Elie Buzyn, survivant d’Auschwitz et relais de la mémoire
Le père de l'actuelle ministre de la Santé revient de loin. Du ghetto de Lodz, au camp d'Auschwitz, il n'oubliera jamais l'ordre que lui a donné sa mère, et quI le sauvera
Il a aujourd’hui 90 ans, et s’amuse toujours de « l’empressement » des médias autour des commémorations, à l’affût des rescapés encore vivants. « Tout le monde est sûr [que dans 10 ans] il n’y aura plus de survivants… » répond malicieux Elie Buzyn, père de l’actuelle ministre de la Santé et lui-même unique survivant de sa famille.
« Je suis né à Lodz, en Pologne, raconte-t-il à La Croix à l’occasion de la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah du 27 janvier dernier. J’avais 11 ans lorsque les nazis ont froidement abattu mon frère âgé de 22 ans. Le lendemain, ils nous parquaient dans le ghetto ».
Le jour de ses 13 ans, fêtant sa bar-mitsva dans le ghetto de Lodz, sa mère lui donne un ordre : “La mort de ton frère est une douleur dont je ne guérirai jamais mais sache que quand on meurt, on ne meurt que pour soi-même. Moi je ne survivrai pas à cette guerre, ton père non plus et ta sœur est très malade. Tu dois tout faire pour rester en vie, essayer de retrouver mes frères à Paris et témoigner de ce qui nous est arrivé. »
« On n’est pas toujours d’accord avec ses parents, mais sachez qu’une phrase de vos parents peut avoir une valeur inestimable, » affirme-t-il.
Depuis il témoigne auprès des élèves de collège, mais d’abord il a commencé auprès des siens. Les débuts n’ont pas été évidents.

« À la Libération je me suis juré de ne jamais retourner dans cette partie de l’Europe souillée par le sang de tous les nôtres jusqu’à ce jour de 1993 où notre fils Gaël, alors âgé de 21 ans, m’annonça qu’il voulait se rendre à Auschwitz pour voir où ses grands-parents paternels avaient disparu. Dans la minute, je lui ai dit : ‘Si quelqu’un doit t’accompagner, c’est moi’. »
Il y a quelques mois, il racontait à des élèves du collège Saint-Denis en Indre-et-Loire comment il avait fait pour se sortir des immenses épreuves qu’il a traversées.
« Quand il y a une difficulté dans la vie, dites-vous bien qu’on peut toujours réparer et rattraper quelque chose. L’essentiel, c’est d’avoir un but. Si vous avez un but, vous trouverez le chemin pour y arriver, » raconte La Nouvelle République.
Son histoire commence en Pologne, dans le ghetto juif de Lodz donc, où ses parents, sa sœur et lui-même voient son frère fusillé par les nazis en 1940. « Cela me poursuit aujourd’hui, soixante-dix ans après. Je revis cette scène, » raconte-t-il aux collégiens.
« En 1944, on savait vaguement que l’Armée soviétique arrivait par l’Est. Il y avait un petit espoir que ça se termine », dit-il. « On nous a dit qu’on allait dans un autre camp de travail, où les conditions seraient bien meilleures ».
Un voyage en wagons à bestiaux dans la chaleur de l’été 1944, puis l’arrivée sur les quais de tri de Birkenau (Auschwitz-II), le camp d’extermination distant de trois kilomètres d’Auschwitz-I.
« Quelques déportés nous recevaient. Je leur dois la survie. J’avais 15 ans. Ils m’ont lancé : ‘Dis que tu as 17-18 ans !’. Le SS m’a regardé, visiblement il ne m’a pas cru. Il m’a donné un coup de poing dans la poitrine pour éprouver ma résistance, je ne suis pas tombé ». Bon pour le travail. Un peu plus tard, « en 30 secondes, j’ai su ce qu’il s’était passé ; on m’a dit ‘tes parents sont déjà probablement dans la fumée de la cheminée des fours crématoires' ».
Le 18 janvier 1945, devant la progression de l’Armée rouge, on lui intime d’évacuer Auschwitz par une de ces « marches de la mort » où tout signe de défaillance est puni d’une balle dans la nuque.
Trois jours et deux nuits, puis l’entassement dans un train rempli de neige. Direction Buchenwald. Elie y demeure jusqu’en avril 1945 parmi 900 orphelins. « Nous qui venions d’Europe de l’Est ne voulions pas retourner chez nous. Nous savions que nous n’y avions plus rien ».
Il lui reste en revanche un peu de famille en France, qu’il rejoint. « Pour mon oncle », chirurgien à l’hôpital Rotschild à Paris, « je pouvais entrer dans une vie normale. Je n’étais pas de cet avis. L’Europe était souillée pour moi ».
Il en fera des détours avant de revenir s’y installer : sept ans dans une Palestine devenant Israël, un nouveau passage dans l’Hexagone sans succès dans ses études, deux ans dans un collège d’Oran (Algérie) puis, en 1956, un retour définitif en France, où il devient chirurgien.
C’est alors devenu pour lui « un devoir » que de témoigner dans les écoles ou encore à Auschwitz-Birkenau avec les groupes conduits chaque année par Haïm Korsia, devenu grand rabbin de France en 2014.
Elie Buzyn aime raconter comment est née chez lui la vocation de devenir chirurgien. Durant l’évacuation du camp d’Auschwitz vers celui de Buchenwald devant l’avancée de l’armée Rouge connue comme les « marches de la mort » ses pieds gèlent et sont menacés par la gangrène. A l’infirmerie du camp, on lui explique qu’il va être amputé. Un soldat russe entend ceci et lui explique : « Ecoute-moi, il faut que tu trempes tes pieds alternativement dans de l’eau froide et de l’eau chaude. » Après quelques jours, et quelques nuits, Elie Buzyn est guéri.
Quelques années plus tard, il deviendra chirurgien orthopédique, en France.