Des rayons cosmiques pour découvrir les dessous insondables de Jérusalem
Une équipe de chercheurs de l'université de Tel Aviv traque ces puissantes particules avec des détecteurs de muons, espérant ainsi dresser une carte 3D des trésors cachés sous la ville
L’année dernière, une équipe de physiciens et d’archéologues de l’Université de Tel Aviv est descendue en rappel dans une caverne, sous la Vieille Ville de Jérusalem, au moyen de cordes et des poulies pour y transporter un engin de grande taille.
La présence dans cette grotte de cet appareil aux allures de gadget, composé d’empilements de composants métalliques reliés par des enchevêtrements de fils, tubes, rubans et pinces, était hautement improbable, un peu comme une machine à remonter le temps – 3 000 ans exactement.
Et au final, c’est bien à cela que sert cette machine.
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Connu sous le nom de détecteur de muons, l’appareil avait été placé là dans le but d’utiliser des particules subatomiques et de révéler l’existence de passages secrets menant à la source de Gihon, la source d’eau de Jérusalem des temps anciens, le tout sans s’armer d’une pelle.
« Toutes les villes antiques avaient besoin d’un approvisionnement en eau, et aussi de moyens fortifiés et secrets pour s’y rendre en cas d’urgence ou de guerre », explique le professeur Oded Lipschits, directeur des études sur l’Israël ancien à l’université et l’un des quatre coordinateurs du projet de cartographie des tunnels, chambres et canaux situés sous Jérusalem.
L’appareil, construit par l’équipe de l’université de Tel Aviv, est fait pour capturer et enregistrer la distribution angulaire des muons, minuscules mais puissantes particules créées lorsque les rayons cosmiques s’écrasent dans l’atmosphère terrestre.
Pour les archéologues, l’utilisation de la physique des particules pour sonder les sols est un moyen particulièrement alléchant de saisir l’histoire d’une ville faite de très nombreuses strates d’anciennes civilisations, de surcroît de diverses sensibilités religieuses. Cela fait des fouilles invasives sous bon nombre de ces sites – comme le mont du Temple – une entreprise difficile, sinon impossible.
Selon Lipschits, la méthode, connue sous le nom de radiographie muonique, pourrait nous apporter des précisions sur la vie à Jérusalem dans les temps anciens, à commencer par les fortifications construites par les habitants de la ville, les tombes et espaces qu’ils auraient pu sculpter, ou leur accès à l’eau lors des sièges ennemis.
Les chercheurs espèrent que le détecteur leur permettra de tout révéler, sans besoin de bouger des pierres ou gêner les personnes et bâtiments installés en surface.
« Notre rêve est de sonder le sous-sol et de trouver des tunnels qui nous mèneraient au mont du Temple », explique le professeur Erez Etzion de l’École de physique et d’astronomie. « Les détecteurs de muons nous donnent les moyens de fouiller le sous-sol de façon passive. »
Pour le projet, Etzion, Liron Barak et une équipe de l’école de physique se sont associés au professeur Yuval Gadot de l’École Rosenberg d’études juives et d’archéologie, ainsi qu’à Lipschits et Yiftah Shalev, de l’Autorité israélienne des antiquités et enfin une équipe de Rafael Industries, dont Yiftah Silver.
En dehors de la source de Gihon, un deuxième détecteur de muons avait été installé derrière ce qui est connu sous le nom de Stone Stepped Structure, un énorme mur dans la ville de David datant de quelque 3000 ans.
Le site, qui se trouve à peu près à mi-chemin entre la source de Gihon et le mont du Temple, est le point le plus profond du versant est de la Cité de David, une crête étroite qui descend du sud du mont du Temple vers la vallée du Cédron, à l’extérieur des murs de la Vieille Ville où se trouve aujourd’hui le quartier moderne de Silwan. Les archéologues ont identifié ce quartier comme étant le plus ancien de Jérusalem et ont établi des liens avec les récits bibliques de la ville.
Les chercheurs espèrent qu’en orientant le détecteur vers le mont du Temple, ils découvriront des tunnels ou des espaces souterrains qui s’étendent de la plateforme non excavable jusqu’à la source.
Lipschits et Etzion se connaissent depuis le lycée de Kiryat Tivon, où ils ont joué ensemble dans l’équipe de water-polo il y a plus de quarante ans. « C’est de l’histoire ancienne », a plaisanté Etzion.
À l’université, les deux professeurs ont discuté des différents projets sur lesquels ils travaillaient et ont décidé de faire équipe sur ce projet qui combine la physique et l’archéologie.
« En tant qu’historien, je pense qu’il est important de comprendre notre histoire », a expliqué Oded Lipschits. « La Cité de David est le site le plus important au monde pour les trois religions monothéistes. »
Les muons sont émis dans la haute atmosphère par les rayons cosmiques provenant de l’espace et interagissent avec les atomes de l’atmosphère terrestre. Les muons voyagent à une vitesse proche de celle de la lumière et sont pratiquement inarrêtables. Ils sont capables de pénétrer à peu près n’importe quoi, y compris la roche solide. En installant le détecteur à une altitude inférieure à celle de la zone cible et en l’orientant correctement, les scientifiques peuvent analyser la vitesse à laquelle les muons traversent la partie qu’ils souhaitent étudier.
« Comme les muons viennent du ciel, il faut placer le détecteur à un endroit plus bas que la région visée, pour voir s’il y a une déviation dans le sol entre le détecteur et la surface », a expliqué Etzion.
Si le détecteur reçoit plus de muons que prévu, cela signifie que, pendant une partie au moins de leur voyage souterrain, les particules n’ont pas traversé de la matière mais une cavité vide, a expliqué Etzion.
Les recherches des scientifiques sont basées sur « une vieille idée » qui remonte aux années 1960, quand l’équipe du physicien Luis Alvarez, lauréat du prix Nobel, a utilisé des détecteurs de muons pour scanner l’intérieur de la pyramide de Khafre en Égypte.
À l’époque, Alvarez n’avait pas « trouvé les trônes secrets », mais « il a mis au point un dispositif viable », a indiqué Etzion. En 2023, toujours à l’aide de détecteurs de muons, des chercheurs ont découvert une chambre inconnue dans la Grande Pyramide de Gizeh.
En Italie, les scientifiques utilisent actuellement les muons pour cartographier l’intérieur du mont Vésuve, afin de modéliser la dynamique éruptive du volcan qui a détruit Pompéi en 79 de notre ère et qui constitue toujours une menace pour la ville de Naples.
Les chercheurs espèrent mettre en place à Jérusalem tout un réseau de détecteurs d’ici deux ans. Grâce à ces multiples détecteurs, qui font appel à ce que l’on appelle la tomographie muonique, l’équipe pense pouvoir non seulement repérer les cavités, mais aussi obtenir des informations sur leurs dimensions et sur ce qu’elles contiennent, afin de dresser une carte en 3D du sous-sol de la ville antique.
Les physiciens travaillent actuellement à la mise au point d’une technique innovante permettant d’accroître la précision du détecteur et sa capacité à détecter des cavités plus petites.
« Un détecteur de muons ne s’achète pas », a souligné Etzion avec un certain humour, « il faut le construire soi-même ».
Etzion a participé à la construction Solénoïde compact pour muons (CMS) le détecteur utilisé pour l’expérience ATLAS au Grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN, en Suisse. Il a toutefois précisé que cela consistait à « installer un détecteur dans un laboratoire, ce qui est très différent » de construire un détecteur sous terre.
« C’était une tâche extrêmement difficile », a indiqué Etzion. « Un laboratoire est un environnement stérile ; ici, nous avons reconstruit un détecteur en quelques journées de folie, sous terre, dans l’obscurité et l’humidité, loin des conditions idéales d’un laboratoire stérile. »
Pour ajouter à la difficulté, les détecteurs doivent être maintenus dans cet environnement souterrain humide pendant de longues périodes. La vitesse à laquelle les muons pénètrent dans le sol est extrêmement lente, et la collecte des données prend généralement des mois, a expliqué Etzion. Il a néanmoins constaté que le détecteur fonctionnait « étonnamment bien ».
« Nous avons été vraiment surpris qu’il fonctionne », a-t-il admis.
Outre les recherches dans le domaine de l’archéologie, la méthode pourrait s’appliquer à la détection des tunnels creusés par les groupes terroristes du Hamas et du Hezbollah sous les frontières de Gaza et du Liban respectivement. Pour l’instant, l’équipe de l’université de Tel Aviv se concentre sur des tunnels beaucoup plus anciens.
« Nous perfectionnons sans cesse les systèmes de détection et d’exploitation des dispositifs dans les conditions souterraines les plus difficiles », a précisé Etzion. « Nous avons prouvé que nous étions en mesure de fournir une véritable carte des tunnels et des canaux cachés de l’ancienne Jérusalem. »
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