En Lettonie, une synagogue ouvre dans une station balnéaire pour oligarques
Premier lieu de prière construit depuis la Shoah, à laquelle seuls 200 des 90 000 juifs ont survécu, remplit une fonction essentielle, mais est soumise aux caprices des saisons
JURMALA, Lettonie (JTA) — Pendant l’été, les plages de cette station balnéaire de la mer Baltique se remplissent de baigneurs en maillots de bain de marque qui restent longtemps après le coucher du soleil pour danser et boire sur des dizaines de scènes de DJ en bord de mer.
Parfois appelée la Côte d’Azur de l’ex-Union soviétique, Jurmala compte certains des biens immobiliers les plus onéreux de la région, et son abondance de concessionnaires de voitures de luxe indique qu’elle attire depuis longtemps les oligarques et les riches voyageurs.
Mais en hiver, les plagistes quittent Jurmala, qui devient déserte. La ville compte 50 000 résidents permanents, éparpillé sur 100 km² de forêt.
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Ce n’est pas le premier endroit auquel on penserait pour ouvrir une nouvelle synagogue. Et pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé l’an dernier, quand un rabbin à ouvert la première synagogue depuis la Shoah, et la troisième en Lettonie.
La synagogue de Beit Israel, un bâtiment de luxe qui accueille certains des Juifs les plus riches du monde russophone, a été inaugurée en fanfare l’année dernière dans un bâtiment en bord de mer dont l’architecture fait écho aux synagogues iconiques de Lettonie. Avec ses meubles en bois rouge, ses panneaux rétro-éclairés, son revêtement en velours et ses tapis persans, la synagogue a des allures d’un hôtel de luxe.
En été, il y a assez de voitures de luxe dans le parking « pour vous faire croire que vous êtes à Monaco », a déclaré Mark Wolffson, un habitué de Beit Israel âgé de 42 ans.
La nouvelle synagogue est une étape importante pour les 10 000 Juifs de Lettonie, une petite nation prise en sandwich entre la Lituanie et l’Estonie, où seulement 200 Juifs ont survécu à la Shoah sur une population juive d’avant-guerre estimée à 90 000 personnes. C’est aussi un témoignage de la manière dont les Juifs russophones, qui connaissent peu leur foi, renouent avec leurs traditions, une fois qu’ils ont réussi sur le plan professionnel.
« Pour nous, c’est un grand progrès », a déclaré Dmitry Krupnikov, un ancien dirigeant de la communauté juive de Lettonie.
Le fondateur de la synagogue, Emmanuil Grinshpun, entrepreneur en immobilier et en logiciels né en Moldavie, est l’un des membres les plus riches de la synagogue. Il a commencé à visiter Jurmala lorsque la synagogue a accueilli le concours populaire de chansons New Wave, que le musicien juif russe Igor Krutoy a lancé en 2002. Le concours a attiré beaucoup de Juifs, mais aucune communauté juive organisée n’a jamais pris racine ici.
« Ils ne se réuniraient jamais en tant que communauté sans une synagogue, a déclaré Grinshpun, qui vit avec sa famille à Miami. « Alors j’en ai construit une. »
Grinshpun a également embauché un rabbin orthodoxe à plein temps, Shimon Kutnovsky-Liak, qui est venu d’Israël avec sa famille. La famille de Kutnovsky-Liak est originaire de Lettonie et a lutté pour s’échapper du pays dans les années 1970 alors qu’il faisait encore partie de l’Union soviétique. Kutnovsky-Liak a déclaré que sa première année ici a été une expérience mitigée.
« En été, il y a des jours euphoriques où la synagogue est pleine et on a le sentiment de reconstruire quelque chose de magnifique », a-t-il dit. « Puis l’automne approche, et pour la première fois de ma vie, je me retrouve seul dans une synagogue vide pour célébrer Shemini Atzeret. »
Beit Israel est la première chaire de Kutnovsky-Liak, un vétéran d’une unité d’élite de l’armée de l’air israélienne et père d’un enfant. Le rabbin a trouvé le calme de l’intersaison déprimant et cela l’a fait douter de lui-même.
En hiver, la synagogue de 280 mètres carrés se retrouve souvent dans l’impossibilité de former un minyan, [NdT : le quorum de dix personnes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah]. La poignée de fidèles qui font acte de présence, des hommes pour la plupart, prient ce qu’ils peuvent, tandis que leurs tasses de thé et de café ajoutent de l’arôme à l’atmosphère chaleureuse.
« C’est un signe du Tout-Puissant pour continuer, rester sur le chemin », a déclaré Yevgeniy Kouspin, un homme d’affaires de 68 ans, qui a quitté la capitale, Riga, pour s’installer ici en 2016.
Kouspin a grandi dans une famille laïque et n’a été circoncis rituellement qu’à l’âge de 55 ans. C’est un homme à la voix grave qui a un penchant pour les limericks [NdT : poème humoristique]. Plus tôt cette année, Kouspin a eu un fils avec sa femme, Anzhelika, qui n’est pas juive mais qui l’accompagne régulièrement à la synagogue.
« Il est important de rester en phase avec ses racines et ses traditions », a déclaré Anzhelika, dont la famille est musulmane et originaire d’Azerbaïdjan.
Kouspin pourrait se rendre à la synagogue Peitav de Riga, qui n’est qu’à une demi-heure de route. Mais Peitav est une « communauté fermée », dit-il, où les conjoints non-juifs ne sont pas très bien accueillis.
Pour Kouspin, l’existence d’une synagogue accueillante près de son domicile est plus qu’une commodité, c’est une continuité. Son fils, Benjamin, n’est pas juif selon la loi juive traditionnelle parce que sa mère n’est pas juive, mais Kouspin espère qu’il grandira et épousera une femme juive.
« Si vous ne faites pas un fils juif, votre travail est d’essayer de faire un petit-fils juif », a-t-il dit.
Alexandre Vetshteyn, 36 ans, a déménagé pour se rapprocher de la synagogue, où sa femme étudie en vue de sa conversion en Israël.
« Toute ma vie, j’ai grandi sans synagogue ni aucun autre lien avec le judaïsme », a déclaré Vetshteyn, un manager logistique à Riga qui vient d’Ekaterinbourg, en Russie. « Donc quand une synagogue a ouvert ici, nous avons déménagé pour être à une distance de marche afin qu’elle puisse faire partie de nos vies, fasse partie du Shabbat. »
Avant la Shoah, Jurmala abritait une petite communauté juive de quelques centaines de personnes et trois synagogues. La ville s’étend sur 15 milles de front de mer, les synagogues étaient donc nécessaires pour permettre aux Juifs de Jurmala de vivre à distance de marche.
L’une d’entre elles fait partie des centaines de synagogues en bois en décomposition qui parsèment aujourd’hui la Lettonie. Elle a été restituée en 2010 à la communauté juive, qui ne dispose pas actuellement des fonds nécessaires pour la rénover. La rénovation du bâtiment classé monument national coûtera probablement des millions d’euros.
« Tout comme il est difficile de remplir la synagogue en hiver, il est tout aussi difficile de trouver de l’espace pendant les mois chargés de l’été », a déclaré Kutnovsky-Liak, qui travaille sur le financement et les permis pour transformer ce bâtiment en un centre communautaire juif avec un mikveh.
Un autre habitué de la synagogue est Lev Ostrovsky, un survivant de la Shoah âgé de 83 ans, qui est une célébrité en Lettonie en raison de sa carrière de footballeur de haut niveau, de nageur et de co-fondateur du concours de chant de New Wave.
« C’est une synagogue de luxe », a déclaré M. Ostrovsky, en soulignant son emplacement sur la promenade et son mobilier haut de gamme. « Mais la vérité est que peu importe le type de synagogue que vous mettez ici. Le simple fait qu’elle existe est ce qui importe après ce que le peuple juif a enduré ici. »
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