Israël en guerre - Jour 375

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Des prières , mais pas que… Mobilisation inédite des haredim dans l’effort de guerre

Quelque 2 000 soldats volontaires sont à l'avant-garde d'une initiative qui, le souhaitent certains, changera durablement les relations entre celle minorité et le reste de la société

Pini Einhorn réconforte un enfant lors d'une shiva en Israël, en octobre 2023. (Avec l'aimable autorisation de Pini Einhorn)
Pini Einhorn réconforte un enfant lors d'une shiva en Israël, en octobre 2023. (Avec l'aimable autorisation de Pini Einhorn)

Depuis le début de la guerre, Pini Einhorn et Moishe Roth n’ont plus de travail.

Ces deux célèbres musiciens haredim, qui se produisent en duo, ont annulé tous leurs concerts alors que ce devait être pour eux l’une des périodes les plus chargées de l’année, juste après les fêtes du Nouvel An juif.

Einhorn et Roth ont commencé par apporter de la nourriture aux soldats et aux habitants du sud, comme bon nombre d’Israéliens. Mais le trop grand nombre de bénévoles a poussé le duo à chercher d’autres moyens d’être utile, explique Einhorn, 34 ans et père de quatre enfants.

Ils ont donc décidé de faire ce qu’ils savent faire de mieux, à savoir de la musique. En l’espace de quelques jours seulement, ils se sont rendus dans plus de 100 foyers endeuillés, pour apporter un peu de réconfort aux familles en proie au chagrin, durant la traditionnelle période de deuil de sept jours, la shiva. Les instruments de musique sont proscrits par la loi juive en période de deuil, aussi les deux hommes interprètent-ils des chants à la demande.

Ces activités relèvent d’une série d’initiatives sans précédents de la part des haredim, qui sont, pour l’essentiel, réfractaires au service militaire obligatoire, et qui ont cette fois décidé de contribuer à l’effort de guerre de diverses manières, à commencer par le fait de se porter volontaire et de prendre les armes.

Cet événement se produit à un moment qui est peut-être le niveau le plus bas jamais atteint par la relations entre Juifs laïcs et haredim en Israël, et certains pensent d’ores et déjà que ces témoignages inédits de solidarité auront des conséquences de long terme sur l’attitude des parties l’une avec l’autre.

Pini Einhorn, à droite, Moishe Roth, à gauche, et un bénévole d’Am Israel Chai à Jérusalem se préparent à apporter des jouets aux enfants des familles endeuillées, le 15 octobre 2023. (Avec l’aimable autorisation de Pini Einhorn)

« La population haredi se mobilise comme jamais », affirme Yitzhak Pindrus, député du parti ultra-orthodoxe Yahadout HaTorah. « Tout le monde fait quelque chose en plus des prières », confie-t-il au Times of Israël.

On estime à 2 000 au moins le nombre d’hommes haredim qui se sont portés volontaires pour servir dans les rangs de l’armée israélienne, dit Eliyahu Glantzenberg, 38 ans et militant de la communauté haredi de Petah Tikvah, près de Tel Aviv.

Professionnel de la haute technologie employé par l’agence de branding Freesbe, il a lancé une initiative avec celui qui fut un temps grand rabbin de l’armée de l’air israélienne, Moshe Raved, afin que les haredim puissent s’enrôler dans l’armée.

Samedi, le porte-parole de Tsahal, le contre-amiral Hagari, a déclaré que l’armée israélienne avait reçu plus de 2 000 demandes de haredim ces derniers jours. Ils vont à être recrutés à partir de lundi, a-t-il précisé.

Le service du porte-parole de l’armée israélienne a précisé au Times of Israël qu’une formation accélérée allait commencer sous peu, pour des centaines d’entre eux.

« L’idée est de combler les postes vacants : chauffeurs, programmeurs, cuisiniers. Partout où il y aura un besoin », explique Glantzenberg à propos du statut de ces nouvelles recrues.

La liste des volontaires s’allonge au fur et à mesure que des personnes du monde haredi font passer le mot dans les synagogues et sur les groupes WhatsApp, pour les haredim qui utilisent des smartphones.

Les femmes du milieu haredi et étudiants de yeshiva de moins de 26 ans sont généralement exemptés du service militaire grâce à un statu quo très controversé.

En 2017, la Cour Suprême a invalidé l’exemption légale et ordonné au gouvernement d’adopter une nouvelle loi sur la conscription. Le gouvernement a donc étendu le champ de la non-conscription et les politiciens haredim tentent depuis lors de faire adopter une loi définitive sur les exemptions.

Des centaines d’hommes juifs ultra-orthodoxes affrontent la police israélienne lors d’une manifestation à Jérusalem le 10 avril 2014, suite à l’interpellation d’un réfractaire haredi et plus globalement contre le projet de loi prévoyant l’enrôlement des ultra-orthodoxes dans l’armée israélienne. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

De nombreux haredim estiment que l’étude de la Torah suffit à protéger le peuple juif et même l’État, et que le fait de servir dans l’armée ne leur permettrait pas d’observer le mode de vie strict qui est le leur, sans parler du risque de perdre les membres les plus impressionnables de leur communauté. Les Juifs non-orthodoxes estiment qu’il s’agit, de la part de ce groupe qui refuse de s’intégrer au reste de la société dominante, d’une manœuvre pour échapper à la conscription.

Il est vrai que les autorités ne font rien, dans l’ensemble, pour aller chercher les haredim qui devraient légalement être enrôlés, ainsi qu’en a témoigné Amir Vadmani, chef du Département de la planification et de la recherche de la Direction de la main-d’œuvre de Tsahal, devant une commission de la Knesset en mai dernier.

« La réalité c’est que l’armée ne veut pas des haredim », affirme Glantzenberg. La guerre « pourrait changer les termes de l’équation : déjà, la guerre a pour conséquence que l’armée a besoin de plus de main-d’œuvre et en plus, elle fait que les haredim ont envie de servir leur pays ».

Israël a été changé à jamais, le 7 octobre dernier, lorsque le Hamas a tué environ 1 400 personnes suite à une intrusion brutale en Israël et en a kidnappé au moins 200 autres.

La guerre qui en résulte « change la vision des haredim vis-à-vis de l’armée et vice versa », assure Glantzenberg.

Yanki Farber, à gauche, et Gal Hirsch, général de brigade de réserve chargé des opérations pour obtenir la libération des otages israéliens de Gaza, le 28 janvier 2019 à Rosh Haayin, en Israël. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash 90)

Ce n’est pas la première fois qu’une guerre a cet effet. En 1991, alors que les Scuds irakiens pleuvaient sur Israël, de nombreuses familles ultra-orthodoxes ont accepté de faire entrer un peu du monde extérieur chez eux, pour la toute première fois, afin de recevoir les alertes et autres informations importantes.

« C’est à ce moment-là que de nombreuses familles haredim se sont dotées de radios », a écrit la semaine passée pour le Behadrei Haredim, site d’information haredi, le célèbre journaliste haredi Yanki Farber.

Les guerres qui ont suivi n’ont guère affecté la population haredi, mais cette fois, les massacres du Hamas « ont fait des victimes dans la communauté ultra-orthodoxe à Ofakim et à Sderot », a-t-il écrit. Par ailleurs, assure-t-il, l’opposition farouche aux projets de loi d’exemption totale des haredim du service militaire a fini par convaincre les politiciens haredim que leur objectif était voué à l’échec.

Un bénévole de la Hevra Kadisha nettoie le sang devant la maison de David et Rachel Edery à Ofakim, le 9 octobre 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Cette fois, l’ampleur des atrocités n’a pas épargné les communautés ultra-orthodoxes les plus insulaires – à l’instar de celles qui n’utilisent ni télévision ni Internet -, et ce du fait de l’action de Zaka, service d’urgence majoritairement haredi dont les bénévoles ont été parmi les premiers sur les lieux des massacres, ajoute Farber.

Au-delà des seuls premiers intervenants, dont le rôle a été souligné dans les médias, des centaines d’autres bénévoles de Zaka ont préparé les corps des victimes du terrorisme en vue de leurs funérailles.

« Je fais ça depuis toujours ou presque, mais ce que j’ai vu là va me hanter jusqu’à la fin de ma vie », a déclaré Reuven Reuven, bénévole âgé de 41 ans originaire de Motza Ilit, à propos du kibboutz Beeri, qui a donné lieu à l’un des pogroms les plus brutaux de l’attaque du 7 octobre.

Reuven Reuven, volontaire de l’organisation de première intervention ZAKA, sort du kibboutz Beeri, en Israël, le 11 octobre 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Certains haredim radicaux ont harcelé, et parfois même agressé ceux qui étaient décidés à rejoindre les rangs de l’armée, ce que les radicaux voient comme une action immorale.

Un extrémiste a été arrêté lundi, à Jérusalem, après avoir accosté un haredi en uniforme.

Mais la guerre achève de délégitimer la position des plus radicaux, analyse Glantzenberg.

« Tout le monde se rend compte maintenant que nous sommes dans le même bateau ».

De son côté, le député Pindrus n’est pas convaincu que la guerre apportera plus d’unité entre haredim, que beaucoup de laïcs considèrent comme des profiteurs arriérés, et laïcs, que beaucoup de haredim considèrent comme des païens impies qui vident la vie juive de ses fondements.

« J’aimerais pouvoir dire des choses positives sur l’espoir d’une plus grande fraternité », dit-il au Times of Israël. Mais cet événement énorme nous dépasse : son ampleur, sa durée et ses retombées nous sont complètement inconnues. Nous en sortirons peut-être plus unis. Nous en sortirons peut-être encore plus divisés. Tout dépendra de la volonté de Dieu et de nos choix. »

Le député Yahadout HaTorah Yitzhak Pindrus présidant une réunion de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, le 27 juin 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Mais les signes de changement semblent partout, comme dans ce discours enregistré par le rabbin Menachem Mendel Hager, l’un des principaux dirigeants de la dynastie hassidique Viznitz de Bnei Brak.

Pour s’adresser aux proches des quelque 200 Israéliens pris en otage et emmenés à Gaza, il a laissé de côté le yiddish, langue qu’il utilise pourtant dans la quasi-totalité de ses communications publiques, et leur a dit dans un hébreu fluide, avec un fort accent : « Nous sommes un seul peuple, le peuple d’Hachem », c’est-à-dire Dieu.

Les femmes issues de la communauté ultra-orthodoxe font également leur part. Michal Orzel, mère haredi de cinq enfants, est allée donner son sang dès qu’elle a entendu parler des massacres. « Nous n’avons jamais vu une telle attaque. Cela m’a énormément choquée : ma première réaction a été d’aller donner mon sang, et ce pour la première fois de ma vie. »

Ce don de sang a été le premier pas d’Orzel vers un engagement dans la guerre. Grâce à l’aide de son mari et d’autres femmes de sa communauté, qui s’occupent de ses enfants, elle passe maintenant ses journées à rendre visite aux familles des soldats blessés ou tués et des victimes du terrorisme.

« Je vais voir les familles pour savoir de quoi elles ont besoin », explique-t-elle. « Tout ce que je peux faire, je le fais. Si c’est quelque chose que je ne peux pas faire, alors j’utilise les contacts que j’ai au sein de ma communauté pour trouver une solution. »

Selon Orzel, il s’agit d’une « pratique courante » au sein des communautés haredim, dont les membres mettent leurs ressources en commun et gèrent des réseaux caritatifs pour aider ceux dont les revenus sont les plus faibles.

« Les communautés haredim disposent de ces infrastructures caritatives dont bien peu de laïcs avaient entendu parler avant la guerre », avance Orzel. « Aujourd’hui, j’ai l’impression que les laïcs israéliens découvrent cet aspect de notre communauté. »

La façade noircie de l’immeuble de Liora Touito à Netivot, en Israël, huit jours après qu’une roquette l’a frappé, tuant trois personnes le 7 octobre 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israël)

Einhorn et Roth, les musiciens, ont mis à profit leur statut de célébrité dans les milieux haredi pour collecter des millions de shekels afin d’acheter des cadeaux pour les enfants israéliens orphelins. Le duo a créé une organisation à but non lucratif, Am Israel Chai, et a distribué les jouets lors de dizaines durant la shiva, pour apporter un peu de réconfort aux personnes en deuil.

Pini Einhorn arrive à une shiva à Netivot, en Israël, le 15 octobre 2023. (Avec l’aimable autorisation de Pini Einhorn)

Mardi, Einhorn s’est rendu au domicile d’une famille qui a perdu trois de ses proches dans une attaque à la roquette. Il s’agissait pour lui de sa centième shiva depuis que les terroristes du Hamas ont lancé leur assaut meurtrier, le 7 octobre dernier. Raphaël Fahimi, son gendre Netanel Maskelchi et son fils Raphaël Meir sont morts dans l’explosion.

« Dans ces circonstances, il n’y a d’autre à dire si ce n’est : ‘Je vous aime’. Nous avons distribué des jouets pour les frères et sœurs, nous avons chanté des cantiques calmes avec les proches, avant de repartir, le cœur brisé », se souvient-il.

Raphaël Fahimi, à gauche, Netanel Maskelchi et Raphaël Meir Maskelchi. (Avec l’aimable autorisation de la famille Maskelchi)

Après cela, « j’étais chez moi, sur mon canapé, et j’ai senti que je ne pouvais pas aller à une autre shiva », confie Einhorn.

Malgré cette petite baisse d’énergie, il a poursuivi ses visites.

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