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Elie Wiesel a donné à la Shoah un visage et au monde une conscience

Peut-être plus que toute autre, le chercheur et militant a incarné l'héritage de la Shoah et la communauté des survivants

Elie Wiesel, auteur, prix Nobel de la Paix et survivant de la Shoah, devant une photo de lui et d'autres détenus au camp de concentration de Buchenwald en 1945, pendant sa visite au musée et mémorial de la Shoah de Yad Vashem, à Jérusalem, le 18 décembre 1986. (Crédit : AFP/Sven Naxkstrand)
Elie Wiesel, auteur, prix Nobel de la Paix et survivant de la Shoah, devant une photo de lui et d'autres détenus au camp de concentration de Buchenwald en 1945, pendant sa visite au musée et mémorial de la Shoah de Yad Vashem, à Jérusalem, le 18 décembre 1986. (Crédit : AFP/Sven Naxkstrand)

WASHINGTON (JTA) – Elie Wiesel, survivant de la Shoah et prix Nobel qui est devenu un icône du souvenir de la Shoah et un symbole mondial de la conscience, est mort samedi à 87 ans. Sa mort est le résultat de causes naturelles, a annoncé le Congrès juif mondial dans un communiqué.

Philosophe, professeur et auteur d’œuvres fondatrices de la littérature de la Shoah comme La Nuit et L’Aube, Wiesel, peut-être plus que tout autre personnalité, incarne l’héritage de la Shoah et la communauté mondiale des survivants.

« J’ai essayé de garder la mémoire vivante », a déclaré Wiesel lors de la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix en 1986. « J’ai essayé de lutter contre ceux qui voudraient oublier. Parce que si nous oublions, nous sommes coupables, nous sommes complices. »

Souvent, il disait le « contraire de l’amour n’est pas la haine, c’est l’indifférence. »

La lutte contre l’indifférence était une force motrice dans l’écriture, le plaidoyer et les apparitions publiques de Wiesel. Bien qu’il se considérait avant tout un écrivain, à la fin des années 1970, il s’était installé dans le rôle de conscience morale, de référence pour les présidents et de voix qui défiait la suffisance facile de l’histoire.

Wiesel a passé la majorité de sa vie publique à parler des atrocités dont il avait été témoin et demandant au public d’examiner d’autres actes de cruauté se déroulant le monde, bien qu’il ait fixé des limites aux comparaisons directes avec la Shoah. «Je préconise toujours la plus grande prudence quand on utilise le mot Holocauste, » avait-il dit à JTA en 1980.

« L’Etat d’Israël et le peuple juif pleurent avec amertume la mort d’Elie Wiesel », a déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu dans un communiqué samedi. « Elie, maître des mots, a exprimé par sa personnalité unique et ses livres fascinants la victoire de l’humanité sur la cruauté et le mal. »

Il a remporté une myriade de récompenses pour son travail, notamment aux Etats-Unis la Médaille présidentielle de la Liberté, la Médaille d’or du Congrès et de la National Jewish Book Award. « La Nuit » est maintenant la lecture standard dans les lycées à travers l’Amérique.

Elie Wiesel à Paris après avoir reçu le prix littéraire français Médicis pour son roman "Le Mendiant de Jérusalem," le 26 novembre 1968. (Crédit : AFP / Getty Images)
Elie Wiesel à Paris après avoir reçu le prix littéraire français Médicis pour son roman « Le Mendiant de Jérusalem, » le 26 novembre 1968. (Crédit : AFP / Getty Images)

En 2006, le livre a été sélectionné par Oprah Winfrey et, près d’un demi-siècle après sa première publication, est resté plus d’un an en tête de la liste des best-seller. Wiesel a également fait venir Winfrey à Auschwitz la même année. Dans le New York Times Book Review en 2008, Rachel Donadio a écrit qu’il était devenu « une étude de cas dans la façon dont un livre a aidé à créé un genre, comment un écrivain est devenu une icône et comment la Shoah a été integrée dans l’expérience américaine. »

« Il n’y a aucun moyen de parler de la conscience de l’Holocauste du demi-siècle dernier sans donner à Wiesel un rôle de pionnier et central », a déclaré Michael Berenbaum, professeur à l’American Jewish University à Los Angeles et ancien directeur de l’Institut de recherche du Musée de l’Holocauste de Washington.

« Ce qu’il a fait, extraordinairement, a été d’utiliser le prix Nobel comme outil pour attirer l’attention sur les choses, et comme véhicule pour crier plus fort, crier plus, agiter plus. »

Né en 1928 dans la ville de Sighet, en Roumanie (alors Transylvanie), Wiesel a été déporté à Auschwitz en 1944 avec sa famille. Il avait alors 15 ans. Sa mère et l’une de ses sœurs furent assassinées immédiatement dès leur sortie des wagons à bestiaux. Son père, qui a traversé les camps avec lui, est mort de dysenterie et de famine à Buchenwald avant la libération. Ses deux autres sœurs ont survecu à la guerre.

Dans « La Nuit, » Wiesel se décrit se pincer le visage pour voir s’il rêve quand il voit les assassinats d’enfants.

La couverture de "La Nuit", un des livres dElie Wiesel sur la Shoah.
La couverture de « La Nuit », un des livres dElie Wiesel sur la Shoah.

« Dans ces endroits, en une nuit on devient vieux, » a dit Wiesel au micro de NPR en 2014. « Ce que l’on a vu en une nuit, des générations d’hommes et de femmes n’avaient pas vu dans leur vie entière. »

Wiesel a été libéré de Buchenwald en 1945. Il a poursuivi ses études à la Sorbonne et s’est installé à New York à la fin des années 1950, où il a vécu dans un relatif anonymat. Il a eu du mal à trouver un éditeur pour « La Nuit », qui au début s’est mal vendu.

« La vérité est que dans les années 1950 et au début des années 1960, il y avait peu d’intérêt et de volonté pour écouter les survivants », a expliqué le rabbin Irving « Yitz » Greenberg ami de longue date de Wiesel, qui avait lu « La Nuit » en Israël au début des années 1960. « En 1963, quelqu’un m’a dit cet auteur vivait à New York et je me suis en quelque sorte efforcé à le trouver et à aller le voir. »

Wiesel était « émacié » et « travaillait comme pigiste pour un journal français, un journal israélien et un journal yiddish – et avec aucun d’eux il n’arrivait à gagner sa vie », se souvient Greenberg.

Greenberg était déterminé à aider Wiesel à trouver du travail. « Il avait cette présence magnétique, » a-t-il dit. « Il était calme, mais avec une force terrible et il sentait que la vivacité de la Shoah avait un message. »

A la fin des années 1960, Wiesel a finalement commencé à émerger comme l’une des voix prééminentes dans la littérature de la Shoah. A la fin de sa carrière, il avait écrit une cinquantaine de livres.

En 1978, Wiesel est devenu le président de la commission présidentielle sur l’Holocauste, qui recommandera finalement la construction du Musée de l’Holocauste à Washington. Une fois que sa présence publique avait grandi, il a commencé à visiter les sites d’autres génocides.

En 1980, il a voyagé au Cambodge. Dans une interview avec JTA, il a décrit les camps de réfugiés cambodgiens comme « des spectacles d’horreur » et a noté « que ces choses peuvent se produire à nouveau signifie simplement que le monde n’a pas appris – ou que le monde ne voulait pas apprendre. »

Elie Wiesel, l'auteur de plus de 50 livres, dans l'étude de sa maison de New York, le 14 octobre 1986. (Crédit : Allan Tannenbaum / Getty Images)
Elie Wiesel, l’auteur de plus de 50 livres, dans l’étude de sa maison de New York, le 14 octobre 1986. (Crédit : Allan Tannenbaum / Getty Images)

En 1985, la réputation de Wiesel a dépassé le monde juif quand il s’est confronté en direct à la télévision au président Ronald Reagan à propos de son intention de visiter un cimetière allemand qui abritait les restes de soldats nazis. C’est dans le bureau ovale pour recevoir la Congressional Medal of Achievement, que Wiesel a réprimandé Reagan.

« Ce n’est pas votre place, Monsieur le président, » lui a dit Wiesel. Le président a néanmoins visité le cimetière, mais a changé son itinéraire pour inclure une visite à Bergen-Belsen.

Wiesel a défié à nouveau la Maison Blanche en 1993, quand il a exigé du président nouvellement élu Bill Clinton de faire davantage face aux atrocités qui sévissaient alors en Yougoslavie.

« La plupart des gens n’affrontent pas un président en exercice de cette façon, et il en a affronté deux », a dit de lui Sara Bloomfield, l’actuelle directrice du musée.

« Il vit que les gens l’écouteraient », selon Stuart Eizenstat, qui a occupé des postes de direction dans plusieurs administrations présidentielles et était une figure clé dans la négociation des accords de restitution de l’Holocauste avec plusieurs gouvernements européens.

« Il est devenu plus agressif pour montrer qu’il ne s’agissait pas seulement de la question de la Shoah, mais de l’application des leçons également au reste du monde », se souvient Eizenstat. « Il est devenu plus actif dans d’autres questions de génocides ou de conscience mondiale. Il voulait utiliser ce pouvoir non seulement pour la cause de la mémoire de la Shoah, mais aussi pour prévenir des génocides ».

Lors de l’inauguration en 1993 du Musée américain de l’Holocauste de Washington, Wiesel a dit clairement : « Je ne crois pas qu’il y ait des réponses. Il n’y a pas de réponses. Et ce musée n’est pas une réponse ; c’est un point d’interrogation ». Ce point d’interrogation, il l’appliquait aux atrocités dans le monde, ainsi qu’aux atrocités dans l’histoire.

President Barack Obama greets Nobel Laureate and Holocaust survivor Elie Wiesel at the White House. (photo credit: Pete Souza,The White House, Flickr)
Le président américain Barack Obama et le prix Nobel de la Paix et survivant de la Shoah Elie Wiesel à la Maison Blanche. (Crédit : Pete Souza/The White House/Flickr)

Ses dernières années l’ont vu intervenir en politique. Il rencontrait fréquemment le président Barack Obama, mais l’a aussi bruyamment réprimandé quand celui-ci a appelé à la fin de la construction des implantations et a négocié l’accord nucléaire avec l’Iran, positions qui ont lui ont valu des critiques, y compris de la part d’admirateurs de longue date.

Son soutien très public à l’égard de Netanyahu a également été mis en cause. Peter Beinart, a écrit dans Haaretz : « Wiesel se réfugie dans l’Israël de son imagination, l’utilisant pour bloquer le compte douloureux qui pourrait provenir d’un examen d’Israël tel qu’il est en réalité. »

Les dernières années de sa vie ont également vu des turbulences financières. Ses finances personnelles et 15 millions de dollars d’actifs de la Fondation Elie Weisel pour l’humanité ont été investis chez Bernie Madoff, lequel a été reconnu coupable de fraude en 2009. La fortune de Wiesel et les réserves de sa fondation ont été anéanties.

Et pourtant, il n’a pas cessé de travailler. Quelques mois après que le scandale ait éclaté, en juin 2009, il a accompagné Obama et la chancelière allemande Angela Merkel lors d’une visite à Auschwitz où il a dit qu’il était sur la tombe de son père. Il a ensuite donné un réquisitoire virulent sur l’incapacité du monde à apprendre.

« En tant que personnalité qui était aussi le symbole même du survivant de la Shoag en Amérique, Wiesel a agi comme une conscience morale, son histoire personnelle donnant une gravité inégalée à ses remarques publiques sur le génocide, l’antisémitisme et d’autres questions d’injustice dans le monde », a déclaré Ruth Franklin, auteur de A Thousand Darknesses: Lies and Truth in Holocaust Fiction.

« Wiesel n’a jamais prétendu qu’il comprenait la Shoah. Il en parlait comme une horreur au-delà de l’explication, un trou noir dans l’histoire. En tant qu’incarnation virtuelle du slogan « Ne jamais oublier », il a fait plus que quiconque pour faire prendre conscience de la Shoah dans la vie américaine ».

Wiesel laisse derrière lui une épouse, Marion, et un fils, Shlomo, prénommé d’après son père pour sûrement le sauver de l’oubli.

Marion Wiesel, épouse du prix Nobel et survivant de l'Holocauste Elie Wiesel, arrive pour son enterrement à New York le 3 juillet 2016. (Crédit : AFP / KENA BETANCUR)
Marion Wiesel, épouse du prix Nobel et survivant de l’Holocauste Elie Wiesel, arrive pour son enterrement à New York le 3 juillet 2016. (Crédit : AFP / KENA BETANCUR)

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