En Calabre, les rabbins et les fermiers perpétuent la tradition des etrogs vieille de 2 000 ans
Les locaux ont accueilli les Juifs venus récolter les fruits chéris - piliers de l'économie - depuis des temps immémoriaux, tels des membres de la famille
MILAN — La vie d’Angelo Adduci a toujours été accompagnée de l’odeur des citrons.
« J’ai grandi au milieu de citronniers cultivés par ma famille », a-t-il déclaré au Times of Israël.
Adduci, 56 ans, est le président du Consorzio del Cedro di Calabria (Consortium du Citron de Calabre), l’association des producteurs locaux de citrons. Il est lui-même un petit fermier et vit dans le village de Santa Maria del Cedro, au cœur de la Riviera Dei Cedri, – une zone d’environ 40 kilomètres de long sur les côtes de la région de Calabre, à la pointe de la botte de l’Italie.
Durant des siècles, les fermiers de la Riviera ont cultivé des citrons qui ont toujours été considérés parmi les meilleurs du monde : le cedro qualità liscio Diamante, ou le « citron Diamant doux ». Ces citrons, nommés en hommage à la ville de Diamante, sont parmi les plus demandés en tant qu’etrogim pour la fête de Souccot.
Chaque été, plusieurs rabbins viennent des quatre coins du monde sur la Riviera pour récolter les meilleurs fruits et les envoyer aux communautés juives vivant aux Etats-Unis, en Israël, en Russie, au Canada, au Royaume-Uni et dans le reste du monde.
Les etrogim calabrais sont très populaires et tout particulièrement demandés dans les communautés Habbad-Loubavitch. En effet, le défunt rabbin Menachem Mendel Schneerson avait recommandé l’utilisation de cette variété spécifique pour la fête de Souccot.
Au cours des dernières décennies, six ou sept différents groupes se sont installés en Calabre durant l’été, pour un total d’environ 20 à 30 personnes. Ils louent des maisons sur place, y compris une maison qui sert de synagogue pour le minyan [NdT : le quorum de dix personnes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah].
La Riviera dispose d’un micro-climat unique, où l’air chaud de la mer rencontre l’air froid des montagnes, créant l’habitat idéal pour les citronniers plutôt délicats. La terre friable de la région convient très bien à ces espèces pourvues de racines courtes.
Néanmoins, cette année, un gel a détruit près de 90 % de la récolte.
« Les citronniers sont très fragiles. Ils ne peuvent pas survivre à des températures inférieures à -4 degrés Celsius, et l’hiver dernier, les températures sont tombées à -8 C°. Nous avons planté de nouveaux arbres pour remplacer ceux qui sont morts, mais il faut attendre quatre ans pour qu’ils commencent à donner des fruits », soupire Adduci.
Pour les habitants locaux de Riviera dei Cedri, les etrogim sont aussi importants que pour les rabbins, parce qu’ils constituent un élément économique clef. La Calabre reste l’une des régions les plus pauvres et parmi les moins développées de l’Italie. Les demandes des Juifs pour les étrogim représentent un coup de pouce majeur pour l’économie de la Riviera. Les rabbins paient entre 3 et 12 euros la pièce. Le reste de la récolte est vendu pour l’industrie alimentaire ou cosmétique pour 1 ou 2 euros le kilo.
« Nos ancêtres, grands-parents et parents ont pourvu aux besoins de leurs famille en cultivant des citrons de génération en génération. A une époque, les parents pouvaient seulement marier leurs enfants après une bonne récolte de citrons, pour être en mesure de subvenir aux coûts des célébrations et des dots », se rappelle Adduci.
Il se souvient avoir vu venir les rabbins au village de Santa Maria del Cedro depuis qu’il est enfant.
« Nous les appelons ‘barbet’ – dans notre dialecte cela signifie ‘un homme avec une barbe’ – et leur arrivée était une raison de faire la fête. Ils apportaient toujours des cadeaux, des cigarettes pour les adultes, des bonbons et des chewing gum américains pour les enfants. Nous les avons toujours considérés comme faisant partie de notre communauté », a déclaré Adduci.
Au cours des dernières décennies, l’industrie du tourisme a représenté une source majeure de revenus pour la région, mais la vision des habitants locaux face aux touristes a été très différente.
« Je me souviens quand les touristes ont commencé à arriver ici dans les années 1970. La plupart des gens avaient l’impression qu’ils envahissaient la région. Cela ne s’est jamais produit avec les rabbins, ils n’ont jamais été considérés comme des étrangers », a-t-il déclaré.
Il ajoute que, pour les locaux, il est également très important de respecter les traditions juives.
« Par exemple, les fermiers sont conscients des exigences de la casheroute. Quand ils invitent les rabbins à manger à leur table, ils leur offrent uniquement des fruits ou des légumes, et ils savent que les rabbins utiliseront uniquement leurs propres couverts. Personne ne se vexe », souligne-t-il.
Au début du mois de septembre, le Musée du Citron local a organisé un événement au cours duquel les rabbins pratiquaient les rites les plus importants des fêtes de Souccot, comme choisir les quatre espèces – parmi elles les etrog – avant d’expliquer aux locaux de quoi il s’agit exactement.
« C’était la deuxième année de suite que nous organisions cet événement, c’était un moment très fort », a déclaré Adduci.
Francesco Maria Fazio, l’un des fondateurs du consortium et ancien maire de Santa Maria del Cedro, a présenté une vision un tout petit peu moins idyllique des relations entre les rabbins et les fermiers.
« Nous avons lancé le consortium pour être mieux organisés afin de négocier avec les rabbins », explique Fazio. Pour les fermiers, savoir qu’ils vendront leurs citrons aux rabbins est l’équivalent d’avoir une carte de crédit. Habituellement, chaque fermier travaille avec un rabbin spécifique ».
« Pourtant, explique-t-il, les rabbins vendent parfois le fruit 10 ou 20 fois le prix qu’ils ont payé, et j’ai pensé qu’il était important de travailler ensemble pour protéger les intérêts des fermiers. Autrement, les rabbins pourraient faire comme ils veulent ».
Cependant, précise Fazio, les relations entre les groupes sont bonnes. « J’ai souvent participé aux célébrations de Shabbat, c’était merveilleux », explique-t-il.
Les récents commentaires formulés par Berel Lazar, le grand rabbin de Russie, qui visite la région chaque année pour acheter les etrogim de sa communauté, ont mis en évidence d’autres aspects problématiques.
S’adressant à un journaliste du JTA, Lazar a décrit la relation avec les fermiers comme une relation « d’amitié et de respect mutuel » mais « malheureusement pas de confiance ».
Il a également évoqué l’influence de la mafia locale qui souhaite manipuler le business en faisant pression sur les fermiers pour essayer de vendre des etrogim non casher. Afin d’être considérés comme casher, les etrogim ne doivent pas avoir été greffés ou mélangés avec n’importe quelle autre espèce. Ils doivent avoir au moins la taille d’un œuf, être jaunes, intacts et doivent être pourvus d’une peau dure.
Fazio a eu son lot de problèmes avec la mafia. En 2012, la ‘ndrangheta – le nom de la mafia locale, parmi les plus violentes d’Italie – a brûlé l’hôtel de famille après qu’il a refusé de céder son contrôle à la mafia. Il a depuis reconstruit le bâtiment pour le transformer en hôtel de luxe qui est devenu un symbole de l’entreprenariat et du courage contre la mafia. Il est certain que la ‘ndrangheta n’est pas impliquée dans le marché du citron.
« Quand il s’agit de la terre, il est probablement vrai que la culture mafieuse est très répandue, à tel point que l’on pourrait dire, qu’à un certain degré, cela a une influence sur l’état d’esprit de tout le monde, et sur moi aussi, même si j’ai vécu pendant des décennies dans le nord de l’Italie », a déclaré Fazio.
« Je pense que j’ai pleinement réalisé l’influence de la mafia sur notre mentalité quand ils ont attaqué [mon hôtel]. Pourtant, je suis convaincu qu’il n’y a pas de véritablement implication de la mafia dans le marché du citron. Au-delà de toutes les autres considérations, il s’agit d’un business tellement de niche que ça ne les intéresse pas », a-t-il ajouté.
Il n’y a pas de preuve de l’implication de la mafia dans le marché du citron, confirme le journaliste et expert de la mafia Arcangelo Badolati, qui travaille pour le journal local la Gazzetta del Sud.
« Dans cette zone [géographique], la ‘ndrangheta est active dans d’autres business, comme le tourisme et les drogues, mais pas dans l’agriculture », a déclaré Badolati.
Le père de Berel Lazar, le rabbin Moshe Lazar, ou « Rabbino Mosè », tel qu’il est connu à la Riviera, est d’accord avec Fazio et Badolati.
Basé à Milan, l’homme, âgé de 83 ans, va en Calabre chaque année depuis 1965. Il est préoccupé par les conséquences graves du gel qui a décimé les etrogim.
« Je n’ai jamais vu une telle dévastation, même si certains disent qu’il y a eu quelque chose de similaire en 1956 », explique Lazar.
Mais il n’a que des louanges à l’égard des fermiers locaux.
« Nous sommes comme une famille. J’ai vu les enfants grandir, se marier et avoir leurs propres enfants. Ils nous ont toujours aidés et nous n’avons jamais eu de problèmes », a déclaré Lazar.
« Les etrogim font partie de ces terres depuis 2 000 ans, conclut Adduci. La tradition veut qu’ils ont été apportés ici par les Juifs qui se sont établis dans la zone. Pour nous, les rabbins font partie de notre paysage, tout comme les vergers de citrons, les fermiers et la mer ».
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