Ronen Bar écrit au gouvernement que son limogeage est « entaché de conflits d’intérêts »
Le chef du Shin Bet lie son renvoi à l'enquête sur l'influence qatarie au sein du cabinet Netanyahu et dit qu'il se défendra au sein d'un forum « défini par les autorités judiciaires compétentes »

Le texte qui suit est le texte intégral de la lettre adressée au gouvernement par le directeur du Shin Bet, Ronen Bar, au moment où les ministres se réunissaient pour voter son renvoi, le 20 mars 2025.
Hier soir, il a été rapporté que le gouvernement devait se réunir aujourd’hui pour évoquer la fin de mes fonctions de directeur de l’Agence de sécurité israélienne (Shin Bet). Cette réunion a été convoquée à la hâte, au mépris des principes fondamentaux du droit relatifs au droit d’être entendu et contre l’avis de la procureure générale.
Pour avoir servi la sécurité du pays pendant plus de 35 ans et témoigné du plus grand respect envers ses institutions et la primauté du droit, je tiens à préciser, d’emblée, que ma décision de ne pas assister à la réunion du gouvernement découle uniquement de ma compréhension que cette discussion n’est pas conforme aux dispositions légales et aux règles concernant la fin des fonctions de n’importe quel employé, a fortiori d’un haut fonctionnaire, et en particulier du directeur du Shin Bet.
Je crois qu’une décision aussi importante, inaugurant un précédent concernant le limogeage d’un administrateur, surtout dans la mesure où je n’avais pas l’intention de terminer mon mandat, doit être fondée sur des faits précis et étayés, avec des exemples auxquels je pourrais réagir, assortis de documents pertinents le cas échéant, avec un temps suffisant pour le faire.
Malheureusement, le projet de résolution tel qu’il est formulé est un ramassis d’affirmations très générales, laconiques et infondées, qui ne me permettent pas de formuler une réponse ordonnée et semblent dissimuler les véritables motifs de mettre fin à mes fonctions. Je tiens à signaler que, lors d’une audience préliminaire en présence du Premier ministre, malgré ma demande, aucun exemple ne m’a été donné.
Dans ces circonstances, je ne peux pas répondre aux affirmations faites dans ce projet de résolution, lesquelles paraissent avoir été formulées pour les besoins de ce processus et dont la plupart n’ont à aucun moment été évoquées lors de mes échanges avec le Premier ministre.
Ce n’est pas une coïncidence si aucun exemple n’accompagne ces affirmations. Une réponse étayée à de telles allégations implique une procédure appropriée, passant par la présentation de documents pertinents, et non un processus superficiel à l’issue préétablie.
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’allégations sans fondement, qui ne servent qu’à couvrir des motifs d’une autre nature et parfaitement inappropriés, destinés à empêcher l’Agence de sécurité israélienne de faire son travail avec impartialité, comme le veut la loi, et dans l’intérêt des citoyens israéliens, et non dans un intérêt personnel. En outre, elles ont vocation à empêcher la recherche de la vérité concernant à la fois les événements qui ont conduit au massacre [du 7 octobre] et les affaires graves qui font actuellement l’objet d’une enquête de la part des services de l’Agence de sécurité israélienne.

Je présenterai ma position détaillée concernant les allégations contenues dans ce projet de résolution et les motifs qui les sous-tendent au sein de l’instance appropriée, comme le veulent la loi et les décisions prises par les autorités judiciaires compétentes, ainsi qu’aux citoyens d’Israël.
En bref, je dirai ceci :
En réalité, et contrairement à ce que l’on prétend, depuis que j’ai pris mes fonctions et surtout depuis le début de la guerre sur plusieurs fronts, une coopération intensive et efficace s’est mise en place entre l’organisme placé ma direction et le Premier ministre, ce qui a donné des résultats significatifs dans la lutte contre le terrorisme et l’avancement des objectifs de guerre.
Le Premier ministre l’a reconnu à plusieurs reprises, notamment dans des déclarations publiques. L’agence a pour mission de mettre en œuvre la politique déterminée par les autorités politiques et continuera de le faire. Malheureusement, la plupart de ces questions ne sont pas évoquées avec les ministres, depuis une directive du Premier ministre qui m’interdit depuis un an de rencontrer des ministres — directive dont la légalité est douteuse.
D’où ma surprise de lire dans ce projet de résolution l’affirmation selon laquelle le manque de confiance entre le Premier ministre et le directeur de l’agence nuit à la capacité de l’agence de remplir sa mission. Dans ce contexte, des exemples à l’appui de cette affirmation infondée devraient m’être présentés. Ce qui est particulièrement pertinent compte tenu de l’ampleur et de l’intensité sans précédent des mesures anti-terroristes prises par le Shin Bet pendant cette guerre, sous la direction des autorités politiques, sur tous les fronts, contre les menaces de terrorisme et d’espionnage.
Le projet de résolution parle également de la méfiance du Premier Ministre envers moi en ce qui concerne la gestion de la question de la libération des otages. Sans trop m’étendre sur le sujet, je tiens à souligner que le récent accord de libération d’otages s’est concrétisé grâce à une opération que j’ai personnellement menée, en toute connaissance de cause du Premier ministre. L’accord a été conclu conformément aux objectifs fixés par le Premier ministre et a été soumis par ce dernier au gouvernement, qui l’a approuvé avec son soutien.
Aussi, l’accusation de méfiance n’a pour moi aucun fondement – à moins que la véritable intention, que je n’ai peut-être pas saisie, ait été de négocier pour ne pas parvenir à un véritable accord. En pratique, le limogeage du directeur du Mossad et de moi-même de la conduite des négociations a nui à la délégation et n’a pas permis d’obtenir la libération des otages. Par conséquent, l’affirmation du Premier ministre dans ce contexte est infondée. Je réitère mon engagement personnel, et celui de l’agence, à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour ramener en Israël les otages, vivants ou morts, tant que les circonstances le permettent.
Dans le cadre du processus ayant pour finalité de mettre fin à mes fonctions, qui, je l’espère, se déroulera légalement, et compte tenu des revendications contenues dans le projet de résolution, je présenterai un état complet des mesures offensives et recommandations stratégique issus de ma perspective stratégique et de sécurité que j’ai présentées au Premier ministre, aussi bien avant qu’après le 7 octobre. Dans leur ensemble, elles n’ont pas été suivies d’effets de son côté.
J’expliquerai également dans le détail le vaste processus de réhabilitation en cours au sein du Shin Bet, sur la base des leçons tirées de l’enquête du 7 octobre. En outre, comme on le sait, une enquête complexe, approfondie et très sensible est actuellement en cours concernant l’implication du Qatar dans les plus hauts processus décisionnels d’Israël, y compris le cabinet du Premier ministre. Je considère que cette enquête, et la recherche de la vérité, quelle qu’en soit l’issue, doivent être menées à leur terme : il s’agit d’un devoir primordial qui m’a été confié.

Comme nous l’avons signalé, d’importantes investigations ont eu lieu ces derniers jours, et le fait de tenter de s’y opposer par un limogeage hâtif et soudain, sur la base d’arguments intrinsèquement infondés, est totalement entaché de considérations inappropriées et de conflits d’intérêts personnels et institutionnels de tout premier ordre.
Le limogeage du directeur de l’agence à ce moment précis, à l’initiative du Premier ministre, envoie un message à toutes les parties concernées de nature à compromettre la poursuite de cette enquête dans les conditions requises. Et constitue une menace directe pour la sécurité d’Israël.
Par ailleurs, la position de l’agence concernant la nécessité urgente, pour la sécurité du pays, d’un examen approfondi et indépendant des événements du 7 octobre et des actions qui les ont précédés, motif implicite de cette volonté de mettre fin aux fonctions du directeur de l’agence, fait partie des devoirs de son directeur. À cet égard toujours, il ne s’agit pas de méfiance, mais plutôt d’une perception inappropriée de la loyauté personnelle qui remplace la loyauté envers la population. La nécessité urgente d’une telle enquête à l’échelle nationale ne peut être subordonnée aux considérations personnelles de certaines personnes, car c’est le seul moyen de s’assurer qu’une défaillance systémique aussi massive ne se reproduise plus.
Je suis surtout préoccupé par le fait que cette méfiance à mon égard découle, de mon point de vue, de ma vision de ce poste, dans l’intérêt des processus décisionnels au plus haut niveau national, qui implique que je donne mon opinion professionnelle de manière à la fois indépendante et objective, quitte à différer parfois de celle des autres. C’est ce que j’ai fait et continue de faire sur la question des otages, en proposant en plusieurs occasions des initiatives opérationnelles uniques et en promouvant des objectifs de guerre. C’est déjà ce que j’avais fait avant le massacre du 7 octobre en lançant d’innombrables mises en garde aux autorités politiques.
Néanmoins, j’insiste sur le fait que, lorsque mes opinions professionnelles n’étaient pas acceptées, j’ai toujours pleinement appliqué les décisions prises par le gouvernement. C’est la philosophie du Shin Bet qui m’a été inculquée.
Israël traverse actuellement une période particulièrement difficile et complexe. Cinquante-neuf otages sont toujours au cœur de Gaza, le Hamas n’a pas été vaincu, nous sommes au milieu d’une guerre sur plusieurs fronts et le bras armé de l’Iran continue de s’enfoncer profondément dans le pays. Israël est fort, déterminé et combatif, mais ceux qui occupent des postes d’autorité ont une énorme responsabilité. Il est déconcertant qu’en ces circonstances, le gouvernement cherche à prendre des mesures qui l’affaiblissent de l’intérieur contre ses ennemis.
Comme nous l’avons déjà dit, le Shin Bet dans son ensemble et moi-même, en ma qualité de chef, agirons pour remplir les devoirs de l’agence comme le veulent la loi et les décisions prises par les institutions juridiques compétentes, comme il se doit dans tout État de droit. Je n’ai pas l’intention de m’en écarter, pas d’un pouce.
Je présenterai ma réponse complète et détaillée aux accusations contenues dans ce projet de résolution et aux motifs qui les sous-tendent devant l’instance appropriée, telle que déterminée par les autorités judiciaires compétentes.