Israël en guerre - Jour 568

Rechercher
Explications

La loi sur les nominations des juges, la victoire de Levin dans son combat idéologique radical

Malgré la présence de conservateurs à la Cour suprême, le ministre de la Justice a longtemps cherché à faire siéger des partisans convaincus de la retenue judiciaire face au gouvernement : il peut le faire désormais

Jeremy Sharon

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Le ministre de la Justice, Yariv Levin, en séance plénière de la Knesset lors d'un débat sur une loi visant à réformer le processus de nomination des juges israéliens, le 26 mars 2025. (Crédit : Noam Moskowitz, Bureau du porte-parole de la Knesset)
Le ministre de la Justice, Yariv Levin, en séance plénière de la Knesset lors d'un débat sur une loi visant à réformer le processus de nomination des juges israéliens, le 26 mars 2025. (Crédit : Noam Moskowitz, Bureau du porte-parole de la Knesset)

La loi qui réforme en profondeur le processus de nomination des juges israéliens – un texte qui a été adopté jeudi – aura probablement un impact considérable et à long-terme sur le système judiciaire israélien et sur le système juridique en général si elle doit être appliquée au lendemain des prochaines élections générales.

Alors que le ministre de la Justice Yariv Levin, le principal promoteur de la législation, a salué cette dernière qui, selon lui, renforce la capacité du gouvernement à désigner les juges auxquels il accorde sa préférence – en particulier à la Cour suprême – l’opposition n’a eu de cesse de la critiquer, dénonçant une politisation du processus de nomination des magistrats et, en conséquence, une politisation dangereuse du système judiciaire plus largement.

Mais une grande partie de l’opposition et d’autres détracteurs sont allés plus loin, arguant que l’alliance politique religieuse de droite qui domine le paysage politique israélien est parvenue, ces dernières années, à remplacer une majorité libérale et activiste à la Cour suprême par une majorité conservatrice qui préfère le principe de retenue judiciaire à l’activisme.

Le véritable objectif de Levin, affirment ses critiques, n’a donc pas été de seulement nommer des conservateurs au sein de la Cour, mais bien d’y installer des idéologues purs et durs qui s’opposeront presque toujours à l’idée d’un interventionnisme judiciaire dans le processus législatif parlementaire et dans les potentiels agissements du gouvernement.

Cette affirmation tient-elle la route ?

L’objectif principal qui était poursuivi par Levin lorsqu’il a élaboré ce texte (il l’a dit lui-même lors de l’adoption de la loi) était de contrer le manque de poids, selon lui, du gouvernement dans la nomination des juges, en particulier à la Cour suprême – regrettant, en conséquence, le manque de « diversité » dans le système judiciaire.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le ministre de la Justice Yariv Levin et d’autres ministres dans le plénum de la Knesset lors d’un vote sur une loi visant à réformer le processus de sélection des juges israéliens, le 27 mars 2025. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)

À cette fin, la nouvelle loi supprime toute influence des autorités judiciaires sur les nominations à la Cour suprême et elle permet aux hommes politiques de choisir les partisans de la ligne dure qui seront appelés à siéger au sein du prestigieux tribunal, grâce à un mécanisme de déblocage susceptible d’intervenir si la coalition et l’opposition ne parviennent pas à se mettre d’accord sur d’éventuels candidats.

S’exprimant devant la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset au mois de janvier quand il avait présenté le projet de loi, Levin avait affirmé que lorsque son alliance politique, formée de partis de droite et de formations religieuses, remportait les élections, elle ne parvenait à obtenir que trois membres sur neuf au sein de la Commission de sélection des juges, qui a la charge de toutes les nominations judiciaires dans le pays, et que lorsque cette coalition perdait, elle ne pouvait prétendre qu’à un seul siège au sein de la commission.

Une situation qui, avait soutenu Levin lors de l’audience de la commission, avait créé une réalité dont « des secteurs massifs du public sont exclus ».

« Il n’y a pas de diversité », avait-il déploré, ajoutant qu’une autre conséquence était que les trois magistrats qui siègent au sein de la commission de Sélection des juges étaient également défavorables à la coalition politique religieuse de droite et à l’électorat qu’elle représente.

« En tant que représentant d’un gouvernement élu par deux millions et demi de citoyens, je n’ai pas l’impression qu’il y ait un seul juge à la Cour suprême qui me représente, qui exprime les positionnements auxquels je crois et auxquels une grande partie de la population croit aussi », avait dit Levin.

Levin avait déclaré qu’aucun juge de la Cour suprême ne représentait, pour reprendre ses termes, sa « vision du monde juridique » – avec des juges conservateurs croyant au principe de retenue judiciaire, moins enclins que les autres à abroger une loi adoptée à la Knesset ou à condamner d’éventuels agissements du gouvernement, à part dans les circonstances les plus extrêmes.

Mais est-ce véritablement le cas ?

La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, et 14 autres juges, durant l’audience des recours déposés contre la loi du « caractère raisonnable » au tribunal de Jérusalem, le 12 septembre 2023. (Crédit : Debbie Hill/Pool/AFP)

L’équilibre idéologique actuel de la Cour

La Cour suprême compte actuellement 12 juges, et trois places sont à pourvoir suite au départ à la retraite de trois magistrats au cours des dix-huit derniers mois.

Levin a refusé d’organiser un vote au sein de la commission de Sélection des juges pour trouver des remplaçants – et des sources ont indiqué qu’il refuserait de le faire pour le reste de son mandat, jusqu’à ce que la nouvelle législation entre en vigueur.

Pourtant sur les douze juges en exercice, au moins six sont considérés comme des conservateurs modérés ou purs et durs par les analystes. Cinq autres sont considérés comme des libéraux fiables, voire convaincus, tandis que l’un d’entre eux, Yechiel Kasher, semble plutôt pencher vers le conservatisme. Lors de sa nomination à la Cour en 2022, Kasher avait bénéficié du soutien du ministre de la Justice de l’époque, Gideon Saar, et de celle qui était alors ministre de l’Intérieur, Ayelet Shaked – deux personnalités fortement conservatrices.

Il y a donc, dans une certaine mesure, une majorité conservatrice qui s’est d’ores et déjà installée à la Cour suprême. Il est vrai que certains juges conservateurs, comme Yael Wilner et Alex Stein, sont relativement modérés. Ils sont intervenus dans des dossiers qui concernaient des lois et des décisions gouvernementales de premier plan.

Ces deux magistrats ont notamment estimé que Levin n’avait pas l’autorité nécessaire pour refuser d’élire un nouveau président à la tête de la plus haute instance judiciaire israélienne – un refus qu’il avait opposé pendant près de 16 mois – lui ordonnant de convoquer la commission de Sélection des juges à quatre reprises entre le mois de septembre 2024 et le mois de janvier de cette année pour enfin désigner un nouveau chef.

D’autres, comme Noam Sohlberg, David Mintz et Yosef Elron, sont des conservateurs purs et durs.

Le juge de la Cour suprême David Mintz, le 25 décembre 2017. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

Et en effet, certaines des décisions les plus controversées qui ont pu être prises par la Cour suprême en sa qualité de Haute Cour de justice contre le gouvernement actuel auraient, si elles étaient jugées aujourd’hui, un résultat bien différent.

Ce serait le cas, par exemple, de la loi sur le principe de « raisonnabilité » – qui interdisait à tous les tribunaux d’utiliser la notion juridique de « caractère raisonnable » pour examiner les décisions du gouvernement et des ministres – qui avait été annulée par la Haute Cour au mois de janvier 2024 dans une décision prise par huit voix contre sept.

Parmi les magistrats qui avaient apporté leur soutien à l’annulation de la loi, trois ont dorénavant pris leur retraite. En revanche, les sept qui s’étaient prononcés contre cette abrogation, y compris Wilner et Stein, siègent toujours à la Cour.

De la même manière, la majorité de magistrats qui avaient décidé, au cours du même mois, que la loi sur la possible inaptitude d’un Premier ministre ne pourrait entrer en vigueur qu’après les prochaines élections, n’existe plus non plus.

La décision de la Cour contre le moment choisi pour l’entrée en vigueur de cette législation – qui avait été avancée par la coalition pour garantir que la procureure-générale ou la Haute Cour n’ordonnerait pas au Premier ministre Benjamin Netanyahu de renoncer à son poste – avait été actée par six voix contre cinq. Mais les trois juges qui ont dorénavant pris leur retraite figuraient également dans cette majorité.

De plus, depuis 2018, sur les dix juges de la Cour suprême qui ont été nommés, six ont été des candidats proposés par des ministres de la Justice de droite.

La commission de sélection des juges du 34e gouvernement d’Israël réunit, avec la ministre de la Justice de l’époque, Ayelet Shaked, la présidente de la Cour suprême de l’époque, Miriam Naor, le ministre des Finances de l’époque, Moshe Kahlon, et d’autres membres de la commission de sélection des juges israélienne, le 22 février 2018. (Crédit : Hadas Parush/Flash 90)

En raison de la domination de la droite israélienne sur le paysage politique, les ministres de la Justice de droite ont apparemment été en mesure d’orienter – lentement mais sûrement – la Cour dans une direction conservatrice.

Ainsi, qu’est-ce qui a donc motivé Levin à s’embarquer dans son projet de loi controversé, de grande ampleur, qui a été approuvée par la Knesset jeudi ?

Nominations judiciaires et alignement idéologique

Gideon Saar, qui a rédigé le projet de loi avec Levin, s’est exprimé sur la raison d’être du texte le jour de la présentation de ce dernier, par les deux hommes, aux membres de la commission de la Constitution à la Knesset, le 21 janvier 2025.

« Cet amendement trouve son origine dans le blocage des nominations [d’Aviad] Bakshi et [de Rephael] Bitton à la Cour suprême », a déclaré explicitement Saar lors de l’audience.

Bitton est un juriste conservateur qui est également maître de conférences à la faculté de droit du Sapir College, tandis que Bakshi est un juriste tout aussi conservateur qui est actuellement à la tête du département juridique du Kohelet Policy Forum, un organisme conservateur.

Levin a expliqué, dans le passé, que Bakshi et Bitton avaient été ses sources d’inspiration concernant son plan de refonte radicale du système judiciaire israélien – un plan qui aurait accordé à la coalition un contrôle presque total sur toutes les nominations et qui aurait pratiquement ôté toute capacité de contrôle de la Cour suprême sur les lois et sur les agissements gouvernementaux.

Le ministre de la Justice Yariv Levin (à droite) et le ministre des Affaires étrangères Gideon Saar présentant leur projet de loi visant à modifier le mode de nomination des juges en Israël devant la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, le 21 janvier 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

« Le ministre de la Justice représente la majorité parlementaire et il n’est pas raisonnable qu’il ne puisse pas choisir l’un des 15 juges de la Cour suprême », avait dit Saar qui avait ajouté qu’il était « illogique » que le ministre de la Justice ne puisse pas faire élire à la Cour « un juge sur 15 [qui partagerait] son idéologie dans le domaine juridique ».

Saar avait fait référence, ici, aux négociations menées au mois d’août 2024 qui avaient lieu entre Levin et les représentants du système judiciaire au sein de la commission de Sélection des juges, alors placée sous l’autorité du président par intérim de l’époque, Uzi Vogelman, concernant la désignation d’un nouveau chef de la Cour suprême et de trois nouveaux magistrats au sein de la prestigieuse institution.

Levin avait proposé qu’au moins Bakshi ou Bitton puissent siéger à la Cour suprême et que le juge Yosef Elron, un conservateur convaincu, soit nommé président au détriment du juge libéral Isaac Amit, qui devait prendre ce poste conformément au système d’ancienneté mis en place depuis plusieurs décennies.

Les trois juges du panel devaient ensuite nommer un nouveau juge de la Cour suprême de leur choix, et la commission devait désigner un troisième candidat sur la base du consensus.

Ces négociations avaient toutefois échoué après qu’au moins l’un des trois juges de la commission a refusé l’accord, affirmant que Bakshi et Bitton n’étaient pas suffisamment qualifiés et que l’annulation du système d’ancienneté allait politiser la fonction de président.

Au mois de septembre, la Haute Cour avait décidé que Levin devait élire un nouveau président après avoir refusé de le faire pendant 16 mois. Amit avait été élu au mois de février malgré l’opposition intense de Levin – laissant planer la menace d’un crise constitutionnelle. Depuis lors, le ministre de la Justice s’est obstinément refusé à reconnaître l’élection d’Amit à son poste.

Aviad Bakshi, chef du département juridique du Kohelet Policy Forum, s’exprimant lors d’une réunion de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice à la Knesset, à Jérusalem, le 4 juillet 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Vrais conservateurs ou simples candidats de compromis ?

L’avocat israélo-américain Yonatan Green, membre du Georgetown University Center for the Constitution et auteur d’un livre sur le système juridique israélien – il va paraître – affirme qu’au moins certains des six, voire sept juges actuels de la Cour suprême, considérés par un grand nombre comme des conservateurs, ne le sont en fait que « par étiquette ».

« Un véritable juriste conservateur n’a aucune chance d’être nommé à la Cour », s’exclame Green. Il affirme que la description faite de la Cour suprême actuelle – qui serait ainsi dominée de soi-disant conservateurs – se limite « à la fenêtre d’Overton d’une domination judiciaire activiste sur le processus de sélection des juges ».

Citant les exemples de Baskshi et de Bitton, Green indique que les seuls soi-disant conservateurs susceptibles d’être nommés à la Cour suprême sont ceux « qui sont acceptables pour la Cour telle qu’elle se présente aujourd’hui ».

Green explique aussi que si la droite n’a pas pu faire élire ses candidats privilégiés à la Cour suprême, la gauche a toujours été en mesure de le faire – citant par exemple l’ancien juge Hanan Melcer, conseiller juridique du parti Avoda, qui avait été élu au sein du tribunal en 2007 même s’il n’avait pas eu d’expérience préalable dans ce domaine et qu’il n’avait pas été membre d’une faculté de droit.

« La gauche nomme des personnalités appartenant à l’aile la plus radicale du spectre juridique et idéologique, tandis que la droite nomme des juges de compromis à condition qu’ils soient acceptables pour les juges actuels, » résume Green.

Green fait également remarquer que des juristes israéliens de renom – comme Ruth Gavison ou Moshe Landau, ancien président de la Cour suprême – avaient prévenu depuis les années 1990 que « l’accumulation massive de pouvoir politique par la Cour », selon les termes utilisés par Green, entraînerait des initiatives qui viseraient à changer le processus de nomination des juges, comme c’est le cas aujourd’hui.

Guy Lurie, chercheur à l’Institut israélien de la démocratie (IDI), s’oppose fermement au point de vue exprimé par Green lorsque ce dernier affirme que Vogelman et la Cour suprême ont opposé leur veto aux candidatures de Bakshi et de Bitton en raison de leur idéologie résolument conservatrice.

« Le problème n’est pas que Levin n’a pas été en mesure de placer des conservateurs à la Cour, mais qu’il n’a pas été capable de placer à la Cour des personnes qui lui sont loyales et qui partagent ses opinions », déclare Lurie, évoquant les propos tenus par Saar devant la commission de la Constitution, à la Knesset.

« Il n’y a rien de mal dans le système actuel [précédent], où les coalitions ont une forte influence sur les nominations des juges au sein des tribunaux inférieurs et où elles disposent d’un droit de veto sur les nominations à la Cour suprême – mais c’est un système où la Cour suprême ne permet pas à Levin de nommer quelqu’un à la Cour qui lui soit loyal », poursuit-il.

Lurie rejette également l’idée qu’il n’y ait aucun juge à la Cour suprême qui revendique une idéologie véritablement conservatrice dans son domaine d’expertise, et il insiste sur le fait que plusieurs magistrats s’inscrivent résolument dans le camp de la retenue judiciaire.

« Cela n’a rien à voir avec une vision du monde au niveau judiciaire ou avec un simple point de vue de ce type – mais cela a tout à voir avec le fait que les hommes politiques voudraient bien avoir les magistrats sous leur coupe », explique-t-il.

« Et c’est inconciliable avec l’éthique de la Cour – avec l’éthique de n’importe quel tribunal, en fait », s’exclame-t-il.

En savoir plus sur :
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à gal@rgbmedia.org.
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.
image
Inscrivez-vous gratuitement
et continuez votre lecture
L'inscription vous permet également de commenter les articles et nous aide à améliorer votre expérience. Cela ne prend que quelques secondes.
Déjà inscrit ? Entrez votre email pour vous connecter.
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
SE CONNECTER AVEC
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation. Une fois inscrit, vous recevrez gratuitement notre Une du Jour.
Register to continue
SE CONNECTER AVEC
Log in to continue
Connectez-vous ou inscrivez-vous
SE CONNECTER AVEC
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un e-mail à .
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.