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Des « lignes rouges » sans cesse changeantes en Arabie saoudite

Nombreux sont ceux qui ressentent les effets de la répression arbitraire, le pays passant d'une religion austère à un hyper-nationalisme favorisant la vénération des dirigeants

Illustration : un policier tient une paire de menottes. (Yossi Zamir/Flash90)
Illustration : un policier tient une paire de menottes. (Yossi Zamir/Flash90)

Deux Saoudiens expriment publiquement leurs opinions : l’un est arrêté, l’autre est libéré au nom de la liberté d’expression. De telles contradictions entretiennent la confusion sur les « lignes rouges » qui ne cessent de bouger dans le royaume.

Sexe, religion et politique étaient autrefois tabous dans cette monarchie absolue.

Mais désormais entre le développement d’un hyper-nationalisme et des réformes sociétales rapides dans ce pays pétrolier ultra-conservateur, les réponses incohérentes de l’Etat à de présumées transgressions brouillent la compréhension des « lignes rouges » par les Saoudiens.

Ce mois-ci, un tribunal de Djeddah (ouest) a acquitté un « influenceur » du réseau social Snapchat, accusé d’avoir insulté des compatriotes, affirmant que chaque citoyen avait le droit d’exprimer son opinion, ont rapporté des médias locaux sans donner plus de détails.

Le jugement a été applaudi par certains mais a rendu d’autres perplexes alors qu’une vague de répression frappait des opposants et des militants des droits humains.

« Liberté d’expression garantie », a affirmé en gros titre le quotidien progouvernemental Okaz.

Cette liberté n’a pas été reconnue pour l’universitaire Anas al-Mazrou, arrêté le mois dernier après avoir exprimé sa solidarité avec des militantes emprisonnées, lors d’une table ronde au salon du livre de Ryad.

Le ministère des Médias n’a pas répondu à une demande d’explication sur l’incohérence entre les deux cas.

Des contradictions similaires existent dans d’autres domaines.

En février, un comédien a été convoqué chez le procureur et contraint de s’excuser pour s’être moqué de la police religieuse, pourtant marginalisée aujourd’hui.

Un café de Djeddah a été récemment fermé pour ne pas avoir appliqué la ségrégation entre les sexes, ce qui a suscité l’étonnement d’autres propriétaires de cafés où, ces dernières années, femmes et hommes ont été autorisés à se mélanger.

L’an dernier, les autorités ont arrêté un employé d’hôtel qui apparaissait dans ce qu’elles ont décrit comme une vidéo « offensante » en train de déjeuner avec une collègue de travail.

« Bien ou mal » ?

« Le système est plein de contradictions (…) et nous ne savons pas ce qui est bien et ce qui est mal », a souligné Noah al-Ghamdi, un ingénieur.

« Vous pouvez faire quelque chose de spontané et un fonctionnaire n’appréciera pas et décidera de vous écraser », a-t-il écrit sur Twitter.

Le caricaturiste Jabertoon a récemment résumé ce sentiment dans un dessin représentant un citoyen perplexe, coincé par des lignes rouges en zigzag et sermonné par un fonctionnaire lui signalant une infraction.

Ces incohérences ont soulevé des questions sur ce qui est acceptable dans le contexte de la grande campagne du prince héritier Mohammed ben Salmane qui, selon un fonctionnaire, vise à bousculer et à moderniser son royaume, longtemps sous l’emprise d’une version rigoriste de l’islam.

Une Saoudienne dans un salon automobile pour femmes à Jeddah, en Arabie Saoudite, le 11 janvier 2018 (Crédit : AFP / Amer Hilabi)

Cette campagne, populaire auprès des jeunes, a mis fin à des décennies d’interdiction de conduire pour les femmes, d’interdiction des salles de cinéma et a permis pour la première fois l’organisation de concerts mixtes.

Jusqu’ici, elle n’a pas provoqué de réaction négative majeure, mais la réforme d’une société imprégnée de conservatisme est risquée en temps de tensions économiques croissantes mais aussi parce que les jeunes pourraient en attendre davantage, mettent en garde des responsables.

Les incohérences soulignent « une stratégie combinée du pousser-tirer », alors que le royaume tente de se réformer sans soubresauts, a déclaré Ali Shihabi, fondateur de l’Arabia Foundation, une fondation proche du pouvoir à Ryad.

Souvent, l’attitude des autorités dépend de la réaction sur les réseaux sociaux. Si un acte devient viral et agite l’opinion publique, il y a un risque de répression.

« Vous continuez à repousser les limites, tout en étant très attentif aux réactions du public et tout en réagissant en conséquence », a déclaré à l’AFP M. Shihabi.

« Zone grise »

Toutefois, les ambiguïtés entretenues par les autorités pourraient s’avérer insoutenables à long terme.

« Le gouvernement s’est donné beaucoup de mal pour faire avancer son projet de modernisation sociale », ont déclaré les chercheuses Eman Alhussein et Sara Almohamadi dans un rapport.

Le Prince Mohammed ben Salmane Al Saud, prince héritier d’Arabie Saoudite, assiste à une réunion des Nations unies à New York, le 27 mars 2018 (Crédit : Bryan R. Smith / AFP)

« Cependant, sans fixer de paramètres clairs pour ce qui est acceptable, la zone grise est susceptible de s’étendre davantage et de mettre en péril la réforme sociale », ont-elles estimé.

Nombreux sont ceux qui ressentent déjà les effets de la répression arbitraire alors que le pays semble passer d’une religion austère à un hypernationalisme qui favorise la vénération des dirigeants.

Lors d’un débat télévisé l’année dernière, Abdallah al-Fawzan, membre du Conseil de la Choura (assemblée consultative), a déclaré que les Saoudiens avaient le droit de qualifier quelqu’un de « traître » si cette personne ne défend pas la nation ou choisit de garder le silence.

Le règne de la peur et de la confusion sur les « lignes rouges » a incité de nombreux libéraux à fermer leurs comptes Twitter.

Et comme certains militants emprisonnés sont accusés d’avoir contacté des médias internationaux, les Saoudiens sont réticents quand il s’agit de parler à des journalistes étrangers.

« Il pourrait y avoir un retour de flamme », a dit à l’AFP Kristin Diwan du centre de réflexion Arab Gulf States Institute à Washington.

Elle ajoute : « Il y a un danger à éveiller des soupçons déjà latents à l’égard des étrangers au moment où le pays cherche à s’ouvrir à plus d’investissements étrangers et au tourisme ».

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