En Allemagne, des bibliothèques face à une « guerre culturelle » d’extrême droite
En lançant l'alerte sur les actes de vandalisme, la bibliothèque de Tempelhof-Schöneberg a constaté qu'elle n'était pas un cas isolé
Des couvertures endommagées, des messages politiques gribouillés, des pages arrachées : dans une bibliothèque municipale de Berlin, les traces d’actes de vandalisme recouvrent une table entière.
Lorsque la bibliothèque de l’arrondissement berlinois Tempelhof-Schöneberg a décidé de rendre publiques les dégradations constatées dans ses rayonnages, c’est avec le sentiment d’avoir affaire à « une attaque contre la démocratie ».
Le personnel était habitué à découvrir de temps à autre une croix gammée ou une injure crayonnée dans des livres, explique à l’AFP Boryano Rickum, directeur du lieu. Mais ce qu’il voyait alors « dépassait les bornes ».
Il a conservé ces dizaines de livres où, en 2021 et 2022, des insultes ont été griffonnées, des pages délibérément découpées. Leur point commun : ils traitent de l’histoire du féminisme, font une analyse critique des groupes d’extrême droite ou sont des biographies de personnalités politiques écologistes.
En lançant l’alerte, la bibliothèque de Tempelhof-Schöneberg a constaté qu’elle n’était pas un cas isolé.
En 2022, sur des livres d’une bibliothèque de l’université technique (TU) de Berlin, des couvertures des livres traitant de l’extrême droite ont été dégradées. Sur un livre consacré au mouvement antifasciste, le mot « nazis gauchistes » a été griffonné.
Rien ne laisse penser à des opérations coordonnées ou émanant d’organisations politiques.
Pour la série d’actes de vandalisme commis à la bibliothèque Tempelhof-Schöneberg, un suspect a été inculpé il y a quelques mois. Il s’agit selon la presse d’un trentenaire ayant agi seul.
« Il semblait s’agir d’une tentative visant à empêcher une discussion critique sur l’extrémisme de droite et le national-socialisme », dit M. Rickum.
Ces gestes témoignent, selon les acteurs visés, d’un climat inquiétant dans le pays où le parti d’extrême droite AfD a connu une progression fulgurante dans les sondages depuis un an.
A Munich, lorsqu’une bibliothèque de quartier a annoncé en juin dernier une lecture de livres pour enfants par deux artistes drag-queens et une jeune auteure transgenre, l’établissement a reçu de nombreux courriels haineux. Le jour de la lecture, des groupes d’extrême droite et des opposants à l’avortement ont manifesté devant la bibliothèque.
Au point qu’un manuel d’une soixantaine de pages a été édité l’an dernier par l’association de lutte contre l’extrême droite MBR pour aider les bibliothèques à s’orienter dans « la guerre culturelle menée par l’extrême droite ».
En ciblant les bibliothèques, « l’extrême droite tente de modifier les limites de ce qui peut être dit », estime Bianca Klose, présidente de MBR.
Selon Mme Klose, l’AfD, qui compte de plus en plus d’élus locaux, « tente d’utiliser son pouvoir pour influencer la politique d’acquisition des bibliothèques ».
Leurs représentants demandent par exemple « pourquoi certains livres ne sont pas dans les collections », notamment ceux des éditeurs de droite.
En Allemagne, les actes de vandalisme contre les livres résonnent d’une façon toute particulière : ils rappellent les autodafés pratiqués par les nazis contre tous les livres qu’ils accusaient « d’esprit non allemand ».
Peu après leur arrivée au pouvoir en 1933, ces actions visaient systématiquement les ouvrages des écrivains juifs, marxistes ou pacifistes.
A Tempelhof-Schöneberg, la réponse aux attaques « a été de mettre l’accent sur les livres dégradés », explique M. Rickum.
De nombreux auteurs des oeuvres vandalisées ont été invités à discuter de leurs idées et le personnel a créé un groupe de lecture autour de ces oeuvres.
Federico Quadrelli, 37 ans, qui dirige bénévolement ce groupe, le voit comme « un espace où les gens peuvent se rencontrer et parler de sujets importants et actuels ».
« La démocratie a besoin de lieux de rencontre, comme les bibliothèques, dit Boryano Rickum. Mais elles ne peuvent pas agir seules : nous avons besoin de la société civile pour sauver la démocratie ».