Des Palestiniens déplacés affirment que Tsahal et la police n’ont pas respecté le jugement les autorisant à rentrer chez eux
Les résidents de Khirbet Zanuta ont fait savoir à la Haute Cour que les autorités n'avaient pas respecté son jugement qui ordonnait de faciliter leur retour ; des juristes avertissent que ces déplacements continus pourraient constituer des crimes de guerre
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Les habitants du village palestinien de Khirbet Zanuta, en Cisjordanie, ont déposé une requête auprès de la Haute Cour de justice afin d’obtenir une ordonnance pour « outrage au tribunal » à l’encontre de l’armée israélienne, de la police israélienne et de l’Administration civile, une instance placée sous l’autorité du ministère de la Défense. Ils accusent ces dernières d’avoir été à l’origine de ce qu’ils décrivent comme étant la deuxième « expulsion » de leurs habitations en l’espace d’un an.
Les habitants de Khirbet Zanuta avaient fui leur village à la fin du mois d’octobre 2023, suite aux attaques persistantes menées à leur encontre et prenant pour cible leurs infrastructures, des attaques commises par des Juifs extrémistes. Ils étaient retournés chez eux en date du 21 août – la Haute Cour avait alors ordonné aux soldats israéliens et aux policiers de permettre leur retour et de les protéger face aux violences des partisans du mouvement pro-implantation.
Mais ils affirment que de nouvelles attaques et le refus des services de sécurité de protéger les habitants ont entraîné le nouveau dépeuplement du village – dénonçant, de plus, certaines initiatives qui ont été prises par les services de sécurité pour empêcher les résidents de faire des travaux à Khirbet Zanuta, des travaux qui visaient à rendre le village à nouveau habitable.
La Haute Cour a donné aux mis en cause jusqu’au 29 septembre pour répondre à cette requête déposée par les Palestiniens et par l’organisation qui les représente.
Dans cette requête, les avocats du village ont glissé des photos de résidents de l’avant-poste illégal voisin de la Ferme de Meitarim, des images qui les montrent en train de filmer les villageois à l’intérieur de leurs maisons et en train d’importuner leurs moutons.
Des photos de soldats confisquant des bâches utilisées par les villageois pour couvrir leurs maisons détruites et enlevant les clôtures érigées autour du village figurent aussi dans le document – des clichés qui démontrent, selon les avocats des Palestiniens, que les services de sécurité ne manquent pas d’effectifs dans la région et qu’ils sont en totale capacité de se conformer à l’ordonnance du tribunal et de protéger les villageois.
La requête est également accompagnée d’un document de synthèse juridique qui a été rédigé par des spécialistes israéliens de renommée internationale, qui font savoir au tribunal que la conduite des militaires, des policiers et de l’Administration civile s’apparente à un transfert forcé des habitants de Khirbet Zanuta, ce qui est illégal au regard du droit international et ce qui pourrait par ailleurs constituer un crime de guerre au regard de la Quatrième Convention de Genève.
Les habitants de Khirbet Zanuta avaient fui le village à la fin du mois d’octobre dans un contexte de renforcement massif des violences des partisans du mouvement pro-implantation à l’encontre des Palestiniens de la zone C de la Cisjordanie – où Israël a le contrôle militaire et civil – et dans le sillage du pogrom qui avait été commis par le Hamas, le 7 octobre. Ces attaques avaient entraîné le déplacement de plus d’un millier de Palestiniens issus des communautés rurales de bergers, en particulier dans les collines du sud d’Hébron et dans la vallée du Jourdain.
En l’absence des habitants, de nombreuses maisons en pierre de Zanuta avaient été détruites ou endommagées et une école construite par l’Union européenne dans le village avait été détruite au bulldozer. Les autorités chargées de faire respecter la loi n’étaient pas parvenues à identifier les auteurs de ces destructions.
Le 29 juillet, la Haute Cour avait ordonné à Tsahal et à la police de permettre aux habitants de rentrer chez eux, certains résidents regagnant Khirbet Zanuta dès le 21 août. Mais moins de trois semaines plus tard, l’Administration civile avait informé les habitants qu’elle ferait appliquer des ordonnances de démolition de leurs habitations qui avaient été émises en 2007 s’ils n’acceptaient pas de déménager de leur propre gré.
En raison des attaques répétées des partisans du mouvement pro-implantation et de ces menaces de démolition, les derniers villageois avaient quitté Zanuta le 12 septembre.
Les structures en pierre avaient été construites à Zanuta par les Palestiniens dans les années 1980, alors que les grottes dans lesquelles ils vivaient jusque-là menaçaient de s’effondrer. Ces habitations sont toutefois illégales, le village n’ayant pas bénéficié d’un plan directeur de zonage ou de permis de construire – des permis qui sont en général extrêmement difficiles à obtenir pour les Palestiniens vivant dans la zone C de la Cisjordanie.
Après des années de procédure devant la Haute Cour, l’État avait accepté, en 2017, de ne pas faire appliquer les ordres de démolition pendant qu’il élaborait de nouveaux critères de planification.
Dans sa demande d’ordonnance pour outrage au tribunal déposée le 18 septembre, l’organisation d’aide juridique Haqel, qui représente les habitants de Khirbet Zanuta, affirme que ce qu’elle décrit comme le « deuxième transfert » des résidents du village a été effectué « délibérément et avec préméditation » par les autorités ainsi que par environ huit résidents d’avant-poste locaux.
« Alors que les habitants de Zanuta tentaient de revenir chez eux à la suite de la décision prise par la Haute Cour – des tentatives qui ont duré des semaines entières – ces derniers ont été persécutés sans pitié par les partisans du mouvement pro-implantation et par les accusés et ils ont finalement été expulsés pour la deuxième fois », ont écrit les juristes de Hagel.
L’organisation a déclaré que des extrémistes juifs armés étaient entrés sur les terres de Khirbet Zanuta « et ils n’ont pas cessé de menacer les résidents, de les attaquer
; de blesser ou de tuer leurs moutons » depuis la mi-août.
La requête déposée par Haqel affirme également que la police a « totalement refusé » toutes les demandes des villageois, qui réclamaient l’expulsion des partisans du mouvement pro-implantation du village et ce malgré l’ordre donné par la Haute Cour à la police et à Tsahal de protéger au mieux les résidents.
A la place, les forces de l’ordre et les soldats ont déclaré aux habitants que les extrémistes juifs avaient le droit d’être là – cela avait notamment été le cas à l’occasion d’un incident qui avait été filmé.
Les demandes écrites d’aide, qui avaient été adressées à la police, ont été ignorées, a confié au Times of Israel Quamar Mishirqi-Assad, avocat au sein de l’organisation Haqel dont il est également le co-directeur.
Plus de 100 incidents de harcèlement avaient été enregistrés au cours des trois semaines qui s’étaient écoulées entre le retour des résidents dans le village et leur second départ, « en temps réel et après coup », mais la police n’avait répondu à aucun d’entre eux, a accusé Haqel.
L’organisation a également souligné que l’Administration civile, une agence du ministère de la Défense qui est en charge des affaires civiles en Cisjordanie, avait refusé à plusieurs reprises d’autoriser les habitants du village à réparer les maisons qui avaient été endommagées lors des attaques des résidents d’implantation, après leur départ du village, au mois d’octobre de l’année dernière.
L’armée avait notamment confisqué les bâches que les villageois avaient étendues sur leurs maisons pour comme toit de fortune. Les habitants avaient en effet retiré les toits métalliques d’origine des habitations lorsqu’ils étaient partis.
L’armée avait également enlevé les filets que les habitants utilisaient pour avoir un peu d’ombre.
Haqel a estimé que de tels agissements venaient violer l’engagement pris par l’armée et par la police auprès de la Haute-Cour, lorsque cette dernière avait jugé que les habitants étaient en droit de revenir – un jugement qui n’avait plus aucune utilité si, par ailleurs, Khirbet Zanuta ne pouvait plus être un village considéré comme habitable suite aux dégâts causés en l’absence des résidents.
L’organisation a ajouté que la notification donnée par l’Administration civile – qui avait fait savoir qu’elle ferait appliquer les ordres de démolition si les villageois n’acceptaient pas de partir – était la démonstration du fait que l’État a cherché à « achever le processus d’expulsion amorcé par les partisans du mouvement pro-implantation », et un élément laissant penser que les accusés n’avaient jamais eu l’intention de se conformer à l’ordonnance du tribunal.
Le positionnement adopté par ces spécialistes israéliens du droit, qui affirment que les actions de l’État constituent un transfert forcé au regard du droit international, a été joint à la requête. Ce document a été rédigé par cinq universitaires, dont les professeurs Eyal Benvenisti et Yuval Shani.
Benvenisti était membre de l’équipe juridique qui a défendu Israël contre les accusations de génocide devant la Cour internationale de justice de La Haye au mois de janvier dernier, tandis que Shani est l’auteur de nombreux ouvrages sur le droit international et il a été doyen de la faculté de droit de l’Université hébraïque.
« Le transfert forcé n’est pas seulement un transfert où la force physique est utilisée. Créer des conditions qui obligent les gens à quitter leur lieu de résidence relève également de la définition du ‘transfert forcé’, » font remarquer les professeurs dans la requête.
« Dans le cas présent, après avoir respecté leur engagement pris à l’égard de la Cour de permettre aux habitants de Zanuta de retourner dans leur village, les autorités, par leurs actions comme par leurs omissions, ont créé des conditions qui ont forcé les habitants à quitter le village », poursuivent-ils, affirmant que ces faits « contreviennent à l’interdiction du transfert forcé » qui figure dans l’article 49 de la Quatrième Convention de Genève.
Ils ajoutent éprouver « une grave inquiétude » – une inquiétude suscitée par la possibilité que ce « transfert forcé » puisse constituer également un crime de guerre, selon la définition présentée dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ils ajoutent que si la Haute Cour devait refuser de prendre des mesures contre ce transfert, la CPI pourrait elle-même décider de poursuivre les responsables.