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'Ce n'est pas ça, le jihad. Ils m'ont fait nettoyer les toilettes...'

Désertions multiples au sein de l’Etat Islamique

Le retour des jihadistes occidentaux dans leur pays d'origine est un casse-tête pour les services antiterroristes

Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des attentats terroristes du 13 novembre à Paris, tenant un drapeau de l'Etat islamique dans cette image non datée d'un magazine publié par le groupe terroriste (Crédit : Capture d'écran)
Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des attentats terroristes du 13 novembre à Paris, tenant un drapeau de l'Etat islamique dans cette image non datée d'un magazine publié par le groupe terroriste (Crédit : Capture d'écran)

Les défections, notamment de jihadistes occidentaux, se multiplient dans les rangs du groupe État islamique (EI), et leur retour dans leurs pays d’origine est un casse-tête pour les services antiterroristes, selon des sources concordantes.

En recul en Syrie et Irak, soumise aux bombardements incessants de dizaines de chasseurs-bombardiers, l’organisation peine à empêcher certains des milliers de volontaires étrangers qui l’ont rejointe depuis 2014 de quitter les terres du califat autoproclamé pour rentrer chez eux.

Leurs motivations sont multiples. Les principales sont la peur des raids aériens, la déception par rapport à ce qu’ils avaient imaginé, la corruption des dirigeants locaux, les exactions envers d’autres musulmans sunnites ou tout simplement l’ennui, précise une étude menée sur soixante d’entre eux par l’International Center for the Study of Radicalisation (ICSR) du King’s College de Londres.

« Ils sentent que la phase finale a commencé, beaucoup commencent à nous envoyer des messages pour savoir comment rentrer », confie à l’AFP le coordonnateur national du renseignement en France, Didier Le Bret. « Il n’est plus question d’expansion du glorieux califat, et nous savons que certains se font tuer quand ils tentent de fuir ».

« D’ailleurs, étant donné que les services de sécurité de l’EI sont très soupçonneux, ça nous inquiète quand on récupère quelqu’un : comment savoir s’il est sincère ou en mission ? », ajoute-t-il.

Selon le directeur général de la sécurité intérieure française (DGSI), Patrick Calvar, à la mi-mai « 244 personnes étaient revenues de la zone syro-irakienne en France ». « On assiste à davantage d’intentions de retour sur notre sol », a-t-il précisé lors d’une audition à l’Assemblée nationale. Mais elles « sont entravées par la politique de Daech (acronyme en arabe de l’EI) qui, dès lors qu’ils souhaitent quitter la Syrie, considère les intéressés comme des traîtres à exécuter immédiatement ».

Dès janvier 2014, avant même la proclamation officielle de la création du califat, l’ICSR a créé une base de données à partir des interviews que ses chercheurs ont pu mener avec des déserteurs de l’EI, pour tenter de comprendre leurs motivations. Elle comprend aujourd’hui 60 noms.

« Du simple massacre »

« Les raisons pour lesquelles ils ont fui sont aussi complexes que celles qui les ont poussés à y aller » écrit dans un rapport Peter Neumann, directeur de l’ICSR. « Ils ne sont pas tous devenus de fervents partisans de la démocratie à l’occidentale. Certains ont commis des crimes ».

« Dans leurs récits, quatre reproches reviennent : ‘l’EI cherche davantage à combattre d’autres musulmans que le gouvernement Assad, l’EI commet des atrocités envers des musulmans, l’EI est corrompue et ne suit pas les préceptes de l’islam, la vie sous le joug de l’EI est dure et décevante' », poursuit-il.

Shiraz Maher, membre de l’ICSR, est l’un des chercheurs qui a interrogé les déserteurs. « La plupart nous disent : ‘Nous n’étions pas venus pour ça' », confie-t-il, lors d’une visite à Paris. « L’un d’eux m’a dit: ‘Je voudrais dire à tous les moudjahidines de ne pas aller en Syrie. Ce n’est pas ça le jihad. Vous allez vous retrouver à tuer des musulmans' ».

Partis parfois sur un coup de tête, parfois persuadés qu’ils allaient rejoindre une utopie, une société idéale régie par la charia, parfois à la recherche d’adrénaline, de camaraderie, d’un rôle de chevalier blanc, les apprentis-jihadistes sont souvent confrontés, selon le récit des déserteurs, à un quotidien fait de violence, de barbarie, de peur, de privations, d’ennui, d’incompréhensions, de discriminations basées sur le pays d’origine.

« L’un d’eux m’a dit », ajoute Shiraz Maher « que les chefs de l’EI n’hésiteront pas à raser un immeuble, avec des femmes et des enfants à l’intérieur, pour tuer une seule personne. Ce n’est pas le jihad révolutionnaire, c’est du simple massacre ».

« Un combattant indien a tout résumé en disant : ‘Ce n’est pas ça, le jihad. Ils m’ont fait nettoyer les toilettes…' »

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