Des équivalences médicales en souffrance en Israël malgré un manque de personnel
Plus de 400 médecins spécialistes français et des dizaines d'infirmières attendent la reconnaissance de leur diplôme, tandis que hôpitaux et cliniques surchauffent dans l'État juif
De loin, le tableau paraît complètement absurde. Alors que les infirmières israéliennes en plein burn-out ont appelé à une grève ce 4 juillet, rejointes il y a peu par les ergothérapeutes et les puéricultrices, des dizaines de soignantes désirant émigrer en Israël retardent leur départ faute d’équivalences adéquates.
Entre ces deux groupes, on retrouve la bureaucratie israélienne prise d’assaut par l’opinion publique, les files d’attente interminables aux urgences, et les associations d’aide aux olim de France qui réclament des réformes rapides. Et comme souvent en Israël, le dossier stagnera, jusqu’à ce que les portes s’ouvrent soudainement.
« Cette pénurie ne touche pas que les infirmières, mais aussi les médecins de famille, explique Oren Mizrahi, directeur de la branche « alyah médicale » de France chez Gvahim, une association qui favorise l’intégration de l’alyah des personnes diplômées.
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Aujourd’hui 40 % des médecins de famille ont plus de 60 ans, et l’on voit partir à la retraite les médecins d’origine russe ».
Il s’agit très probablement des médecins issus du million de Russes arrivés en Israël après la chute du Rideau de fer à la fin des années 1980. « Une part d’entre eux étaient déjà généralistes. Mais ceux d’entre eux qui n’ont pas vu leur diplôme reconnu sont allés grossir les rangs des médecins généralistes. Aujourd’hui, ils partent à la retraite l’un après l’autre ».
Conséquence selon le cadre de Gvahim : « Former la relève prend du temps. Nous sommes dans une très bonne fenêtre de tir pour les médecins généralistes français. En ce moment, la pénurie est telle, et les conditions proposées sont excellentes ».
Face à cette pénurie de personnel médical, et pour convaincre une administration, qui assure de son côté avoir pris la mesure du problème – une faculté de médecine a été ouverte en 2011 à Safed, en Galilée – des associations pointent des données chiffrées alarmantes produites par l’OCDE en 2016. Israël produisait alors 5,5 médecins pour 100 000 habitants, soit le plus bas taux des pays de l’OCDE.
En réponse, dans un rapport paru au début du mois de juillet, le ministère de la Santé israélien a dévoilé ses propres statistiques, qui, moins pessimistes que le rapport de l’OCDE, n’en restent pas moins accablantes. Selon le ministère lui-même, Israël forme aujourd’hui 6,8 médecins pour 100 000 habitants, soit le deuxième taux le plus bas des 35 pays de l’OCDE, après le Japon. La moyenne actuelle de l’OCDE est de 12,1 médecins pour 100 000 habitants.
A titre comparatif, selon l’OCDE, la France en produit 9, et, en tête caracole l’Irlande avec 23,7 docteurs pour 100 000 habitants. Toutefois, nuance Mizrahi, « ces données ne comprennent ni les Israéliens qui étudient à l’étranger et qui reviennent, ni les olim qui arrivent chaque année. Sachant que la formation initiale d’un médecin coûte près de six millions de shekels et qu’un médecin de famille peut soigner jusqu’à 1 700 patients par an, encourager l’immigration de médecins représente donc une opportunité exceptionnelle et une solution simple et peu coûteuse à court terme pour le système de santé israélien. L’Etat propose aujourd’hui une série d’aides, notamment pour les internes ou les médecins envisageant de travailler en Galilée, mais il faudrait encore plus de postes dédiés aux médecins de l’étranger et de moyens pour accompagner individuellement chaque candidat à l’alyah. »
En réaction, le vice-ministre de la Santé Yaakov Litzman fait valoir les efforts soutenus d’Israël dans la formation des médecins : « en 2005, il y avait 400 étudiants en médecine, en 2016, 50 % de plus, soit environ 800 ». Il a également annoncé qu’avec la nouvelle faculté de médecine située dans la ville d’Ariel, ce chiffre passerait à 900 dans un avenir proche.
Il existe aujourd’hui cinq universités de médecine en Israël : à l’université hébraïque de Jérusalem, à Bar Ilan à Tel Aviv, Ben Gourion à Beer Sheva, au Technion de Haïfa et à Safed, rattaché à l’université Bar Ilan de Tel Aviv. On peut y suivre deux cursus : un classique et un parallèle. Le premier dure six années auxquelles s’ajoute une année de stage. Le deuxième s’intègre après l’obtention d’un diplôme de premier degré de biologie (ou apparenté) et dure quatre années supplémentaires.
Les statistiques du rapport du ministère israélien de la Santé pointent du doigt la situation des infirmières : elles sont cinq pour 1 000 habitants. En Norvège, où le taux d’infirmières est le plus élevé, elles sont 17,5 pour 1 000, suivi de la Suisse (17) et du Danemark (16,9). Au bas de la liste se trouvent la Lettonie (4,6), la Grèce (3,3) et le Mexique (2,9). Israël se trouve dans la queue du classement, même si le nombre d’infirmières a sensiblement augmenté depuis l’an dernier, passant de 4,9 pour 1 000 à 5 pour 1 000.
Un sujet sur la pénurie d’infirmières de la télévision israélienne sous-titré par l’association Qualità :
La demande israélienne…
« Le système médical israélien manque aussi de médecins spécialisés en médecine interne, continue Mizrahi, ainsi que de gynécologues-obstétriciens, réanimateurs, d’urgentistes, de gériatres et de radiologues ».
Comme la majorité des Israéliens et des immigrés veulent généralement profiter du dynamisme du centre du pays, « les manques se font plus cruellement sentir dans les régions périphériques du pays, au sud le Néguev, et en Galilée. Selon un rapport du ministère israélien de la santé de février 2017, il y a seulement 1,7 médecins pour 1000 habitants dans la région Nord », précise-t-il, en expliquant que l’un des rôles de son association est justement « d’aider des médecins français à s’installer dans ces ‘déserts médicaux’ pour décupler l’impact de leur contribution au système de santé en Israël ».
À lire : Tous nos articles sur les équivalences des diplômes français
… et l’offre française
Et de l’autre côté, des médecins et des infirmières du monde entier se cognent à la rudesse du système d’équivalences des diplômes israéliens.
Un système qui, malgré tout reconnaît, chaque année, suite à de longues et tortueuses négociations, la légitimité de nouveaux diplômes étrangers.
Ainsi 2015 fut une bonne année pour les dentistes. Depuis cette date, ils échappent à l’examen final auquel sont soumis les étudiants dentistes israéliens, et qui tenait lieu d’équivalences pour les étrangers. Un examen pour lequel les aspirants dentistes israéliens devaient ingérer l’ensemble du programme assimilé par les étudiants pendant 6 ans.
2018 quant à elle fut une bonne année pour les médecins généralistes de France qui ont vu leur diplôme reconnu.
« Plus de 420 médecins nous ont déjà contacté pour trouver un travail en Israël, explique le directeur de l’alyah médicale, 70 % d’entre eux sont encore en France, et se préparent à l’alyah. Aujourd’hui les chiffres de l’alyah sont en baisse, pourtant au moins un nouveau médecin nous appelle chaque jour. Selon nous, aujourd’hui, les gens se préparent ».
Si les équivalences des médecins de famille ou généralistes sont aujourd’hui acquises, le sort des médecins spécialistes se décide au cas par cas, il n’y a pas de règle générale.
Parfois le diplôme d’une spécialité dont Israël a besoin, comme la gynécologie par exemple, précise Mizrahi, « n’est simplement pas reconnu ».
Le cas des infirmières
Qualità, une autre association d’aide à l’intégration des olim de France dirigée par Ariel Kandel, défend le sort des infirmières étrangères depuis plus d’un an.
On y explique que le ministère de la Santé tente de colmater les brèches. Des subventions et des bourses sont mises en place pour inciter les jeunes qui sortent de l’armée à venir grossir les rangs des carabins. Mais cela n’est pas suffisant, et les mots de Kandel sont sans appel.
« Il s’agit du plus gros scandale dans le domaine de l’intégration des olim des pays occidentaux », tonne Kandel, ancien directeur de l’Agence juive française.
« Aujourd’hui l’équivalence est accordée aux dentistes, aux médecins, aux pharmaciens, aux internes en médecine, mais le ministère de la Santé considère que le diplôme français n’a pas fait ses preuves, » explique-t-il.
L’association Qualità a déjà recensé « au moins une centaine de cas d’infirmières françaises qui se trouvent déjà en Israël ou qui ont ouvert des dossiers d’alyah et qui ne peuvent exercer leur métier ici,” explique Ariel Kandel.
Selon Gvahim « la difficulté du processus cache sans doute un plus grand nombre de personnes qui ne nous contactent même pas ».
Comme pour les dentistes jusqu’en 2016, les infirmières françaises (et les sages-femmes, considérées comme des infirmières spécialisées) sont aujourd’hui contraintes de passer le même examen final que les étudiants en infirmerie, un examen qui recoupe tout le programme enseigné. Un examen théorique devant lequel 70 % des candidates françaises échouent, souligne Kandel.
« On demande à des infirmières qui ont parfois 30 ans de métier de revoir toute la théorie alors qu’elles ne maîtrisent pas encore la langue et doivent nourrir leur famille ».
Selon lui, le vice-ministre de la Santé Yaakov Litzman aurait des intentions favorables quant à la reconnaissance du diplome français, « mais l’infirmière en chef du ministère, Shoshi Goldberg, bloque la procédure, je ne sais pas pourquoi, c’est incompréhensible. Elle estime qu’il s’agit d’une question de santé publique, mais nous avons déjà tout vérifié. Et si les médecins d’un pays sont reconnus, pourquoi pas ses infirmières ? C’est illogique ».
Le diplôme français, ajoute-t-il, est reconnu dans le monde entier. « Nous avons comparé les syllabus français et israélien – les matières enseignées durant les études – et il s’est avéré qu’il est plus large en France qu’en Israël ». Il n’existe selon lui aucune raison de mettre en doute la compétence des infirmières françaises, au contraire.
Face à ce qu’il considère comme un abus de pouvoir, Ariel Kandel a déposé un rapport de 50 pages au ministère de la Santé pour plaider la cause des infirmières.
« Si cela ne bouge pas, nous porterons plainte, nous allons être obligés d’aller devant la justice ».
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