En Iran, les étincelles de la dissidence se multiplient
Un temps indécis sur la conduite à tenir face aux manifestants, le régime semble avoir opté pour la répression pure et dure
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Près de deux semaines après le début des manifestations anti-régime en Iran, le sentiment, depuis l’étranger, avec les sources d’information à notre disposition, est qu’elles sont répandues mais sporadiques, qu’elles reflètent une profonde opposition aux ayatollahs mais ne sont pas organisées de façon unifiée et qu’elles déconcertent le régime, sans pour autant le menacer.
Contrairement aux manifestations de 2009 contre le truquage des élections pour assurer le maintien au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, qui avaient rassemblé des foules immenses – des centaines de milliers, voire davantage de manifestants – exigeant des réformes, les manifestations d’aujourd’hui ne sont ni « politiques », ni emmenées par d’éminentes figures de l’opposition.
Ni l’une ni l’autre, pour autant que l’on puisse en juger, n’en ont profité pour capitaliser sur les manifestations et grèves de ces derniers mois et années, reflets du malaise économique de l’Iran, des priorités mal placées du régime et des réalités intenables de la flambée du chômage et du prix des denrées alimentaires.
Ces manifestations, menées par des femmes, s’adressent plutôt au cœur du régime lui-même. Provoquées par la mort d’une femme, Mahsa Amini, détenue par la « police des mœurs » du régime, elles dénoncent la répression des femmes par le régime, symbolisée par l’obligation pour les femmes de se couvrir en public, y compris en portant le hijab.
Contrairement à 2009, toujours, qui avait vu le président américain Barack Obama saluer les « surprenants ferments du changement » tout en excluant catégoriquement tout appui américain au changement de régime – « Il ne serait pas productif, compte tenu de l’histoire des relations américano-iraniennes, d’agir d’une manière susceptible d’être perçue comme une ingérence » –, cette fois, des membres de la communauté internationale, États-Unis en tête, manifestent leur soutien aux manifestants.
Depuis la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies la semaine dernière, le président américain Joe Biden a déclaré : « Aujourd’hui, nous sommes aux côtés des citoyens courageux et des femmes courageuses d’Iran qui se battent en ce moment-même pour leurs droits fondamentaux. »
Le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, s’adressant aux journalistes mardi à Washington, n’a pas mâché ses mots pour dénoncer le régime responsable de la mort d’Amini « en raison des décisions qu’elle aurait dû prendre en matière vestimentaire ».
Les États-Unis ont également déclaré faire le maximum pour empêcher le régime iranien de priver sa population d’un accès à Internet, en permettant aux entreprises technologiques de « mettre à disposition des Iraniens des services Internet », comme l’a dit un Secrétaire adjoint américain au Trésor.
L’UE a condamné l’Iran pour la répression meurtrière des manifestations. L’Allemagne a convoqué l’ambassadeur iranien. Des organisations d’opposants iraniens ont organisé des manifestations devant les ambassades iraniennes. Des marches de solidarité avec les femmes iraniennes ont eu lieu dans le monde entier.
La semaine passée, devant l’ONU qui accueillait le président Ebrahim Raissi pour son discours à la tribune de l’Assemblée générale, des milliers de militants anti-régime se sont rassemblés pour le dénoncer, lui et le régime, et soutenir les manifestations.
« Raïssi ne mérite pas un siège à l’ONU et il n’est pas le président du peuple iranien. Raïssi est un meurtrier de masse », a déclaré une militante, Raha Heshmatikhah.
La réponse du régime semble refléter à la fois son inconfort et son sentiment de disposer encore d’une marge de manœuvre – une volonté défensive de céder un peu de terrain, suivie d’un durcissement des positions.
Au début des manifestations, la mort d’Amini a fait l’objet d’une forte couverture médiatique de la part de médias iraniens étroitement contrôlés : la nouvelle a même fait la une des quotidiens.
Raïssi a demandé aux autorités d’« enquêter en urgence sur les causes de l’incident, avec toute l’attention requise ». Mais au fil des jours, la ligne officielle s’est durcie, tout comme la réponse des forces de l’ordre iraniennes.
Indécis sur la conduite à tenir – apaiser les manifestations et la population ou ouvrir le feu -, le régime semble au final avoir opté pour la seconde option.
Les chiffres définitifs sont impossibles à établir, mais les médias d’État parlent d’ « une soixantaine » de morts au cours des deux semaines de manifestations, les ONG, de plus de 75.
Ces chiffres sont à rapprocher du nombre de morts enregistré après trois mois de manifestations en 2009, même s’il convient d’y ajouter les milliers d’Iraniens arrêtés lors de ces affrontements de 2009.
En d’autres termes, le régime affiche aujourd’hui clairement sa volonté de tuer son peuple dans les rues.
Les manifestations de cette année en faveur de Mahsa Amini et la réponse qu’y apporte le régime sont-elles le signe du début sans fin de la fin du régime ?
Personne – ni à l’étranger, ni en Iran – ne peut répondre de manière crédible à cette question.
Le régime a manifestement du mal à satisfaire son peuple. Un grand nombre de mécontentements se mêlent – ce que le régime représente, la pauvreté qu’il entretient, sa corruption.
Les étincelles de la dissidence se multiplient, et le régime lui-même est divisé sur la perspective que le fils du guide suprême Ali Khamenei, Mojtaba, lui succède. La perspective peut-être d’un chaos plus profond encore.
Mais comme l’a déclaré un critique du régime à la télévision israélienne dans une interview depuis Téhéran mercredi, « je suis presque certain que les manifestations actuelles ne déboucheront pas sur une révolution dans un avenir proche… Le régime réprimera ou limitera les manifestations par la violence. » Néanmoins, a-t-il ajouté, « cela ne veut pas dire que les Iraniennes vont pour autant abandonner leurs légitimes revendications ».
Jusqu’à présent, Israël s’est montré circonspect en ce qui concerne les manifestations. Yair Lapid y a fait référence dans son discours à l’ONU, où il a associé « une dictature meurtrière » qui déteste son propre peuple aux efforts du régime pour se procurer la bombe nucléaire, suggérant que si ce régime se comportait ainsi avec son propre peuple, on pouvait aisément imaginer ce qu’il pourrait faire au nôtre.
« Si le régime iranien obtient l’arme nucléaire, il l’utilisera », a-t-il déclaré.
Officieusement, Israël rappelle sans doute à nouveau que ce régime ne peut pas être considéré comme un partenaire crédible dans les négociations pour la relance de l’accord nucléaire, et ne doit en aucun cas être encouragé par un allègement des sanctions.
Officiellement, et raisonnablement, Israël n’a pas exprimé sa solidarité avec les manifestants, pas davantage qu’il ne les a encouragés à durcir leur opposition.
Le régime, comme à son habitude, laisse entendre que les manifestations sont fomentées par des pays hostiles à l’Iran. Toute déclaration officielle de la part des autorités israéliennes ne ferait qu’accréditer cette théorie.
Et d’ailleurs, comme me l’a dit mercredi un très sage expert de l’Iran, le régime iranien se cause lui-même plus de torts qu’Israël ne pourrait l’espérer.