Des proches de Netanyahu liés au Qatar ? L’hypothèse que personne n’ose formuler
Entre l’émirat, les otages et « l’État profond », au lieu d’exiger la vérité, le Premier ministre joue sur tous les tableaux et s’emploie à discréditer les enquêteurs
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Rarement un commentaire télévisé aura si bien capté l’absurdité d’une crise politique.
Lundi soir, Yair Cherki, l’un des journalistes et commentateurs les plus brillants et les plus respectés d’Israël, résumait la situation en hébreu sur la chaîne N12 :
« Imaginez un ambassadeur étranger qui doit rendre compte à son pays de ce qui se passe en Israël. Le parti au pouvoir publie un communiqué accusant les services secrets de mener un coup d’État en émettant des mandats d’arrêt. Le matin, le Premier ministre annonce la nomination d’un nouveau chef des services secrets, mais y renonce à midi parce que sa base politique s’y oppose. Et toute cette saga – les soupçons visant des proches du Premier ministre, les soupçons selon lesquels, en pleine guerre entre Israël et le Hamas, ces mêmes personnes auraient agi au service d’un État finançant le Hamas ?!? – il faut traduire cela en anglais pour prendre du recul et réaliser à quel point c’est insensé. ».
De fait, les récents développements judiciaires, politiques et sécuritaires donnent le vertige, même selon les standards israéliens – qui, ces derniers temps, atteignent des sommets d’absurdité. Ces événements sont extrêmement préoccupants pour tous ceux qui restent attachés à Israël, quelles que soient les circonstances – a fortiori en temps de guerre.
Commençons par essayer d’y voir un peu plus clair.
Lundi matin, le Premier ministre Benjamin Netanyahu témoignait à Tel Aviv, à sa propre défense, dans le cadre de son interminable procès pénal.
Soudain, son avocat, Amit Hadad, a dû quitter précipitamment l’audience, abandonnant son client le plus important parce qu’un autre de ses clients, Jonatan Urich, conseiller principal de longue date du Premier ministre, venait d’être arrêté. Urich, s’avère-t-il, est sur le point d’être interrogé sous caution pour son rôle central présumé dans l’affaire dite du Qatargate. Dans cette affaire, Urich et un ou plusieurs autres collaborateurs de Netanyahu sont soupçonnés d’avoir reçu de l’argent du Qatar, ou de ses représentants, pour défendre les intérêts de l’émirat – et notamment au cours des 17 mois de négociations sur les otages et le cessez-le-feu – au détriment de l’autre médiateur régional clé, l’Égypte.
À peu près au même moment, la procureure générale Gali Baharav-Miara autorisait la police à interroger Netanyahu lui-même. Non pas comme suspect dans l’affaire, mais en tant que témoin central dont le témoignage est jugé essentiel. Et c’est ainsi que le convoi de Netanyahu a quitté Tel Aviv en urgence pour regagner le bureau du Premier ministre, afin de se préparer à l’arrivée des enquêteurs.
Après avoir défendu Urich, placé en détention provisoire pour des soupçons de contacts avec un agent étranger, blanchiment d’argent, corruption, fraude et abus de confiance, Me Hadad s’est rendu au bureau du Premier ministre pour défendre à nouveau Netanyahu : Corruption le matin, Qatargate l’après-midi.

Eli Feldstein, un ancien collaborateur de Netanyahu, a lui aussi été interrogé et placé en détention provisoire dans le cadre du Qatargate. Il est également inculpé dans une troisième affaire en cours : le vol et la fuite présumés de documents classifiés de Tsahal relatifs à la guerre de Gaza. Il aurait transmis à la presse, notamment au quotidien allemand Bild, un extrait de l’un de ces documents, dans une manœuvre présumée destinée à atténuer les critiques visant la gestion par Netanyahu des négociations sur les otages et le cessez-le-feu, après l’exécution de six otages par le Hamas à Gaza en août dernier.
Feldstein n’est pas défendu par Hadad, mais par Me Oded Savoray, qui affirme que la famille de son client redoute qu’il ne serve de bouc émissaire pour le bureau du Premier ministre dans l’affaire des fuites. En décembre, des sources politiques anonymes auraient exercé des pressions sur la famille pour remplacer Savoray, allant jusqu’à proposer de prendre en charge les frais de justice. Le nom de Hadad avait alors circulé comme possible successeur, mais Savoray reste à ce jour l’avocat du dossier.
L’omniprésent Me Hadad représente en revanche un autre collaborateur de Netanyahu, Yisrael (Srulik) Einhorn. La police souhaite l’interroger dans l’affaire des documents volés, mais Einhorn réside actuellement en Serbie et a, jusqu’à présent, choisi de ne pas rentrer en Israël. Il apparaît également lié à l’enquête sur le Qatargate : selon certaines informations, lui et Urich auraient mené ensemble, l’an dernier, une campagne de relations publiques en faveur du Qatar, visant à améliorer son image dans le contexte de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022.

Lors d’une audience du tribunal sur le Qatargate mardi, un représentant de la police a pointé du doigt un possible conflit d’intérêts dans la double représentation assurée par Hadad.
« Le fait que Me Amit Hadad défende à la fois le Premier ministre et l’un des suspects pose un problème », a déclaré le commissaire Gili Rachlin au tribunal.
« Me Hadad était avec le Premier ministre hier après notre interrogatoire. Il connaît ses déclarations. Il sait ce qu’on lui a demandé. Il y a donc un risque important d’entrave à la justice. »
« Me Hadad était avec le Premier ministre hier après notre interrogatoire. Il connaît ses déclarations. Il sait ce qu’on lui a demandé. Il y a donc un risque important d’entrave à la justice. »
Hadad s’est vivement défendu de toute irrégularité, affirmant que ces craintes étaient totalement infondées.
Soit dit en passant, Hadad, qui défend déjà Urich et Einhorn, représente également un troisième collaborateur de Netanyahu, Ofer Golan, poursuivi dans une affaire de harcèlement présumé à l’encontre d’un témoin de l’accusation dans le procès pénal du Premier ministre.
Déjà confus ? La suite est encore plus déroutante.
Un contexte plus large
Cette saga judiciaire, d’une complexité spectaculaire, ne se joue pas seulement dans les salles d’audience, les bureaux de police ou les entretiens avec suspects, témoins, enquêteurs et avocats. Elle est aussi profondément imbriquée dans les luttes de pouvoir au sein des forces de sécurité nationales, dans le contexte de la guerre en cours, et dans le sort des 59 otages toujours détenus à Gaza, dont 24 seraient encore en vie.
Des opposants politiques à Netanyahu ont présenté l’enquête Qatargate, et les risques qu’elle fait potentiellement peser sur lui, comme l’une des principales raisons qui auraient motivé sa décision de limoger le chef du Shin Bet, Ronen Bar, une décision approuvée à l’unanimité par le cabinet à l’aube du 21 mars. Le Shin Bet, service israélien de sécurité intérieure, joue en effet un rôle clé dans l’enquête sur le Qatargate, ainsi que dans celle sur les fuites de documents militaires pour lesquelles Feldstein a été inculpé.
Dans une lettre adressée aux ministres avant le vote sur son limogeage, Ronen Bar a dénoncé une décision « entièrement entachée de considérations inappropriées et de conflits d’intérêts personnels et institutionnels majeurs ». Il y évoquait notamment « les affaires graves actuellement sous enquête » par ses services.
De son côté, Netanyahu a rétorqué que l’enquête sur le Qatargate avait été lancée par la procureure générale Baharav-Miara et par Bar dans l’unique but de créer un conflit d’intérêts : selon lui, une fois visé par une enquête menée par le Shin Bet, il ne pourrait plus démettre son chef sans se voir reprocher d’interférer. Mais la chronologie des faits présentée par le Premier ministre contredit en partie cette version.

Deux jours après avoir voté le renvoi de Bar, le cabinet a également adopté à l’unanimité une motion de défiance contre la procureure générale Baharav-Miara, lançant ainsi la procédure formelle de son limogeage. La Cour suprême a, pour l’instant, suspendu la destitution de Ronen Bar, en attendant l’examen des recours déposés contre sa révocation. Il est probable qu’elle doive également intervenir si Netanyahu et ses alliés décident d’aller jusqu’au bout dans leur tentative de limoger la procureure générale.
La semaine dernière, la coalition a adopté une loi renforçant considérablement le contrôle de la Knesset sur la nomination de tous les juges israéliens, et annoncé son intention de proposer un texte qui limiterait drastiquement le pouvoir de la Cour suprême d’annuler des lois antidémocratiques ou des décisions gouvernementales abusives.
Les véritables otages
Une grande partie de la complexité entourant le Qatargate et l’affaire des documents de renseignement militaire volés et divulgués reste manifestement hors du domaine public.
Le rédacteur en chef du Jerusalem Post, Zvika Klein, a lui aussi été entraîné dans l’affaire Qatargate. Il est actuellement assigné à résidence, apparemment en lien avec un voyage de reportage qu’il a effectué au Qatar l’an dernier à l’invitation du gouvernement qatari. À ma connaissance, cela ne constitue pas une infraction pénale, et son arrestation est profondément préoccupante.
On aurait pu s’attendre à ce que le Premier ministre soit profondément préoccupé par la possible implication de ses collaborateurs les plus proches dans ces affaires. Qu’il s’indigne à l’idée que certains aient pu recevoir des fonds — directement ou par intermédiaires — du Qatar, un État qui finance à la fois le Hamas et la chaîne Al Jazeera, interdite en Israël l’an dernier. Qu’il s’alarme en découvrant que, depuis son propre bureau et en pleine guerre, des messages pro-Qatar aient pu être diffusés, visant aussi à discréditer l’Égypte. Et qu’il exhorte la police et le Shin Bet à faire toute la lumière, sans délai ni complaisance.
Mais au lieu de cela, le Premier ministre s’emploie à discréditer à la fois les enquêtes, les enquêteurs, et les institutions qui les mènent. Dans une déclaration vidéo diffusée lundi soir, il a réitéré l’argument qu’il brandit depuis le début de son procès pénal, à savoir, le Qatargate serait une chasse aux sorcières motivée politiquement pour écarter un Premier ministre de droite. Il est même allé jusqu’à déclarer que « Jonatan Urich et Eli Feldstein sont retenus en otage »…
Le Forum des familles d’otages a aussitôt réagi, dénonçant « le choix malheureux des mots du Premier ministre ».
« Permettez-nous de vous rappeler que les véritables otages sont nos 59 frères et sœurs qui sont détenus à Gaza depuis 542 jours », ont souligné les familles, en appelant Netanyahu à concentrer ses efforts sur la libération des « vraies personnes retenues en otage ».

La volte-face du Shin Bet
Peu avant que ne s’enclenche le chaos judiciaire lundi matin, le bureau de Netanyahu annonçait que le Premier ministre avait décidé de nommer l’ancien commandant de la marine, le vice-amiral (rés.) Eli Sharvit, pour succéder à Ronen Bar à la tête du Shin Bet. Netanyahu se disait alors « convaincu que Sharvit est la personne appropriée pour conduire l’agence dans la droite ligne de sa glorieuse tradition ».
Cette nomination a été saluée même par certains critiques notoires du Premier ministre, dont l’ex-chef de cabinet du député Gadi Eisenkot, qui y ont vu un choix sérieux et rassurant, un haut fonctionnaire digne de confiance, bien que sans expérience directe dans le renseignement intérieur. Certains ont rappelé qu’un autre ancien commandant de la marine, Ami Ayalon, avait lui aussi été nommé à la tête du Shin Bet en 1995, peu après l’échec du service à empêcher l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin.
Mais de simples recherches sur Google ont rapidement révélé que Sharvit avait participé aux manifestations contre la réforme judiciaire – un « crime » pour lequel l’un des meilleurs porte-voix internationaux d’Israël, Eylon Levy, avait été limogé l’an dernier. Il avait également publié en janvier une tribune en hébreu critiquant la politique environnementale de Donald Trump. Ces éléments ont déclenché une fronde au sein du Likud et des partis alliés. Netanyahu, pris de court par la réaction de sa base, a rapidement annoncé qu’il reconsidérait la nomination. Et lundi soir, il a rencontré Sharvit pour l’informer qu’il ne serait finalement pas nommé à la tête du Shin Bet.
Certains observateurs ont avancé que Netanyahu avait prémédité cette manœuvre en nommant d’abord une figure rassurante, il aurait cherché à apaiser l’opinion- et surtout la Cour suprême – afin de faciliter le limogeage de Ronen Bar, avant de se raviser pour placer un fidèle à la tête de l’agence. Mais cette hypothèse semble hasardeuse : la Cour devrait avant tout se prononcer sur la légalité de la révocation de Bar, et un tel calcul supposerait que Netanyahu ait cru pouvoir contenir la colère de sa propre base jusqu’au rendu de la décision judiciaire.
Une autre hypothèse, tout aussi fragile, serait que le bureau du Premier ministre n’aurait même pas procédé à une vérification de base des positions publiques de Sharvit – une théorie qui défie toute vraisemblance compte tenu de la sensibilité du poste et de l’empreinte numérique bien visible de Sharvit.

Il semble plus probable que Netanyahu ait réellement souhaité nommer Sharvit – un homme qui, dans une autre affaire judiciaire sensible, celle des sous-marins allemands, lui avait exprimé son soutien. Mais il aurait été surpris, voire déstabilisé, par la virulence de l’opposition interne que cette nomination a suscitée.
Quelle qu’en soit la raison, ces manœuvres politiciennes autour de la direction d’une institution cruciale de sécurité nationale suscitent une inquiétude légitime. Le rôle du Shin Bet est de protéger la vie des Israéliens. Aux côtés de Tsahal, et sous l’autorité du gouvernement Netanyahu, l’agence a pourtant failli le 7 octobre, lors de l’attaque du Hamas. Chaque semaine, elle déjoue des dizaines de tentatives d’attentats ou de complots terroristes. Le choix de son directeur devrait relever d’un impératif d’intérêt national, mûri, réfléchi, et en aucun cas dicté par le calcul politique.
Un énorme coup de bluff
Mercredi matin, Netanyahu était de retour dans la même salle d’audience de Tel-Aviv, interrogé une nouvelle fois par son avocat Me Hadad dans le cadre de son procès pour corruption.
Interpellé par les journalistes au sujet du Qatargate, il a balayé l’affaire, la qualifiant de « bluff monumental ».

On ne peut que l’espérer.
Car les accusations selon lesquelles des collaborateurs du Premier ministre auraient servi de vitrine à un État qui, pour dire les choses crûment, ne verrait pas d’un mauvais œil la destruction d’Israël, et qu’ils auraient influencé l’opinion publique, voire la stratégie du gouvernement dans sa lutte contre le Hamas et pour la libération des otages, sont presque trop horribles pour être envisagées.
Le problème, c’est que Netanyahu rejette ces soupçons d’un revers de main. Il martèle que les enquêteurs de la police, les dirigeants du Shin Bet, le parquet et une grande partie du système judiciaire agissent de concert pour l’évincer. Et il persiste à présenter comme crédible l’idée qu’un « État profond bureaucratique » conspirerait contre lui — alors même qu’il est au pouvoir depuis plus de 14 des 16 dernières années.
« Tout cela est insensé », a déclaré Yair Cherki.
Mais insensé est encore bien loin de décrire la situation.

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