeant. »