Doha/Le Caire: Un séjour dans un hôtel luxueux de Gaza dévoile des tensions
Les autorités égyptiennes auraient refusé de loger dans le même hôtel que la délégation qatarie alors que la lutte d’influence s'intensifie entre les deux pays
Khaled Abu Toameh est le correspondant aux Affaires arabes du Times of Israël
De hauts responsables égyptiens de la sécurité arrivés dimanche dans la bande de Gaza ont été contraints de chercher de nouveaux logements après avoir découvert qu’un envoyé qatari séjournait dans le même hôtel qu’eux.
Selon la version officielle, la délégation qatari aurait réservé l’intégralité des 250 chambres de l’hôtel Al Mashtal dans la ville de Gaza, n’en laissant plus aucune de libre pour les Egyptiens. Pourtant, d’autres sources ont révélé que la délégation du Caire avait simplement refusé de dormir sous le même toit que les Qataris.
La délégation égyptienne est arrivée dans la bande de Gaza pour une nouvelle tentative visant à sauver l’accord négocié par l’Egypte et signé par le Hamas et le Fatah en novembre 2017.
Sameh Nabil et Abd al Hadi Faraj, des renseignements généraux égyptiens, dirigent la délégation, qui négocie également avec les responsables du Hamas la possibilité de rouvrir le passage frontalier de Rafah sur une base permanente.
La querelle concernant ce séjour dans l’hôtel de Gaza a ainsi mis en évidence les tensions entre les Egyptiens et les Qataris, qui tentent tous deux de devenir le principal acteur étranger présent à Gaza.
Selon certaines sources, l’hôtel Al Mashtal de Gaza a informé les Egyptiens qu’ils devraient chercher un autre endroit pour loger car les 250 chambres de l’hôtel avaient été réservées.
Lorsque les Egyptiens, surpris, se sont enquis de l’identité de ceux qui avaient fait la prétendue réservation de masse de dernière minute, on leur aurait affirmé que Mohammed al-Emadi, émissaire qatari dans la bande de Gaza, en était à l’origine, selon les sources.
Les responsables de la sécurité égyptiens ont finalement été hébergés dans un autre hôtel de Gaza, le Blue Beach Resort.
Selon le journaliste égyptien Yaser Elbehery, l’incident concernant l’hôtel était tout autre.
Il a affirmé que les responsables égyptiens avaient annulé leur séjour à l’hôtel Al Mashtal après avoir appris que l’envoyé qatari y résidait également.
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Des sources palestiniennes ont déclaré que l’incident était lié au contexte d’une lutte de pouvoir qui fait rage depuis quelques mois entre l’Egypte et le Qatar concernant le contrôle de la bande de Gaza.
Les sources ont souligné qu’en plus d’empêcher les fonctionnaires égyptiens de loger dans leur hôtel préféré, l’émissaire du Qatar avait fait orner la façade de l’hôtel de drapeaux du Qatar et de photos de l’émir Tamim ben Hamad Al Thani.
« L’ambassadeur du Qatar a voulu humilier les Egyptiens », a déclaré un journaliste palestinien de la bande de Gaza. « C’était très embarrassant non seulement pour les Egyptiens, mais aussi pour le Hamas. »
Les Palestiniens ont noté qu’Al Emadi entrait régulièrement dans la bande de Gaza via le passage frontalier d’Erez, avec Israël, et non via le terminal de Rafah, situé à la frontière avec l’Egypte.
Les relations entre le Caire et Doha sont tendues depuis 2013, lorsque l’armée égyptienne a évincé le président Mohammed Morsi, soutenu par le Qatar.
En juin 2017, l’Egypte et trois pays arabes – l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Émirats arabes unis – ont annoncé qu’ils avaient décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Les quatre pays ont cité le soutien continu du Qatar au « terrorisme » – y compris son soutien au mouvement des Frères musulmans, qui sont maintenant interdits en Egypte.
La semaine dernière, les Palestiniens de la bande de Gaza s’en sont pris à l’envoyé qatari après sa visite d’un hôpital. Les manifestants ont jeté une chaussure sur son véhicule, retiré des drapeaux qataris et déchiré des pancartes qui remerciaient l’émirat et ses dirigeants pour leur soutien à la bande de Gaza.
Certains Palestiniens ont affirmé que les manifestants étaient affiliés à Mohammed Dahlan, leader du Fatah évincé soutenu par l’Egypte. Selon les Palestiniens, la manifestation contre l’envoyé qatari visait à saper le rôle du Qatar dans la bande de Gaza.
« Les Egyptiens sont mécontents de l’ingérence continue du Qatar dans les affaires intérieures des Palestiniens, en particulier concernant son soutien au Hamas », a déclaré un analyste politique palestinien basé à Gaza.
Plus tôt ce mois-ci, le Qatar s’est engagé à fournir une aide d’urgence à la bande de Gaza pour un montant de 9 millions de dollars.
Al Thani, l’émir du Qatar, a téléphoné à Ismail Haniyeh, leader du Hamas, pour discuter de sa décision. Haniyeh, en retour, a remercié l’émir et le Qatar pour leur soutien continu aux Palestiniens dans la bande de Gaza.
Quelques heures après leur conversation téléphonique, Haniyeh et plusieurs hauts responsables du Hamas ont été sommairement convoqués au Caire afin de discuter du pacte de « réconciliation » avec le Fatah et de renforcer les mesures de sécurité le long de la frontière entre la bande de Gaza et l’Egypte.
Plus de trois semaines se sont écoulées depuis que Hanieyh et ses collègues sont arrivés au Caire. Le voyage a déclenché une vague de rumeurs dans la bande de Gaza selon lesquelles les dirigeants du Hamas avaient été placés en résidence surveillée au Caire afin de les empêcher de travailler avec le Qatar.
Un porte-parole du Hamas a rejeté lundi les rumeurs et les a qualifiées de « fabrications ». Les responsables du Hamas en visite en Egypte ont été traités « avec le plus grand respect », a-t-il affirmé.
Les Palestiniens de la bande de Gaza ont exprimé leur inquiétude sur le fait que le conflit entre le Qatar et l’Egypte aurait un impact négatif sur les efforts visant à assouplir les restrictions et à « alléger les souffrances de la population » dans l’enclave côtière.
« Les Egyptiens ne veulent pas que le Qatar nous aide ; les Qataris ne veulent pas que les Egyptiens nous aident », s’est plaint un homme d’affaires palestinien de la bande de Gaza. « Cette lutte de pouvoir est très préjudiciable et aura des répercussions graves et négatives sur la population d’ici. »