Des fragments des rouleaux de la mer Morte récemment vendus sont des faux – experts
Depuis 2002, les collectionneurs ont payé des millions pour obtenir des fragments anciens de la parole de Dieu. Alors que le Musée de la bible est sur le point d'ouvrir ses portes à Washington en présentant plusieurs pièces similaires, des preuves de fraude apparaissent
Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »
Un berger bédouin a entendu des bruits de brisure de poterie alors qu’il jetait des pierres dans une grotte en cherchant un mouton égaré parmi les falaises arides contiguës à la mer Morte. Il est entré dans la caverne et a découvert la trouvaille la plus exceptionnelle du 20e siècle – des rouleaux en hébreu et en araméen vieux de 2 000 ans qui sont alors devenus les plus vieux écrits de la Bible jamais répertoriés.
Sept décennies ont passé depuis cette découverte digne d’un film hollywoodien d’environ 900 manuscrits et de quelques 50 000 fragments dans les 11 grottes de Qumran.
Aujourd’hui, nul doute sur le fait que les accusations de fraude qui s’élèveraient à des douzaines de millions de dollars et qui ont émergé autour de ces fragments spectaculaires sont elles aussi à la hauteur d’un scénario de blockbuster américain.
C’est un polar qui implique un réseau complexe d’accords à coup d’importantes mises financières sur fond de provenance douteuse – et peut-être même d’escroqueries de spécialistes universitaires.
Le processus de fabrication de ces contrefaçons doit entre encore être pleinement percé à jour. En revanche, les motivations sont absolument claires : La plus petite bribe de ces fragments s’est vendue à plus de 100 000 dollars pièce lors de ces ventes privées au marché noir.
Depuis 2002, le marché privé des antiquités a été saturé de morceaux de cuir millénaires certifiés sur lesquels étaient inscrits des versets bibliques qui, selon les estimations des experts, semblent dater de l’époque moderne. Ce qui a mené certains spécialistes à penser qu’un ou plus de leurs pairs avaient pu se mettre hors-la-loi en leur apportant une caution et ce qui a créé une prolifération de contrefaçons colportées auprès d’un nombre croissant de collectionneurs chrétiens évangéliques.
Le Musée de la bible, qui doit ouvrir ses portes au mois de novembre à Washington, fait partie de ces collectionneurs importants qui ont été « dupés » à hauteur de millions de dollars, selon les experts. Une récente série d’articles parus dans des journaux universitaires respectés mettent en doute l’authenticité d’au moins une demi-douzaine de ces petits fragments de rouleaux qui apparaissaient comme autant de trésors cachés.
Parmi ceux qui tentent de sensibiliser face à ces contrefaçons, le paléographe Kipp Davis, chercheur à la Trinity Western University, qui travaille également auprès de l’Institut des rouleaux de la mer Morte au sein de la même université.
« Il y a un consensus de plus en plus important chez les spécialistes des rouleaux de la mer Morte sur le fait qu’un grand nombre de fragments dans les collections privées sont des faux », explique Davis au Times of Israel.
Dans son dernier article, « les grottes du conflit », publié dans la série Brill Dead Sea Discoveries ce mois-ci, Davis a découvert qu’au moins six des 13 fragments « publiés » par le musée de la Bible sont des faux. (« Publiés », dans le jargon des spécialistes, correspond aux objets qui ont été examinés par les experts, examens dont les conclusions ont été présentées dans des journaux universitaires. Le musée de la Bible possède trois fragments de plus, dont les origines et le contenu n’ont pas été encore publiés).
Dans une discussion avec le Times of Israel, Davis explique qu’il est convaincu que six des fragments sont des faux et que « ce nombre pourrait être plus élevé. Il y a des gens ici qui estiment que les 13 fragments sont des contrefaçons. Je n’en suis pas encore là, mais j’ai des collègues qui le pensent vraiment ».
Loin d’ignorer ces affirmations de contrefaçon, le musée de la Bible parraine les recherches de Davis et celles d’autres spécialistes.
Årstein Justnes, professeur d’Etudes bibliques à l’université d’Agder, en Norvège, a monté le blog ‘Le Stylo menteur des Scribes’ pour répertorier pour le public les preuves – sans cesse en augmentation – qui ont été accumulées sur les faux fragments de la mer Morte.
Dans un échange de courriel avec le Times of Israel, Justnes souligne le « message silencieux » que veut transmettre son blog. « A tous : Faites attention, il y a des faux, et ils sont associés les uns aux autres ! Ils font partie du même jeu' ». Aux spécialistes : « Arrêtez de publier (ce qui correspond de-facto à une authentification) des matériaux qui n’ont pas été approuvés. Aux étudiants : ‘Tirez les leçons de vos erreurs’. Aux journalistes : ‘Il faut sérieusement que vous écriviez là-dessus. Cette histoire est la saga de l’évangile apocryphe de la femme de Jésus [une falsification de haut-niveau qui avait utilisé des papyrus antiques] à l’échelle 70″.
Dans le passé, le datage au carbone du parchemin en cuir aurait été un moyen sûr de tester l’authenticité des fragments. Malgré tout, parce qu’il est soupçonné qu’un grand nombre de ces « nouveaux » fragments ont utilisé du cuir ancien de 2 000 ans comme « ardoise », cette technologie est considérée comme insuffisante.
« Le datage au carbone n’est plus adapté. De vieux matériaux peuvent – et ils l’ont très certainement été – avoir été manipulés à notre époque moderne », dit Davis.
Sans expertise au carbone 14, les spécialistes du monde entier se tournent vers de nouveaux tests et non-effractifs pour prouver – ou infirmer – l’authenticité de ces fragments « douteux » dans les collections privées. Et ce qu’ils ont découvert est surprenant.
Une longue histoire de contrefaçon
Le lien entre la plus grande découverte du 20e siècle et la contrefaçon sur le marché des antiquités est direct. Immédiatement après leur découverte, en 1947 et 1948, les rouleaux originaux ont été rapidement acquis par le musée archéologique de Palestine (Rockefeller), alors sous contrôle jordanien, auprès des Bédouins qui les avaient trouvés ou des Arabes chrétiens palestiniens auxquels les bergers les avaient vendus.
Selon l’archéologue Pnina Shor, conservatrice et chef du projet des rouleaux de la mer Morte au sein de l’Autorité israélienne des Antiquités, la recherche des nouveaux rouleaux de la mer Morte a toujours été « une course entre les archéologues et les Bédouins, quant à savoir qui s’est rendu là-bas le premier. Malheureusement, ce sont toujours les Bédouins » qui ont fait disparaître les informations pour les rouleaux authentiques et ont donc ouvert la porte aux contrefaçons.
Le père Roland Guérin de Vaux, prêtre dominicain qui avait dirigé les fouilles initiales et les acquisitions des Rouleaux de la mer Morte, avait raconté à ses collègues et écrit dans ses journaux quelles avaient été les initiatives entreprises pour écarter les toutes premières contrefaçons avant qu’elles ne soient vendues.
« Dans les années 1950, ceux qui ont eu les premiers entre leurs mains les rouleaux de la mer Morte ont pris conscience de l’existence de faux. Roland de Vaux a inclus une série de dix-sept entrées dans son journal personnel, dans le second volume de découverte du désert de Judée, dont plusieurs décrivent des tentatives de vente de fragments de rouleaux contrefaits », selon le récit rapporté dans un récent article intitulé « Neuf fragments des rouleaux de la mer Morte douteux du 21e siècle ».
L’article explique que la première méthode d’authentification des manuscrits a traditionnellement été une méthode de paléographie comparative – l’étude de formulaires anciens et historiques rédigés à la main et leurs processus d’écriture.
“De Vaux lui-même avait identifié les premières contrefaçons qu’il avait rencontrées de manière correcte, disant qu’elles consistaient ‘en quelques lignes de caractères hébreux maladroits qui n’ont aucun sens et qui sont écrites avec de l’encre moderne, sur un vieux fragment de peau qui ne comporte aucune inscription », selon l’article.
De Vaux, directeur de l’Ecole biblique de Jérusalem, avait dirigé l’équipe majoritairement catholique lors des recherches et de la collecte d’informations sur ce trésor des rouleaux de la mer Morte, découvert et acheté à la fin des années 1940 et au début des années 1950.
Un grand nombre de ces achats s’étaient effectués à travers un savetier qui s’était reconverti en trafiquant d’antiquités appelé Khalil Eskander Shahin, alias « Kando ». Selon un grand nombre de personnes qui se sont entretenues avec le Times of Israel, les fragments achetés auprès de Kando étaient considérés comme crédibles.
Après la guerre des Six jours en 1967, la majorité de la collection Rockefeller de 40 0000-50 0000 fragments (moins environ 25 fragments qui étaient hébergés à Amman et qui sont restés là-bas à ce jour) sont devenus la propriété de l’état d’Israël. Depuis 1993, ils ont été méticuleusement documentés, recherchés et conservés par l’Autorité des Antiquités israéliennes de Jérusalem. Aucun de ces fragments ne serait soupçonné d’être faux, dit Davis.
Depuis 2002, il y a eu une augmentation relative des ventes privées de fragments des rouleaux de la mer Morte, en partie par le biais du fils de Kando, William, qui a repris le commerce familial après le décès de son père en 1993. Au cours des deux dernières décennies, William Kando a lentement diffusé sur le marché privé des fragments qui étaient enfermés dans une chambre forte en Suisse jusqu’à ce que l’augmentation des prix justifie leur mise en vente.
Les fragments détenus par William Kando ne sont pas les seuls. « J’ai tendance à penser que le marché a changé à un moment dans le milieu et à la fin des années 1990, lorsque tous ces fragments très étranges ont soudainement commencé à apparaître, sans aucune trace de ce que pouvait être leur provenance, » dit Davis.
Dans une conversation avec les labos en charge de l’étude des rouleaux de la mer Morte à Jérusalem, le principal centre de recherche et de conservation dans le domaine au sein de l’Autorité des antiquités, Shor indique que le commerce d’antiquités a été historiquement profitable parmi quelques familles liées de manière forte aux Bédouins, notamment à la famille Kando. Le commerce continu des fragments, authentiques ou non, dit Shor, est relatif au fait que contrairement à la majorité des pays avoisinants, Israël permet encore les opérations sur les antiquités.
« A notre grand chagrin, la Knesset n’a pas encore modifié la loi » qui permet la vente légale d’objets fabriqués découverts avant 1978. Ce vide juridique, selon la majorité des experts israéliens, devrait être comblé et tout le commerce de ces antiquités devrait cesser.
Alors que la valeur de ces objets privés augmente, il y a une prolifération de vendeurs dont les objets peuvent être authentiques ou non, explique Shor. « Le marché peut être contaminé par des faux », déclare-t-elle avec diplomatie. « On a le sentiment que tout n’est pas authentique ».
Les principaux collectionneurs privés
Étant donné que de plus en plus de preuves indiquent qu’il y a eu une grande augmentation de contrefaçons sur le marché, les achats récents effectués par les collectionneurs privés sont examinés de près. Le plus important d’entre eux est la société Hobby Lobby, une chaîne d’art et de produits artisanaux qui sponsorise le Musée de la Bible qui ouvrira bientôt à Washington.
Entre 2009 et 2014, Steve Green, le propriétaire de Hobby Lobby, a acheté jusqu’à 16 fragments au nom de l’entreprise. Ils ont été donnés pour une exposition au musée, ainsi que des milliers d’autres objets bibliques. Hobby Lobby a récemment fait les unes des journaux pour avoir « involontairement » été complice de la sortie en contrebande de quelque 5 500 artefacts anciens, dont environ 1 000 bulles d’argile, hors d’Irak par l’intermédiaire d’une équipe internationale de concessionnaires. Huit Israéliens ont été arrêtés fin juillet dans le cadre de l’enquête internationale et la société a payé une amende fédérale de 3 millions de dollars et a confisqué des milliers d’artefacts.
Green a expliqué dans une déclaration que la société avait coopéré avec le gouvernement des États-Unis et « aurait dû exercer plus de contrôle et aurait dû bien s’interroger sur la façon dont les acquisitions ont été traitées ». Peut-être pourrait-on en dire autant pour ses achats douteux de fragments des rouleaux de la mer Morte.
De manière louable, le Musée de la Bible et quelques autres collections privées, y compris la collection Schøyen basée à Londres et Oslo, soutiennent la recherche d’authentification.
Bien que les résultats préliminaires aient été publiés dans des forums universitaires tels que les articles de Brill, plus de recherches sont nécessaires, a déclaré le Dr Martin Schøyen, qui a hérité de la collection Schøyen en 1962 de son père M.O. Schøyen. A l’époque, la collection rassemblait quelque 1 000 volumes de livres de littérature et d’histoire norvégiennes et internationales, d’histoire, de voyages, de sciences et d’antiquités. Maintenant, la collection regroupe plus de 20 000 articles, car Martin Schøyen a ajouté un certain nombre de pièces anciennes et d’antiquités, ainsi que des livres imprimés antérieurs et des manuscrits importants, y compris des fragments des rouleaux de la mer Morte.
Schøyen est convaincu que la plupart des fragments de la mer Morte dans les principales collections privées sont faux. A sa grande consternation, il pense que près d’un fragment sur six de sa propre collection tombe dans cette catégorie.
« Il est trop tôt dans le processus pour connaître la vérité sur l’authenticité de quelque 15 % des fragments dans ma collection et presque tous les fragments dans trois autres collections universitaires américaines, et tous les fragments dans la collection du musée de la Bible, et pour révéler le nom des experts DSS Scholar qui ont participé éventuellement à la falsification des textes, et qu’ils fassent une déclaration à ce stade », a écrit Schøyen au Times of Israel dans un courrier électronique soigneusement rédigé.
En attendant, Schøyen et le Musée de la Bible ont soutenu la recherche d’une cohorte multi-disciplinaire de jeunes chercheurs qui souhaitent mener une authentification. Ce n’est pas trop tôt, estiment les experts, puisque la recherche internationale tirée de ces fragments problématiques s’est infiltrée dans la lecture de la Bible aujourd’hui.
Une toile enchevêtrée a été tissée
Initialement, aucun drapeau rouge n’a été levé lors de l’apparition de « nouveaux » fragments sur le marché dans les années 1990. Au contraire, ils ont été accueillis avec un sentiment d’enthousiasme parmi les experts « assoiffés » après un vide de plusieurs décennies.
Une équipe composée d’un mari et d’une femme, l’archéologue/historien Hanan et l’épigraphe Esther Eshel ont été parmi ceux qui ont publié des articles au sujet des nouvelles découvertes et que les acheteurs ont contacté pour vérifier les pièces.
En échangeant avec le Times of Israel, Esther, désormais veuve, a déclaré qu’à l’époque, il n’y avait simplement pas « l’option de la falsification » en ce qui concernait les fragments du rouleau de la mer Morte.
Dans une conversation, Davis a fait écho à ce sentiment : « Jusqu’à tout récemment, en ce qui concerne le DSS, il y avait une vieille croyance répandue et selon laquelle notre discipline était sans artifice, que tout ce que nous avions était vrai et l’une des raisons de cela était qu’il y a une énorme confiance dans l’intégrité de la famille Kando ».
Les choses ont changé, a déclaré Eshel, aujourd’hui professeure à Bar-Ilan, lorsque « le marché a commencé à devenir fou avec des gens payant jusqu’à 800 000 $ pour de petits fragments ». Elle a ajouté : « S’il y a vraiment de la contrefaçon, cela vaut la peine d’en faire ».
Dans les années 1990 et 2000, les Eshel étaient à l’avant-garde de la bourse de DSS et, en travaillant sur des photographies, ont publié leurs résultats à un rythme rapide. Parmi leurs publications, plusieurs des pièces ont été vendues dans le boom du marché post-2002.
« Pratiquement toutes ces identifications ont été renversées dans des études ultérieures et presque tous les fragments sont soupçonnés d’être des faux », a déclaré Davis lors d’une conférence cet été.
En même temps, Davis attribue l’érudition problématique du couple Eshel à « une grande passion pour la découverte », « menée dans l’excitation du moment ». Il a déclaré au Times of Israel : « Je ne peux imaginer que l’un d’eux ait eu le profil psychologique ou suffisamment peu de scrupules pour s’être impliqué dans cette forme de falsification de l’histoire ».
Lors d’une conversation téléphonique, Eshel a fermement déclaré que « nous pensions qu’ils avaient l’air correct… Rien d’inhabituel ne nous avait frappé mais tout était si petit. J’ai fait de mon mieux avec ce que nous avions ».
Eshel s’est dit être toujours pas convaincue que tous les fragments douteux seraient des faux, mais elle n’a pas revu les morceaux concernés. Aujourd’hui à la tête du Centre épigraphique d’histoire juive à l’université Bar-Ilan, elle a tiré les leçons de ses erreurs et décidé d’avancer.
« Je préfère publier des travaux qui proviennent de fouilles archéologiques. Lorsque des pièces viennent du marché, il y a des problèmes », explique-t-elle.
Eléments de contrefaçon
Il y a plusieurs théories parmi les spécialistes sur les auteurs de ces contrefaçons.
« Il y a assez de gens un peu formés en hébreu, avec une expertise acquise à travers un programme diplômant ou quelque chose du genre dont ils peuvent s’inspirer pour réaliser ça », dit Davis. « J’ai tendance à penser que les faussaires sont probablement d’anciens étudiants diplômés, ou des aspirants au doctorat qui se sont trouvés dans l’incapacité d’avoir un emploi dans ce climat de travail draconien », dit-il en riant.
Mais ce qui est clair, c’est que ce qui a pu augmenter le statut – et la valeur – de ces fragments a été le sceau d’approbation apporté par les spécialistes, qui « créent l’histoire et attestent de l’ascendance vague dont ces fragments peuvent se revendiquer », dit Justnes. Sans une authentification de plus en plus mise en doute par les spécialistes, il aurait été bien plus difficile de créer un marché pour ces fragments, dit-il.
Et pourtant, selon Justnes, la majorité de ces contrefaçons « sont plutôt primitives et semblent avoir été réalisées par des amateurs.”
Davis partage le même point de vue. « L’une des choses frappantes, c’est que les fragments dont nous avons suggéré qu’ils sont les plus suspects ne sont pas très bien faits… Juste assez pour être vendus », note Davis. Il remarque que dans certains cas, les lettres sont bizarrement formées ou peu droites, ou qu’elles semblent se conformer à l’angle des fragments et autres « caractéristiques qui semblent étranges ».
Une telle caractéristique « étrange » est visible sur un fragment attribué au prophète Néhémie, qui se trouve au musée de la Bible.
En particulier, le mot hébreu ‘vaashuv’ est écrit avec un léger encart supplémentaire après la lettre finale, qui ressemble à une petite lettre grecque alpha qui est « étrangement similaire », selon Davis, à une notation diacritique qui avait été imprimée dans l’édition 1937 trouvée à la Biblia Hebraica.
« Nous ne pouvons pas connaître la source de cette erreur apparente sur MOTB.Scr.003175 [le verset de Néhémie] mais l’absence de toute connaissance fiable sur la provenance de ce fragment devrait nous donner à réfléchir, spécialement en constatant sa relation possible avec une édition qui a été imprimée à l’époque moderne », écrit Davis.
Une trouvaille encore plus bizarre a été mise à jour grâce au scannage d’un fragment appartenant à la collection Schøyen réalisé avec un agrandissement extrêmement élevé : des cristaux de sel de table moderne ont été découverts à la surface du fragment – et l’encre provenant des versets imprimés apparaissent en haut des grains.
« Les cristaux sont de taille uniforme. Ils sont dispersés d’une manière qui correspond à l’accumulation propre au sel de table commun et ils sont saupoudrés uniformément sur l’objet… L’inspection avec un fort agrandissement confirme que le cristal ne provient pas du matériel végétal car il ne vient pas rompre les fibres de ce matériel, mais qu’il s’est plutôt installé à la surface de l’encre qui a été retouchée avec une encre brillante », selon un article récent basé sur des recherches multidisciplinaires financé par la collection Schøyen.
« Les écrits et les dépôts de sel doivent avoir eu lieu à l’époque moderne », résume l’article.
Un autre point de contestation parmi ceux qui pensent que ces fragments sont des faux est que, même s’il est impossible de le savoir dans la mesure où il n’y a aucune indication de provenance, il est probable que les fragments post-2002 viennent de périodes de temps disparates et de lieux multiples.
Toutefois, selon l’analyse paléographique publiée dans la recherche universitaire consacrée aux fragments du Musée de la bible qui a été réalisée par le docteur Ada Yardeni, un paléographe hébreu célèbre, il existe des similarités remarquables entre eux.
Ceux qui soulignent l’existence de rouleaux de la mer Morte contrefaits évoquent l’analyse de Yardeni qui attestait que les nombreux fragments individuels post-2002 étaient tous écrits avec « des stylos en roseaux avec une plume usée ».
Cette similarité est à peine concluante : Yardeni a précédemment établi que de nombreux fragments inconstestés proviennent de rouleaux qui ont été écrits par le même scribe. En 2007, la grande dame de la paléographie israélienne avait conclu que plus de 50 manuscrits des rouleaux de la mer Morte avaient été écrits par le même scribe. En plus, elle a identifié l’écriture à la main d’un seul scribe sur les rouleaux de Qumran découverts dans six grottes de la mer Morte, et même sur des rouleaux qui avaient été trouvés dans la forteresse de Masada, située plus loin au bord de la mer.
Soulignant les complexités de l’authentification, Yardeni indique au Times of Israel qu’on lui a récemment demandé de revoir certains fragments du Musée de la bible, à la lumière, peut-être, des recherches effectuées par Davis et par d’autres, et qu’elle a « donné encore une fois un certificat d’authentification ».
Malgré les convictions des plus jeunes spécialistes qui estiment qu’un grand nombre d’entre eux sont des faux, « je pense encore que les fragments sont authentiques », a dit Yardeni au Times of Israel.
Si les fragments des rouleaux s’avèrent finalement être des faux, au-delà du délit financier et de l’embarras des collectionneurs, les conséquences universitaires seront significatives parce que leurs contenus se sont bien implantés parmi les spécialistes, ce qui fausse les analyses statistiques et impacte la manière dont la Bible est lue aujourd’hui.
Dans une conférence récente, Davis a averti la communauté universitaire qu’elle a l’obligation de se pencher profondément sur les nouveaux manuscrits qui arrivent sur le marché.
Le « cas édifiant » du rôle du couple Eshel dans la vérification des fragments douteux, dit Davis, « doit nous rendre tous d’autant plus conscients de notre responsabilité en tant que spécialistes. L’histoire manuscrite des textes bibliques et leurs affects culturels et sociaux sont trop importants pour que les universitaires soient autre chose qu’intentionnellement sceptiques face à des jugements de provenance qui restent aussi troubles ».
Ce que Davis appelle sans hésitation des fragments contrefaits ont déjà influencé les décisions « sur la forme et le statut des écrits juifs à l’époque romaine ».
Leur inclusion a spectaculairement augmenté le nombre de copies de textes de Néhémie, de Tobit et de Hénoch entre autres et a offert de fausses perspectives sur ces mêmes textes, poursuit-il.
Davis identifie certains des défis que devront relever les universitaires comme les collectionneurs : « Le problème, c’est que beaucoup de ces collectionneurs privés ont acquis certaines antiquités – ou de nombreuses – de manière illégale ou en sous-main. C’est une gageure d’attendre des propriétaires, qui ont tout à perdre, qu’ils divulguent les origines de leurs acquisitions mais je pense que les pressions actuelles pousseront les spécialistes à au moins se montrer plus prudents dans leurs enquêtes de provenance et dans leurs publications ».
De nouveaux efforts vers l’authentification
Alors que le Musée de la bible achève ses dernières préparations en amont de son inauguration au mois de novembre, il semble bien décidé à prendre en compte la nature douteuse de ses fragments des rouleaux de la mer Morte.
Le docteur Michael Holmes, un spécialiste éminent des textes du nouveau testament et éditeur d’écrits chrétiens, est le directeur de l’Initiative des spécialistes lancée par le musée, un forum qui parraine des étudiants lors de l’étude des fragments. Alors même que les recherches continuent sur les 16 pièces du musée, Holmes indique qu’en raison de leur achat sur le marché sans provenance spécifiée, il ne serait pas étonné si certains des fragments s’avéraient être des faux.
L’initiative de Holmes est venue soutenir le travail de Davis, et c’est en tant qu’éditeur des « Fragments des rouleaux de la mer Morte au musée », une édition faisant autorité qui décrivait 13 des possessions du musée, que Davis a, en 2016, prévenu ce dernier de la possibilité de contrefaçons. Ses découvertes paléographiques troublantes ont précipité le lancement de l’Initiative des spécialistes pour continuer les recherches sur l’authenticité des fragments, explique Holmes.
Au cours de l’automne 2016, l’Initiative a également invité le professeur Ira Rabin du BAM (Bundesanstalt für Materialforschung und-prüfung) à se pencher sur les fragments en utilisant les méthodes de haute-technologie créatives de l’institut allemand pour déterminer leurs caractéristiques physiques. Holmes explique que Rabin a examiné cinq fragments dans son laboratoire du mois d’avril au mois de juin dernier et qu’elle est en train d’écrire ses conclusions. L’autre fragment sera examiné en 2018, a-t-il ajouté.
« Pour résumer, le docteur Davis fait des recherches sur la paléographie (écriture à la main) des fragments tandis que le docteur Rabin mène des analyses matérielles multibandes des fragments pour déterminer leurs caractéristiques physiques. Les résultats combinés de ces deux approches aideront à déterminer si les fragments MOTB ne sont pas authentiques », dit Holmes.
Aujourd’hui, le laboratoire des rouleaux de la mer Morte de l’Autorité des antiquités israéliennes (AAI) collabore également à ces recherches pour aider à authentifier les morceaux de parchemins – à l’aide de test ADN ou d’analyses de l’encre.
Ce marché de la contrefaçon continuera certainement tant que la perspective d’acquérir un morceau de la parole de Dieu continuera à tenter la communauté chrétienne évangélique qui n’a pas toujours les moyens universitaires de faire vérifier ses achats au prix fort.
Alors que la riche famille Green et les employés du musée de la Bible semblent être capables d’adopter une approche philosophique face au risque de contrefaçon, il y a d’autres collectionneurs et centre évangéliques chrétiens moins importants -notamment des universités chrétiennes aux Etats-Unis – qui vendraient tout ce qu’ils possèdent pour acheter ce type d’écrits anciens.
« Les vendeurs de ces fragments ont pris pour proie la foi charitable des Chrétiens évangéliques qui se sentent obligés d’acquérir un fragment de ‘la bible lue par Jésus », dit-il.
« C’est plus qu’une certaine forme de manipulation », ajoute Davis. Vu le degré d’engagement sérieux « des évangéliques envers cette notion de caractère sacré des écritures », met-il en garde, « il y a un danger d’infliger une blessure psychologique collective ».
De manière intéressante, pour Holmes, du musée de la Bible, la controverse vient s’ajoute en fait au débat plus général qui entoure le sujet des rouleaux de la mer Morte.
« J’ai été informé par des collègues qui travaillaient sur les objets présentés au musée que quelques-uns des fragments dont l’authenticité est mise en doute seront probablement montrés au public lorsqu’il ouvrira ses portes au mois de novembre », a écrit Holmes dans un courriel de suivi. « Dans tous les cas, les brochures sur l’exposition et le guide audio identifieront et évoqueront brièvement la question de l’authenticité ».